Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
Les Genez ou cinq générations de douaniers
L’histoire sociale abonde en dynasties familiales plus ou moins célèbres (les Lacretelle, les Gabriel par exemple) dont, selon Pierre Durye, la formation ne peut s’expliquer par le seul népotisme.
La Douane est assez riche en situations de cette nature. Les Cahiers en proposent ici un exemple choisi, non parce qu’il est le plus caractéristique ou le plus connu, mais en raison des rapports qu’il permet d’établir avec notre Musée.
Découvrir et étudier l’histoire de familles douanières constitue une approche originale et pleine d’enseignements de l’histoire de l’administration elle-même.
Aussi ne manquerons-nous pas d’aborder à nouveau ce thème dans l’avenir.
NDLR Cahiers (1985)
Parmi les collections exposées au Musée des Douanes, figurent en bonne place le bicorne et l’épée qui ont appartenu à un ancien Directeur Régional des Douanes, en poste à Bordeaux de 1906 à 1915 : M. Gabriel-Eugène-Gaston Genez.
Après avoir fait don en 1954 de ces fleurons de la tenue d’apparat de son père, M. Jean Genez remit également à l’Administration des Douanes un dossier composé de papiers de famille et de documents douaniers. Cet important dossier, désormais en dépôt au Centre de Documentation Historique de Bordeaux, mériterait d’être dépouillé et analysé pièce par pièce mais aussi complété par des recherches dans plusieurs services d’Archives et dans les fonds douaniers.
Dans l’immédiat, et pour illustrer les possibilités d’études qu’offre le Centre de Documentation ouvert au public depuis fin octobre 1984, le présent développement sera limité à la première constatation qui s’impose à la lecture du dossier «Famille Genez» : nous noue trouvons devant une véritable dynastie de douaniers, constituée par cinq générations de Genez, «gabelous» de père en fils, de la seconde moitié du XVIIIème siècle à la Grande Guerre.
Jean-Claude Genez et son père : agents dans les fermes du roi
Sur les deux premiers douaniers, nous ne disposons que de renseignements fragmentaires. Ils sont tirés de la liasse consacrée à Gabriel-Joseph Genez, en particulier d’une lettre que celui-ci adressa, le 1er mai 1825, au Comte de Castelbajac Directeur Général des Douanes.
« … Je suis petit-fils d’employé de la Ferme Générale. Mon père qui a eu 19 enfants et qui a été incarcéré plusieurs mois pendant le règne de la Terreur a servi 40 ans dans les Douanes et n’est riche que de probité …».
Si l’on s’en tient aux 40 ans de carrière calculés par son fils, Jean-Claude Genez est entré dans les rangs de la Ferme vers 1774. En 1782, il est «sous-brigadier dans les Fermes du Roi, au poste de Servance» ; dans l’actuel département de la Haute-Saône.
En 1791, avec la mise en place des Douanes Nationales, il ne figure vraisemblablement pas dans la charrette des laissés pour compte qui découle de la compression des effectifs de la ci- devant Ferme Générale puisqu’en 1802, au mo- ment où Gabriel-Joseph Genez entre à son tour dans la carrière douanière, il est mentionné com- me «contrôleur de brigade» (1).
En 1813, toujours au même grade, Jean- Claude Genez se trouve en poste à Bienne ; alors dans le département du Doubs, aujourd’hui en Suisse. Une lettre du 29 janvier 1814 et une requête du 26 septembre 1831 nous apprennent en effet que Gabriel-Joseph Genez, affecté provisoirement comme vérificateur à Valenciennes après la disparition de la Direction de Rotterdam a «sollicité, de l’avis de MM. St-Marcel Dumas et Clerget (2), l’admission à la retraite de son père et sa nomination à l’emploi de contrôleur de brigade» pour le remplacer, ce qu’il a obtenu officiellement à compter du 1er janvier 1814.
Gabriel-Joseph Genez : une carrière mouvementée
Né le 7 juin 1782 à Servance, Gabriel-Joseph Genez est admis dans les Douanes le 23 septembre 1802 «après un surnumérariat de 3 années dans les bureaux de la Direction de Besançon et dans le bureau principal de Bienne». Il sert alors en qualité de visiteur (3), à Verne – toujours dans la direction de Besançon – aux appointements de 700 francs.
Le détail de ses services fait apparaître une carrière riche en péripéties, jalonnée de dix-huit changements de résidence «officiels» et interrompue par la mort, à la suite d’une longue maladie, le 23 novembre 1838. Son «signalement» est surtout marqué par les évènements de l’Empire.
En 1806, Gabriel-Joseph Genez, commis aux expéditions à Bienne, «est employé à Neuchâtel pour la saisie et la vente des marchandises anglaises».
