Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
Entretien avec Monsieur Florian Colas, Directeur général des douanes et droits indirects
Monsieur le directeur général,
Vous avez pris vos fonctions en avril 2024. A cette date, l’Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes (A.H.A.D.) sollicitait votre accord pour le titre de Président d’honneur, votre réponse positive fût immédiate. Nous tenons à vous en remercier à nouveau.
Contrairement à nombre de vos prédécesseurs, votre nomination a fait suite à plusieurs années à la tête d’un service de l’administration douanière, à savoir la D.N.R.E.D. Votre « passé douanier » nous rend donc la tâche plus facile pour aborder directement avec vous plusieurs thématiques liées à l’histoire de la douane.
Promotion de l’histoire de la douane
A.H.A.D. : Dans l’interview que vous avez accordée à « Douane Infos » en mars 2024, vous avez affirmé en évoquant le passé de notre administration :« quand on a la chance d’avoir une histoire aussi riche, on peut en être fier, et il faut savoir la valoriser ! ».
En cette année de commémoration, notamment des 50 ans de l’A.H.A.D., des 90 ans de la D.N.R.E.D., et suite à la réouverture du Musée National des Douanes, peut-on connaître vos souhaits pour promouvoir l’histoire de la douane ?
Florian Colas : Nous avons une histoire singulière, riche et parfois méconnue, qui mérite d’être pleinement valorisée. Les jalons que vous évoquez sont autant d’occasions de faire vivre cette mémoire.
Depuis ma prise de fonctions, j’ai souhaité réaffirmer l’attachement de notre administration à son héritage. À l’initiative de l’A.N.A.C.V.G.D., une cérémonie nationale du 11 novembre a été organisée à la Nécropole de Serre-Hébuterne au nord-est d’Amiens où s’est déroulé l’une des batailles les plus meurtrières de la Première Guerre mondiale pour les douanes. J’y ai déposé une gerbe en hommage à Louis Hennart, jeune préposé des douanes, décédé durant les combats. Je tiens à saluer ici l’action de M. Christophe Mulé, membre de votre association, qui a œuvré pour l’inscription de ce préposé dans le Livre d’or du corps militaire des douanes. (NDLR : cf article dans le numéro 83 des Cahiers d’Histoire des Douanes)
La réouverture du Musée national des douanes depuis le 16 mai est également une étape majeure. J’ai hâte de participer à son inauguration, prévue le 4 septembre prochain, et de découvrir le fruit de ce vaste chantier. Quant au 90e anniversaire de la D.N.R.E.D., j’ai bien prévu d’y assister. Je suis convaincu que l’A.H.A.D. y trouvera toute sa place pour mettre en lumière l’histoire de ce service essentiel.
Promouvoir l’histoire de la douane, c’est créer du lien entre le passé et le présent. C’est honorer les anciens tout en projetant leur héritage vers l’avenir. C’est pour cela que la promotion de l’histoire de la douane constitue un moment incontournable dans nos écoles. Ainsi, Roland Giroire intervient-il régulièrement en début des formations initiales. Les bureaux de la scolarité lui fournissent d’ailleurs les identités des stagiaires ayant un diplôme en histoire, afin qu’il puisse s’entretenir avec eux à l’issue de ses conférences. L’A.H.A.D. est également conviée pour intervenir dans le stage d’adaptation aux fonctions d’inspecteur principal.
Devoir de mémoire & monument aux morts
A.H.A.D. : Contrairement à d’autres administrations, la Douane ne possède pas de monument aux morts spécifique. Pourtant, depuis 1791, les douaniers ont été engagés dans tous les conflits en tant que tels (bataillons douaniers) et un certain nombre d’entre eux se sont également illustrés dans des actions souterraines que ce soit comme «missionnaires» durant la première guerre mondiale, ou dans la Résistance durant la Seconde. Ne serait-il pas nécessaire de le rappeler ?
Florian Colas : Vous posez là une question essentielle. Les douaniers tombés pour la France, souvent dans l’ombre, parfois dans des missions clandestines, méritent une reconnaissance à la hauteur de leur engagement. Je suis favorable à ce que cette mémoire se traduise par des actes concrets.
