Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
De la difficulté d’être fonctionnaire des douanes dans le département du Nord entre 1790 et 1793
En 1978, au cours de recherches aux Archives Départementales du Nord, Alain WALENNE, inspecteur des douanes à Lille, a relevé plusieurs documents qui illustrent les difficultés auxquelles s’est heurtée à ses débuts la Régie des Douanes Nationales.
Victime de l’impopularité de sa mission, comme de celle de ses agents, ce service ne pouvait que pâtir de la décentralisation administrative décidée par l’Assemblée Nationale en 1789.
Certains des événements rapportés ici se situent dans une région menacée en outre d’être envahie : cette situation y crée un état de tension dont la Douane subit les effets.
I – Qui fait quoi ?
8 Septembre 1790
Lettre du Contrôleur Général des Finances (Lambert) au Directoire et au Procureur Général Syndic du Département du Nord à Douai.
Je suis informé, Messieurs, que dans certains endroits où les Gardes Nationales et les Municipalités ont été à même de faire des saisies, elles ont refusé de remettre aux employés des fermes les objets saisis : cela a eu lieu par exemple à Gravelines pour 60 balles de café introduites en contrebande et trouvées dans un magasin où elles ont été saisies par la Municipalité. Cependant, c’est s’écarter entièrement de la Règle que de déposer les marchandises ailleurs que dans les Bureaux de la Ferme ; et il serait contraire à l’ordre qui doit être mis dans la suite des affaires de ce genre que de tolérer cette innovation.
Je vous prie en conséquence de faire connaître aux Municipalités et aux Gardes Nationales que l’appui qu’elles donnent aux perceptions de tout genre ne les autorise pas à intervenir les formes établies pour le dépôt des objets de contrebande ou de fraude.
J’ai l’honneur d’être très sincèrement, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur.
14 Septembre 1790
Réponse du Marquis d’Esquelbecq, Vice-Président de l’Assemblée Départementale.
Nous avons reçu la lettre que vous nous avez adressée le 8 de ce mois, relativement à la conduite que tiennent dans certains endroits les Municipalités et les Gardes Nationales, pour la destination des marchandises de contrebande ou de fraude. Nous venons en conséquence d’écrire aux différents districts de ce département pour qu’ils aient à notifier aux Municipalités et Gardes Nationales de leur arrondissement de laisser suivre les dépôts des marchandises prises en fraude par les employés de la Ferme ainsi que cela s’est toujours pratiqué jusqu’à présent.
Nota : Désigné en avril 1790 comme l’un des 3 commissaires chargés de diriger et surveiller la formation des administrations départementales, le marquis d’Esquelbecq était un propriétaire foncier en Flandre maritime. Il avait été nommé Vice-Président de l’Assemblée Départementale lors de la session préliminaire (17 au 25 juillet 1790).
Commentaires :
En septembre 1790, on se trouve au cœur d’une période intérimaire. Tout le monde tient la Ferme Générale pour morte, même si, officiellement, elle est toujours chargée de percevoir, comme sous l’Ancien Régime, droits de traite et autres impôts indirects, et si l’Assemblée Nationale a prescrit par plusieurs décrets de rétablir «incessamment et efficacement» «les barrières nécessaires à leur perception» (Voir notamment le décret des 22 mars et 11 avril 1790).
Les employés, auxquels on a prescrit «de continuer leurs fonctions ou de les reprendre si elles avaient été interrompues», ne cessent de se heurter à l’hostilité de la population qui ne veut plus entendre parler de barrières. Les autorités locales ont reçu l’ordre de «prêter ou faire prêter assistance, main forte et concours direct aux préposés chargés de la perception des droits (et) du maintien des barrières» ; elles y mettent toutefois peu de bonne volonté, notamment pour des motifs électoraux, C’est qu’en effet les lois des 14-22 décembre 1789 ont institué des pouvoirs locaux élus, non seulement au niveau des communes, mais aussi à celui de circonscriptions administratives nouvelles : canton, district (plus tard arrondissement) et département.