Ensuite, après un bref séjour à Dunkerque, il est muté le 1er août 1810 à Groningue «chargé en chef du recouvrement du droit de 40 et 50 % sur les denrées coloniales» (4). En août 1812, après avoir servi comme commis aux expéditions à Dordrecht et comme vérificateur à Rotterdam, il est nommé «1er vérificateur à Dordrecht direction des douanes de Rotterdam, dans le département des Bouches de la Meuse». Aussi, lorsque les Français sont chassés de Hollande en 1813 – après Leipzig -, se replie-t-il sur Valenciennes d’où il demande le poste paternel de Bienne.
En 1833, Gabriel-Joseph Genez adressera «à Sa Majesté Louis-Philippe, Roi des Français» une supplique pour tenter d’obtenir la décoration que lui avait promise en 1815 le général Lecourbe. C’est l’occasion pour lui de rappeler la conduite héroïque des douaniers, et partant la sienne, au cours des années tragiques de l’Empire finissant.
Il expose ainsi «qu’en 1813, dans le mois d’avril, il a défendu la Douane de Dordrecht contre une partie de la population qui s’était insurgée ; qu’à cette époque, comme dans la retraite de novembre suivant, il a soutenu le moral de ses collègues, ainsi que peut l’attester M. Clerget, directeur à Perpignan».
En 1814, poursuit-il, «il a fait partie de la garnison de Pont-sur-Yonne sous les ordres du général Montbrun et a repoussé avec 50 douaniers 3 escadrons de cavalerie bavaroise qui étaient venus avec une pièce d’artillerie pour attaquer ce bourg ; il n’a quitté Paris que le 19 avril pour se rendre dans le Doubs… ».
1815. Gabriel-Joseph Genez «était à la tète d’une compagnie de douaniers dans la partie des montagnes du Doubs, opposée au pays de Porentruy où l’armée dite royaliste de l’Est s’organisait. Il campa 48 heures avec 60 hommes, sur l’avis que ce corps devait pénétrer en France, pour le combattre et le repousser s’il se fut présenté (…) ; faisant partie comme capitaine d’une réunion de 300 douaniers, il prit part pendant 7 heures au combat devant la place de Montbéliard avec un corps d’Autrichiens et servit jusqu’au 5 août soit au camp près de Baume-les-Dames, soit avec la garnison qui défendit Besançon».
«Pendant les Cent Jours, il procura des renseignements importants au général Lecourbe et à ses supérieurs sur l’organisation de l’armée de l’Est, les trames des ennemis de la France, le nombre, la disposition et l’approche des troupes suisses, la force et les corps dont se composait l’armée autrichienne campée à Loerrach et ses projets. Les services qu’il rendit à cette époque lui concilièrent les suffrages du général Lecourbe et lui donnèrent un espoir bien flatteur, ce général ayant à plusieurs reprises dit à M. Gay, aujourd’hui directeur à Belley, qu’il solliciterait la décoration de la Légion d’Honneur pour les récompenser…».
Et d’ajouter que «ces services et sa conduite politique en 1814 et 1815, toute d’honneur et de patriotisme, arrêtèrent sa carrière, l’exposèrent à une destitution qui fut changée en un déplacement désavantageux, ayant été envoyé dans les montagnes du Jura. Mais, bien que subissant ainsi une injuste punition, toujours mû par des sentiments d’honneur que l’on n’a pas su apprécier, il n’en a pas moins continué à remplir son devoir avec la plus sévère rectitude et en faisant ses plus grands efforts et ainsi il a puissamment contribué à faire cesser la contrebande sur ce point (du Jura) …».
De fait, le dossier «Famille Genez» contient une note de la Direction de Besançon qui, datée du 22 juillet 1817, se réfère «à diverses saisies faites par les employés du contrôle des Rousses les 10 et 12 juillet». Le Directeur Régional par intérim, assuré de la surveillance efficace exercée par les agents, convaincu du zèle et de l’intelligence de leur chef, demande au sous-inspecteur à Saint-Claude de faire «connaître toute sa satisfaction» à M. Genez sans oublier toutefois de lui rappeler «qu’il doit aussi ne jamais négliger l’occasion d’arrêter les fraudeurs» !