Il n’existe pas de monument national aux morts spécifiquement dédié aux douaniers, mais la mémoire de ceux qui ont donné leur vie pour la France est honorée dans nos deux écoles : à La Rochelle, un monument aux morts rappelle leur sacrifice ; à Tourcoing, une plaque commémorative, installée avec le concours et en présence de l’A.H.A.D. à l’occasion des 20 ans de l’installation de la DNRFP en 2023, rend hommage aux douaniers tourquennois morts pour la France.
Ces lieux, que tous les douaniers traversent au cours de leur carrière, deviennent ainsi des repères mémoriels forts. Lors des cérémonies – comme celle du 11 novembre ou des fins de stages – stagiaires et personnels permanents se rassemblent pour faire vivre ce souvenir.
Le devoir de mémoire s’exprime aussi dans les noms de promotions, attribués en hommage à des figures marquantes de la Douane particulièrement impliquées au cours des deux guerres mondiales, mais pas seulement, car cet engagement s’est depuis exprimé sous diverses formes. Cette tradition incarne la continuité entre générations, perpétue les valeurs douanières et fédère les stagiaires autour d’une identité professionnelle commune et partagée.
Le devoir de mémoire ne s’arrête pas aux conflits du passé. Chaque jour, nos agents font honneur à la devise « Servir pour protéger », parfois au péril de leur vie. Le décès du motocycliste Nicolas Voison, en juillet dernier, nous le rappelle douloureusement. Avant lui, Pascal Robinson est lui aussi mort en service.
Partout sur le territoire, les unités s’approprient cette mémoire. À la D.N.R.E.D., le WOD sportif commémoratif en est une belle illustration. Et cette année, l’intégration des motocyclistes au défilé du 14 juillet, pour la première fois, est l’occasion d’un hommage fort à Nicolas et à tous ceux qui exercent un métier à haut risque, dans un esprit de service.
Le code des douanes
A.H.A.D. : Le code des Douanes actuel date de 1947 et a été modifié dans son détail au fil des ans sans jamais être restructuré. Un grand chantier a été lancé pour ce faire en 2023 qui doit aboutir en 2026. Qu’en attendez-vous ?
Florian Colas : Le code des douanes repose aujourd’hui sur un décret de 1948, entré en vigueur en 1949. Il n’a jamais été refondu dans son ensemble. Il ne correspond plus ni aux exigences juridiques actuelles ni à la réalité de nos missions.
Le législateur nous a confié une mission ambitieuse: bâtir, d’ici juillet 2026, un nouveau code des douanes. Il devra être plus cohérent, plus lisible, plus opérationnel – en un mot, plus adapté aux enjeux contemporains.
Ce chantier est stratégique. Il vise à donner à la douane un outil à la hauteur des menaces qu’elle affronte. Je salue ici le travail remarquable mené par la mission recodification. Le calendrier est respecté, et l’ambition est au rendez-vous.
L’évolution de la tenue d’uniforme dans l’histoire
A.H.A.D. : Depuis le début du 19e siècle, les agents ont toujours porté une tenue d’uniforme, y compris, très longtemps, dans les bureaux. De nos jours seuls les agents des brigades et l’encadrement supérieur portent l’uniforme et on assiste à un « grand écart » à ce sujet. D’une part, la tenue de travail s’est « banalisée » pour se rapprocher de celle des autres forces de sécurité, d’autre part, la tenue de cérémonie n’est paradoxalement plus attribuée qu’aux cadres supérieurs. Que pensez-vous de cette évolution ?
Florian Colas : L’uniforme est un marqueur d’identité fort. Il incarne l’autorité, le service, l’appartenance. Je comprends les questionnements que suscite son usage différencié selon les branches et les fonctions.
Un rappel historique s’impose : plus de 19 000 agents ont été mobilisés pendant la Première Guerre mondiale, au sein de 65 bataillons du corps militaire des douanes. 1 421 d’entre eux sont morts pour la France. Ces bataillons, assimilés aux chasseurs à pied, nous ont laissé un héritage : le cor et la grenade, et, dans une certaine mesure, l’uniforme à vareuse.
J’ai demandé aux services une réflexion d’ensemble sur le sujet, dans le cadre du renouvellement de nos marchés d’habillement à l’horizon 2027. Je préfère attendre les propositions avant d’en dire davantage.