Les municipalités se sont rapidement mises en place. Avec des pouvoirs plus larges et surtout mieux définis, elles prennent la suite de structures anciennes : municipalités des villes, conseils de paroisse, communautés de village. Celles-ci avaient reçu depuis les débuts de la Révolution des responsabilités de circonstance qui leur conféraient une certaine autorité sur les administrations publiques ou leur permettaient de se substituer à la hiérarchie normale. Ainsi en allait-il dans un domaine touchant l’activité douanière : la circulation des grains. La peur de la disette et la crainte de la spéculation avaient créé un tel malaise dans le pays que l’Assemblée Nationale avait jugé bon de confier aux autorités locales le soin de veiller, avec l’appui des milices et maréchaussées, à l’application de ses décrets prohibant l’exportation des grains et farines. Conséquemment, les municipalités avaient reçu mandat de contrôler avec soin l’acheminement de ces subsistances en cabotage (mode de transport intérieur alors très développé), ainsi que leur circulation «dans l’étendue de trois lieues des frontières du Royaume autres que les frontières maritimes».
C’est aux municipalités, et non aux services douaniers, qu’était confié le soin de délivrer les acquits à caution couvrant ces mouvements, et celui de les décharger au vu de «certificats de déclaration signés et visés des officiers municipaux des lieux de la destination et déchargement». On assistait donc à un véritable transfert de responsabilités douanières aux autorités municipales.
Ou bien les municipalités faisaient appel, pour l’accomplissement des formalités, aux employés spécialisés, c’est-à-dire les agents de la Ferme, ou bien elles avaient recours à la garde nationale ou aux milices locales. Dans le premier cas, elles se trouvaient conduites à s’immiscer dans l’activité des employés de la Ferme et l’édifice hiérarchique risquait de s’effondrer ; dans l’autre cas, leurs mandataires pouvaient être tentés de jouer aux gabelous en d’autres domaines que l’exportation des grains. C’est cette seconde hypothèse que les documents reproduits ici nous permettent de vérifier.
Il faut croire que les cas d’ingérence furent nombreux et persistant, car, en juillet 1791, les Régisseurs des douanes durent se préoccuper de «fixer les bornes» du pouvoir des autorités locales «relativement aux douanes». Une lettre adressée par l’administration centrale aux directeurs des services extérieurs nous éclaire sur la doctrine alors professée à l’échelon central : «Il importe, Monsieur, au succès de la régie des douanes, que les préposés de cette régie entretiennent la plus parfaite intelligence avec les différents corps administratifs ; mais le maintien des lois de cette régie exige que les préposés se concertent avec ces corps et non qu’ils leur obéissent. Cependant plusieurs corps administratifs ayant pris sur eux de donner à différents receveurs des ordres pour exempter des marchandises sujettes aux droits, et pour laisser entrer ou sortir des marchandises prohibées, nous croyons nécessaire de vous tracer des principes de conduite.
Les corps administratifs sont chargés de la perception de tous les impôts directs ; ils ne sont constitués, en ce qui concerne les contributions indirectes, que pour l’exécution des mesures prescrites par l’administration générale ; ils ne peuvent s’immiscer à régler les perceptions indirectes dont le régime doit être uniforme dans tout le Royaume, et s’il s’élève des discussions à ce sujet, c’est aux tribunaux à y faire droit. En s’écartant de ce principe, il arriverait bientôt que le tarif serait soumis à des exceptions locales et particulières de tout genre, et que les préposés des douanes ne sauraient plus s’ils doivent suivre ou les délibérés des directoires de district, ou le tarif. Notre intention est donc que dans le cas où il serait donné, par quelques corps administratifs de votre département, des ordres contraires aux lois dont l’exécution vous est confiée, vous leur témoigniez votre regret de ne pouvoir les exécuter, et que vous les invitiez à adresser leurs représentations au Ministre des Contributions Publiques pour y faire droit».
L’opinion de la Régie est claire : il ne peut être question de laisser les «corps administratifs» intervenir en matière d’application du tarif douanier.
Que penser alors d’une intervention du directoire du département du Nord qui nous est connue grâce aux recherches de A.WALENNE et se situe précisément en juillet 1791 ?
Le directoire s’est saisi d’une demande d’exportation temporaire de pièces de toile pour blanchissage, demande présentée par un négociant lillois. Après avoir consulté la Chambre de Commerce et le Directeur des Douanes, les administrateurs du département autorisèrent l’opération à charge pour le demandeur de «faire constater l’aunage des toiles… et de les faire marquer d’une empreinte qui ne s’effaçant pas au blanchis- sage, pourra les faire reconnaître à leur rentrée dans le Royaume».