Début 1825, toujours contrôleur de brigades mais à Chaux du Dombief, Gabriel-Joseph Genez demande «sa nomination à la recette de Jougne». Sans succès. Aussi sollicite-t-il, par sa requête déjà citée du 1er mai 1825, «son avancement soit dans la partie active, soit dans les bureaux». En vain, encore. Pourtant, en moins de dix ans n’a-t-il pas constaté «dans la division de Morez et dans celle de Chaux du Dombief, la saisie de 141 ballots de tissus et cotons filés et 269 montres en or», établi 323 procès-verbaux, aidé ses supérieurs à «détruire la contrebande» ? Dans le contrôle de Morez, n’a-t-il pas obtenu des succès plus significatifs «que partout ailleurs puisque sur 30 contrebandiers travaillant comme chefs de bande, il n’en existe plus que 3 qui font très peu depuis quelques années» ? N’a-t-il pas sur ses propres deniers engagé des dépenses «pour avoir des indicateurs» ?
Le 1er janvier 1829, Gabriel-Joseph Genez est nommé commissaire en chef à Saint-Genis (5). Cette promotion demeurant insuffisante à ses yeux, le 26 septembre 1831, il sollicite «une sous-inspection de 1ère classe depuis longtemps promise». Il rappelle et complète les antécédents familiaux : «mi-oncle et un beau-frère sont morts dans les Douanes, un beau-frère y a obtenu sa retraite, deux frères y occupent le grade de contrôleur, un autre sert dans les brigades ambulantes et trois neveux dans la ligne». Aurait- il eu «le malheur de se fourvoyer dans le service actif en 1814» ?
En étant muté sous-inspecteur sédentaire à Saint-Louis le 1er novembre 1831, il obtient enfin satisfaction «grâce à la bienveillance de M. Gréterin». Sous-inspecteur divisionnaire en 1832, il réside à Delle, puis à Barcelonnette avant de revenir en septembre 1838 à Saint-Louis pour y mourir quelques semaines plus tard.
Gabriel Genez : la marche vers l’ouest
A son décès, Gabriel-Joseph Genez a quatre enfants, issus de deux mariages. Une lettre de sa seconde épouse, expédiée de Manheim le 26 août 1851, permet d’avancer que ce sont trois garçons et une fille. Deux des fils sont alors douaniers : Adolphe préposé, et Gabriel l’aîné, présentement receveur à Maulde.
Gabriel Genez est né le 2 mai 1817 aux Rousses, dans le département du Jura. Ses débuts en douane ont pour cadre Delle puisqu’avant d’être affecté comme surnuméraire, le 10 juillet 1837, à Saint-Louis, «il est occupé aux écritures de son père» (6).
Son premier emploi rémunéré est celui de receveur à Marckolsheim, où il est muté à compter du 1er décembre 1838. Sa carrière se déroule avec plus de sérénité que celle de son père : il occupe successivement les recettes de Rhinau et Guémar (1841), Vieux-Condé (1842).
En 1845, se situe vraisemblablement une intervention du baron de Maingoval, Membre de la Chambre des Députés qui reçoit, datée du 10 septembre, une lettre de Théodore Gréterin ainsi libellée :
«Les bienveillantes dispositions que je vous ai manifestées à l’égard de M. Genez, receveur à Vieux-Condé, viennent d’être réalisées. Cet employé est nommé, à partir du 1er octobre prochain, visiteur à la résidence de Mouchin ; ce qui, en le maintenant dans la direction de Valenciennes, porte son traitement fixe de 1200 à 1400 F …».
Cette direction de Valenciennes, Gabriel Genez ne la quitte que dix-neuf ans plus tard le 1er janvier 1864, lorsqu’il est appelé, au grade de receveur principal, à la recette d’Hirson, dans la direction de Charleville. Entre-temps, il a connu cinq résidences nouvelles comme commis de 1ère classe, receveur ou vérificateur de 1ère classe.
En 1865, il sollicite une dernière affectation : Rouen. Il y est muté, en qualité de contrôleur, à compter du 1er novembre 1866 (7).
Incomplets, ses états de service ne permettent pas de connaitre la fin de sa carrière rouennaise. Nous savons seulement qu’il meurt le 5 mars 1892
Gabriel-Eugene-Gaston Genez : de Rouen à … Rouen
Natif de Mortagne du Nord, où il voit le jour le 22 mai 1854, Gabriel-Eugène-Gaston Genez fait son surnumérariat à la direction de Rouen, où il est nommé ensuite commis à compter du 1er novembre 1875.
Il quitte la «Seine Inférieure» en septembre 1880 pour la direction de Besançon : il doit prendre ses fonctions de vérificateur à dater du 1er octobre au Villers.
Son séjour dans le Jura sera de courte durée. Quatre mois et demi plus tard, il est en effet appelé à la Direction de Paris.
Il retrouve Rouen en juillet 1882 en tant que commis principal et pour un semestre seulement. Il semble alors refaire, à l’envers, le chemin de son père : le 1er janvier 1883, il part pour la direction de Charleville, plus précisément pour Givet où il sera successivement vérificateur et contrôleur adjoint.
