Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
Historique de la direction des douanes d’Abbeville, fief des Boucher de Crèvecoeur (5)
La direction des douanes à la tête de laquelle était placé Jules Boucher, depuis sa création en 1795, avait compétence sur la côte du département de la Somme et d’une partie du département de la Seine Inférieure.
Sous l’Ancien Régime, cette zone de surveillance douanière était répartie entre les directions des Fermes d’Amiens et de Rouen. Elle appartenait, en totalité, à la partie du territoire du Royaume que l’on désignait sous l’appellation de Provinces des cinq grosses fermes. Ne bénéficiant d’aucun privilège en matière tarifaire, ces provinces étaient entourées d’un cordon douanier, les barrières intérieures que la Révolution de 1789 allait abolir.
La Picardie et la Normandie étaient aussi provinces de Grandes Gabelles, c’est-à-dire rigoureusement assujetties (sauf dans des lieux privilégiés comme Dieppe et Saint-Valéry-sur-Somme) à l’impôt le plus impopulaire du Royaume de France (1).
La suppression de la gabelle et des douanes intérieures entraina une profonde modification de l’organisation administrative. Si la direction des Fermes de Rouen fut logiquement convertie en 1791 en direction des douanes nationales, celle d’Amiens dut fatalement disparaître. On lui substitua la direction des douanes nationales de Boulogne, implantée au centre d’un dispositif de surveillance qui couvrait les côtes de la Somme et du Pas-de-Calais. St-Valéry-sur-Somme devint alors le siège d’une inspection.
Quand la Convention décida, en décembre 1793, de supprimer les emplois de régisseurs et de directeurs afin de réaliser des économies, mais aussi dans le dessein d’assurer au plus près la direction des services, l’une des 40 inspections commerciales placées sous l’autorité de la Commission des Revenus nationaux fut implantée à St-Valéry.
Cette organisation devait s’avérer inefficace, et il fut décidé, en 1795, de revenir à l’organisation antérieure. Ce retour au passé comporta cependant quelques innovations. Ainsi, jugea-t-on opportun d’intercaler une direction entre celles de Rouen et de Boulogne (2). Cette décision fut-elle prise pour complaire à Jules Boucher auquel le poste allait être attribué ou fut-elle dictée par des considérations d’efficacité ? Toujours est-il que l’on créa alors la direction de St-Valéry dont le siège devait être, par la suite, officieusement, puis officiellement transféré à Abbeville.
Cette circonscription présente la particularité de n’avoir été gérée que par les Boucher, père et fils : Jules Boucher de Crèvecoeur la dirigea pendant 30 ans et Jacques Boucher de Perthes pendant 28 ans.
L’organisation en a peu varié durant ce demi-siècle. Au début, la direction ne comporta pas d’emploi d’inspecteur: selon un principe posé lors du rétablissement de ces emplois, les directeurs devaient cumuler les fonctions d’inspecteur et de chef de circonscription, lorsque cette charge paraissait supportable (3).
Au début de l’Empire, un emploi d’inspecteur fut créé à Dieppe et la consistance de l’encadrement supérieur se développa par la suite : une seconde inspection fut implantée à Saint-Valéry et des emplois de sous-inspecteurs créés à Dieppe, Saint-Valéry et Abbeville dans les trois bureaux principaux de la direction. Des recettes subordonnées étaient alors installées, depuis fort longtemps, dans les petits ports de Saint-Valéry-en-Caux, du Tréport et du Crotoy.
Relativement importante sous la Révolution et l’Empire en raison de la surveillance très active dont les côtes de la Manche devaient alors faire l’objet, la direction d’Abbeville qui connaissait un trafic commercial fort restreint, devint, à partir de 1815, d’un intérêt secondaire sur le plan administratif. Sa suppression, en 1853, à la faveur de la fusion des douanes et des contributions indirectes était justifiée, d’autant que la création d’une direction au Havre avait opportunément renforcé l’implantation douanière en Seine-Inférieure (4).
(1) cf. J.C. Boy, « l’Administration des douanes en France sous l’Ancien Régime », pages 13,16 et sv., 79.
(2) cf. J. Clinquart, « l’Administration des douanes en France sous la Révolution », pages 147 à 162.
(3) – d° – page 62.
(4) cf. J. Clinquart, « l’Administration des douanes en France de la Révolution de 1848 à la Commune », pages 88 et sv.
A Abbeville en 1804…
Surnuméraire à 14 ans, mais simplement inscrit, afin de prendre rang, sur les sommiers de la direction d’Abbeville, le jeune Boucher de Crèvecoeur n’a commencé à fréquenter les bureaux paternels qu’en 1804, lorsqu’il fut nommé commis. Si on l’en croit – et nous l’en croyons volontiers – sa collaboration aux travaux douaniers aurait été alors inégalement appréciée. Les usages de l’époque voulaient que les débutants fussent confinés dans des travaux de copie dont l’importance était grande en un temps où la machine à écrire était inconnue. On demandait, non sans raison, aux copistes de démontrer qu’ils étaient dotés d’une belle main. On estimait aussi que la lecture des documents à calligraphier (circulaires, lettres, etc) constituait un moyen efficace de s’initier aux choses administratives. Las ! le jeune Boucher griffonnait : « J’étais, racontera-t-il, le plus mauvais scribe qui ait jamais tenu la plume ; et si je n’avais été le fils de mon père, on m’aurait mille fois envoyé promener, et j’y aurais été avec plaisir. »
Boucher père ne comptait d’ailleurs pas sur un stage prolongé dans son bureau pour former son fils. Il préférait le confier à cette fin à un ami sûr : avec l’accord de la direction générale, il choisit Brack. Savait-il que celui-ci allait être appelé à quitter Marseille pour Gênes quelques mois plus tard ? Rien n’est moins certain. Tout allait si vite alors que les hauts fonctionnaires (et par contre-coup ceux de moindre rang) devaient se tenir à tout instant aux ordres du directeur général, c’est-à-dire en fait de l’Empereur, et s’attendre à de brutales mutations.