Apparemment, le directeur des douanes locales, Delaferre, n’a pas cru devoir exprimer des réserves quant à la compétence du département : sa communication au Directoire est en tout cas muette à cet égard. Estimait-il que l’exportation temporaire constituait un problème d’«administration générale» dont la connaissance entrait bien dans le cadre de la décentralisation ? Nous sommes portés à le croire. N’écrit-il pas que la question «est plus du ressort de la Chambre de Commerce que de celui du Directeur des Douanes auquel il paraît que le désir du pouvoir exécutif … est de trouver les moyens de conserver à la Nation le blanchissage des toiles ? II s’agit, selon lui, de savoir si les blanchisseries françaises sont ou ne sont pas en état d’exécuter le travail ? Or, les questions relatives aux manufactures font partie à l’époque de l’« administration générale». Quant il sera mis fin à la décentralisation, en décembre 1793, le Ministère de l’Intérieur (ou ce qui en tiendra lieu) récupérera ces compétences et c’est vers lui que se tournera l’administration centrale des douanes pour régler nombre de questions afférentes à la législation douanière.
On voit combien la tâche pouvait être rendue difficile pour les responsables régionaux des douanes affrontés à des ingérences dont le bien-fondé, ou au contraire, l’irrecevabilité pouvaient, dans l’imprécision des textes, prêter à discussion.
II – Peut-on être à la fois patriote et douanier ?
Les documents reproduits ici se passent de commentaires. Peut-être n’est-il pas inutile cependant de les situer dans un contexte dont certaines données appartiennent à l’histoire locale. C’est pourquoi nous proposons au lecteur la chronologie suivante :
Évènements nationaux | Évènements locaux |
20 Avril 1792 : Déclaration de guerre. | – |
11 Juillet 1792 : La Patrie en danger. | – |
12 Juillet 1792 : Les Conseils Généraux sont placés en «surveillance permanente». | – |
25 Juillet 1792 : Manifeste de Brunswick. | – |
12 Août 1792 : Suspension du roi. | Août-Septembre 1792 : Des tensions se manifestent entre des autorités municipales, des conseils de district et la direction des douanes de Lille : des agents sont réquisitionnés pour patrouiller avec la Garde Nationale ; on porte des accusations vagues de «correspondance avec l’ennemi» contre des agents des douanes dont l’identité n’est pas révelée. Le directeur Delaférre proteste ; le régisseur Magnien écrit au directoire du département que les douaniers sont «patriotes» et qu’il est très peiné de constater la défiance des administrateurs locaux à l’égard des préPosés de la direction de Lille : il s’agit à coup sûr de récriminations émanant de particuliers mécontents de l’action des agents. |
Septembre 1792 : A Paris, massacres de la Première Terreur. | 15 Septembre 1792 : A Valenciennes, les Commissaires de la Convention ordonnent aux habitants du Nord, du Pas-de- Calais et de la Somme de se réunir au chef-lieu de leur district, s’ils sont en état de porter les armes, et d’y amener armes et munitions. |
20 Septembre 1792 : Victoire de Valmy. | Fin Septembre 1792 : A la suite de l’appel des Commissaires, les préposés des douanes du Nord décident de se former en deux compagnies de 100 hommes chacune commandée par l’inspecteur d’Armentières qu’ils élisent comme Commandant. Une autre compagnie de 50 hommes est mise, sur sa demande, à la disposition du district d’Armentières. A Bergues, l’inspecteur de Cassel réunit une troupe de 25 agents pour «empêcher les Tyroliens et les Uhlans de renouveler les scènes d’horreur qu’ils ont commises dans plusieurs villages». |
– | 22 Septembre 1792 : Suspension de la municipalité de Cassel dont «le maire est reconnu pour le chef des ennemis du bien-public». |
– | 27 Septembre – 6 Octobre 1792 : Textes reproduits ci-après. |
– | 24 Septembre – 8 Octobre 1792 : Siège de Lille. |
6 Novembre 1792 : Victoire de Jemmapes. | – |
– | 11 Novembre 1792 : L’inspecteur de Lille demande au Conseil de district l’autorisation de récupérer 350 préposés employés à la défense de la place, celle-ci n’étant plus menacée. Ces agents ont fait preuve de bravoure pendant le siège et ils ont mérité «l’éloge des corps administratifs et du commandant de la place» ; le lieutenant à cheval Brienne s’est même distingué au point que les Commissaires de la Convention demandent son avancement. Ainsi, aux accusations succèdent les éloges. Ce n’est pourtant pas le terme des difficultés ; avec la contre-offensive ennemie du printemps 1793, la douane du Nord sera une nouvelle fois désorganisée. |
27 Septembre 1792
Rapport du district de Bergues au Directoire du Département du Nord.