Le sénateur Cordier s’intéresse alors de près à la carrière de Gabriel-Eugène-Gaston Genez, qui vient, début 1884, se retremper dans l’ambiance rouennaise où il gagne en juin 1885 ses galons de contrôleur.
21 juillet 1888. «Je suis heureux d’avoir à vous faire connaitre qu’à la suite des épreuves orales que vous venez de subir à Paris, vous avez été déclaré admissible par la Commission d’examen et inscrit sur le tableau d’avancement pour le grade de sous-inspecteur des douanes …» signé : Le Directeur à Rouen (8).
Ce grade de sous-inspecteur, Gabriel- Eugène-Gaston Genez l’obtient le 1er juin 1890 avec une nouvelle résidence : Lille.
Alors que par arrêté du 18 août 1892 la Direction Générale «pense» le muter à Bellegarde, le 3 septembre la décision est rapportée : Gabriel-Eugène-Gaston Genez n’abandonne le Nord qu’en février 1896 avec «l’emploi d’inspecteur à la résidence d’Albertville, direction de Chambéry».
Inspecteur divisionnaire à Annecy en 1897, inspecteur de contrôle de 1ère classe à Paris en 1902, par décret du 19 juillet 1906, M. Genez est nommé directeur à la résidence de Bordeaux (9).
Le 31 décembre 1912, il est fait chevalier de l’Ordre de la Légion d’Honneur. Les mânes de Gabriel-Joseph Genez doivent alors se réjouir.
Le 18 juin 1915, la boucle est bouclée : Gabriel-Eugène-Gaston Genez est nommé receveur principal de 1ère classe à Rouen. II y meurt, en fonctions, en octobre 1917.
« … La ville de Rouen avait eu son dernier soupir comme elle avait connu ses premières aspirations vers la brillante carrière qu’il y commença …», devait déclarer un rouennais anonyme dans un court éloge funèbre.
A l’époque, Jean Genez, le fils du défunt, est au front. En 1912, il a opté lui aussi pour l’Administration des Douanes ; mais, à la fin des hostilités sa carrière dans la Fonction Publique déviera quelque peu : en 1928, nous le retrouvons sous-chef de bureau à l’Administration Centrale des Finances.
Michel Boyé
Ancien Conservateur du Musée des Douanes
Notes:
(1) – Grade équivalent à celui de capitaine (qui l’a d’ailleurs remplacé sous la Monarchie de Juillet).
(2) – Saint-Marcel Dunlas, ancien officier général, avait été nommé inspecteur général des douanes en 1801 ; il occupa cette fonction jusqu’en 1814. (Cf. L’Administration des Douanes sous le Consulat et l’Empire, pages 27,-228, 231 et 232). Cierge; directeur à Rotterdam, appartient à une dynastie douanière qui occupa des postes importants au XIXème siècle, dans les services centraux et dans les services extérieurs. (Mime source, pages 34, 181, 225, 262).
(3) – Vérificateur.
(4) – Sur cette taxe dont la perception fut circonstancielle, voir L’Administration des Douanes en France sous le Consulat et l’Empire, pages 133 et 143.
(5) – Poste de contrôle dans la zone franche du pays de Gex.
(6) – Les cas d’affectation de surnuméraires dans le bureau où le père exerçait ont été fréquents. On poursuivait un double but : alléger les charges d’entretien du jeune homme qui, on le sait, ne percevait aucune rémunération ; faire jouer eu père le rôle de mentor.
(7) – Il existait à l’époque de très nombreuses recettes principales (centralisatrices des recettes d’une foule de petits bureaux) ; ces recettes principales appartenaient à une grande diversité de «classes», les moins élevées donnant droit à un traitement Inférieur à celui de contrôleur, alors agent d’encadrement dans les grands bureaux.
(8) – Il s’agit du premier examen d’aptitude pour le cadre supérieur que la Direction Générale ait organisé (Arrêté du 15 octobre 1887).
(9) – L’Inspecteur de contrôle était chargé de procéder, selon les ordres donnés par le directeur, à des Investigations diverses au sein des services ; il n’avait pas la charge d’une division territoriale. La généralisation du système ayant été préconisée dans les années 90 et le directeur à Marseille y étant favorable, une expérimentation fut menée dans sa circonscription en 1896 : l’essai ne parut pas concluant et la mesure ne fut en définitive appliquée qu’a Paris où l’organisation locale se prétait, à l’époque, à ce modus opérandi.
Cahiers d’histoire des douanes
N°2
Septembre 1985