Nous devons, Messieurs, vous rendre compte des propositions que les régisseurs des douanes nationales nous ont faites, d’établir un corps d’employés destinés à battre les frontières et des suites qu’elles ont eues.
M. Delaferre se présenta à notre séance où, en nous faisant part de son désir et de celui des employés de se rendre utiles à la défense de la patrie, il nous remit un projet de Règlement du service qu’il conviendrait d’établir sur la frontière ; sans trop examiner l’avantage ou désavantage qui pourraient résulter de l’exécution de ce projet, et nous laissant entraîner par l’appât que peuvent offrir 25 bons citoyens bien montés et armés, nous approuvâmes avec enthousiasme ledit projet et le présentâmes sous des couleurs attrayantes au Général Carle pour être par lui pesé dans sa sagesse et approuvé.
Pendant l’intervalle de l’envoi de ce projet jusqu’au moment de la réponse de ce général, on a mis en discussion en séance du conseil toutes les circonstances qui accompagnaient l’offre de la Régie des douanes nationales. C’est dans cette discussion qu’il fut bien reconnu que les sujets proposés pour le service important des frontières étaient entachés d’incivisme et que leurs fonctions sur la frontière ne pouvaient être que suspectes ; il y fut reconnu de plus que loin que ce service fut salutaire à la sûreté des frontières et de la tranquillité intérieure, il devenait une force pour l’ennemi, en ce que les citoyens se seraient vus forcés de combattre les employés mêmes ; telle fut l’assertion publique qu’on rapporte, ce dont nous avons senti le danger.
Dans cet état de chose, nous reçûmes la réponse du Général Carle, avec son approbation, du projet de service dont est question, dans laquelle, entraîné comme nous, sous l’aspect de voir un corps de 25 citoyens se présenter au secours de la patrie, il donne tous les témoignages de satisfaction du patriotisme des employés de la régie. Le sieur Eudel informé de cette pièce avantageuse aux offres de ces services, auxquels il attacha, selon toute apparence, une très grande importance, fondée sur des principes de lui connus, ne tarda pas à se présenter devant nous pour recevoir notre sanction et de suite exécuter les dispositions dudit projet, mais on lui fit part des soupçons et de la renommée publique et on lui prescrivit de rapporter des certificats de patriotisme de tous ceux qui devaient composer la troupe mentionnée audit projet.
Nous devions attendre de cet officier une accession à une proposition aussi naturelle et aussi nécessaire dans un moment où la France ne doit rien négliger pour se garantir des trahisons et déjouer les intrigues. Cependant nous ne trouvâmes dans lui qu’un raisonnement dont l’objet était d’éloigner tous certificats et, se résumant, il s’oublia jusqu’à menacer avec humeur de retirer l’offre que la régie avait faite à l’égard du service dont s’agit, au point que nous le rappelâmes à l’ordre.
Pendant cette séance, nous écrivîmes à M. Magnien, Régisseur des Douanes Nationales, pour lui faire connaître nos soupçons et nos craintes, et nous suspendîmes notre adhésion au projet de service des employés jusqu’au reçu de ses objections sur le compte que nous lui avions rendu contre les employés et notamment contre les sieurs Eudel et Collard qui doivent les commander et les diriger.
Le civisme de ces sieurs Eudel et Collard paraît publiquement soupçonné ; leur conduite, leurs propos scandaleux, leurs fréquentations n’ont jamais été cachés en cette ville et il n’y a eu qu’un bruit public contre eux depuis qu’ils y ont passé, et à l’égard du sieur Collard notamment nous avons en main un certificat de la Municipalité de Rexpoëde où il a été employé et en résidence qui ne laisse point de doute sur ce que nous vous annonçons.
M. Delaferre accompagné du sieur Eudel se sont de nouveau présentés pour retirer les applaudissements qu’ils croyaient mériter pour l’offre de leurs services ; ils ont produit des certificats des municipalités où se trouvaient les employés ; on y voit un certificat de la Municipalité de Steenvoorde, et nous aimons à le croire guidé par la justice ; on y en trouve encore de la Municipalité de Bourbourg sur lesquels nous n’observerons rien, mais que trouvons-nous en faveur des sieurs Eudel et Collard, ce sont des certificats des Municipalités de Cassel et de Bergues…
Ces deux officiers ont exercé leur emploi sous nos yeux et nous n’avons pas besoin des certificats qu’ils produisent pour connaître leurs opinions, leurs sentiments, leurs dispositions. Nous ne pourrions, d’après nos propres connaissances, jamais voir sans la crainte les sieurs Eudel et Collard commander un corps destiné à maintenir la liberté et l’égalité. Nous vous faisons cette profession de foi que notre devoir nous impose, et nous croirions y manquer si nous la taisions. Enfin, Messieurs, sur la production de ces titres par MM. Delaferre et Eudel, nous leur avons fait connaître que nous en avions écrit à M. Magnien et que jusqu’à sa réponse, nous suspendions toute détermination à l’égard du service réglé par le projet laissé sur notre bureau.
M. Magnien reste en silence sur notre lettre, mais nous ne prévoyons pas encore qu’il parvienne à lever les difficultés que présente l’incivisme dont nous arguons, que ce service puisse être d’aucun avantage parce qu’aucun corps de troupe ne peut rester indépendant du Commandant militaire sans danger ; au surplus, Messieurs, pénétrons le principe de ces offres des employés, et nous reconnaîtrons qu’il n’a pour but que la conservation de leurs armes qui pourraient au besoin servir à leurs entreprises, dont quelques contrées ont déjà eu à se plaindre, parce que de tout temps les préposés des douanes, par la nature de leurs fonctions, ont été vus d’un mauvais œil par les citoyens. Les habitants des villes et des campagnes frontières annoncent notoirement qu’ils ne les verraient pas sans inquiétude, chargés de quelques fonctions militaires pour les garder ; il est à présumer que l’offre qu’ils font d’une brigade à cet effet n’est point dirigée par le zèle du patriotisme, mais bien par une combinaison politique, intéressés à ne pas se laisser désarmer dans la crainte de ne pouvoir aussi puissamment à l’avenir exercer les fonctions de la Régie ; le soupçon attaché aux préposés des douanes sur la facilité de les gagner, fait craindre encore que les malveillants ne se servent des occasions que présenteraient le genre de service qu’ils proposent pour entretenir une correspondance clandestine, et finalement il a paru impolitique qu’il existât un corps d’armée sous quelque dénomination qu’il se présente, qui ne soit pas sous le commandement et à la réquisition immédiate du général qui commande le pays et qui puisse arbitrairement et sans ordre dudit général s’isoler du plan de campagne et provoquer souvent inutilement et impolitiquement l’ennemi sur la frontière qu’ils parcourerait.
Toutes ces considérations nous ont déterminés, Messieurs, à suspendre l’organisation de cette compagnie, et conséquemment l’activité de son service.
Si, Messieurs, nous vous rendons un compte franc et loyal de ce qui s’est passé à l’égard des employés et de leurs chefs qui se trouvent dans ce district, nous vous prions de ne pas le regarder comme une dénonciation contre aucun d’entre eux, nous n’avons pas à nous plaindre de leurs devoirs dans les fonctions qui leur ont été confiées.
6 Octobre 1792
Lettre du Directoire du Département au Conseil de District de Bergues.
L’offre que vous a faîte, Citons, le Directeur des Douanes Nationales de 26 de ses employés pour défendre la Frontière mériterait sans doute d’être accueillie si on pouvait compter sur le dévouement des dits employés mais puisqu’on a de fortes raisons de suspecter leur patriotisme il serait dangereux de leur permettre de former des compagnies qu’ils demandent d’envoyer contre l’ennemi.
D’après ces considérations, nous pensons que vous ne devez pas hésiter à dissoudre celle qu’ils ont pu former ou à empêcher qu’elle ne s’organise si elle ne l’est pas. Nous croyons de plus devoir vous inviter à faire exécuter le plus tôt possible la loi qui ordonne que les fusils soient ôtés aux employés.
Jean Clinquart
Sources et références bibliographiques :
A.D. Nord L 2024 correspondance. L 8476 XVI.
Collection générale des lois, décrets, arrêtés, sénatus consultus, etc… par Rondonneau Imprimerie Royale, Paris, 1817.
Patrick Schultz, la Décentralisation Administrative dans le Nord de la France, 1790-1793, P.U.L. 1982.