Le grand public
A.H.A.D. : La douane et ses missions ont trop souvent été – et demeurent encore actuellement – méconnues du grand public ; ce manque de visibilité – tant au niveau des recettes de l’Etat ou de son engagement au titre de la sécurité de nos concitoyens – ne manque pas de nuire non seulement à son image auprès du grand public mais aussi au recrutement dans les rangs douaniers :
Notre histoire et nos traditions vous semblent-elles de nature à renforcer l’identification, le bon renom et l’attractivité de l’administration des douanes ?
F.C. : Absolument. Notre histoire forge notre identité. Elle inspire, donne du sens, renforce la fierté d’appartenance. C’est un levier d’attractivité puissant pour une administration qui a parfois été trop discrète et comme vous le dites, méconnue du grand public. Pour autant, la douane demeure une administration très installée et bien identifiée dans certains bassins historiques, encore aujourd’hui. Je pense notamment à nos régions ultramarines.
Historiquement, nos missions, souvent techniques ou sensibles, ont contribué à cette relative discrétion. Mais les crises successives – Brexit, COVID, explosion de la criminalité organisée – ont remis la douane au cœur de l’actualité. Notre visibilité s’est accrue, et je tiens à saluer ici le travail remarquable de notre service de communication.
Depuis 2024, notre présence dans les médias nationaux s’est nettement intensifiée. Nous sommes aussi très actifs sur les réseaux sociaux. Ces formats nouveaux nous permettent de toucher les jeunes et de renouveler notre image.
Communiquer, aujourd’hui, ce n’est plus un luxe. C’est une nécessité pour recruter, fidéliser, et incarner une administration moderne, fière de ses missions.
Les actifs
A.H.A.D. : Il apparait tout aussi regrettable qu’au sein même de l’institution douanière, l’histoire de la douane et de ses traditions soit de moins en moins connue des agents de tous grades :
Quelles actions serait-il possible d’envisager selon vous pour sensibiliser davantage les agents actifs – qu’ils soient issus de nos écoles ou contractuels – à l’identité de leur administration et renforcer ainsi ce légendaire « esprit de corps » douanier ?
Florian Colas : L’esprit de corps se nourrit de culture commune. Il faut le cultiver, le transmettre.
J’ai demandé à ce que nos écoles intègrent davantage de contenus sur l’histoire de la douane, ses figures, ses traditions. La Rochelle et Tourcoing sont les lieux de passage obligés de l’ensemble de la communauté douanière, à leur arrivée en douane puis tout au long de leur carrière. C’est dans ces foyers que se nourrie la culture douanière.
Tout au long de l’année, j’encourage les initiatives en local. Je salue notamment le bel évènement de la direction de Marseille qui a fêté les 120 ans de la Caserne des douanes de la Joliette en 2024, faisant connaitre notre patrimoine aux douaniers et aux non-douaniers, en fêtant ses 120 ans le jour de la Saint-Mathieu, saint patron des douaniers. L’évènement à réuni 120 bénévoles de l’O.D.O.D. et a été un grand succès.
Je suis aussi convaincu que votre association joue un rôle clé dans cette démarche. Elle est porteuse d’un savoir et d’une mémoire précieuse. Merci de votre action !
Les bénévoles
A.H.A.D. : Depuis sa création, des bénévoles se sont succédés au sein de A.H.A.D. pour promouvoir une meilleure connaissance de l’histoire de la douane et préserver ce devoir de mémoire. A leur actif, des publications historiques de qualité (ouvrages, Cahiers, Bulletins,…), une action déterminante dans la création du musée national des douanes, des cycles de conférences, un site Internet, etc…
Quel message souhaiteriez vous adresser aux bénévoles actuels ?
Florian Colas : Un mot simple, mais essentiel : merci. Merci pour votre engagement, votre rigueur, votre passion. Vous êtes les gardiens d’une mémoire collective qui mérite d’être connue et transmise.
Vos travaux sont précieux. Continuez, vous avez tout mon soutien.
L’avenir de la douane
A.H.A.D. : Dans la même interview évoquée précédemment, vous avez rappelé l’importance « pour une organisation d’avoir une identité, de ne pas la perdre ou la diluer. Il n’y a pas d’organisation forte sans identité forte ». Depuis sa création, la douane française, forte de ses deux composantes historiques que sont la branche « surveillance » et celle des « opérations commerciales », a été de tous les combats dès lors que nos frontières ont été menacées.
=> Comment selon vous mieux garantir la pérennité de cette identité douanière alors que de nouveaux enjeux (terrorisme, immigration) ou certaines restructurations des services de l’Etat (transfert des missions fiscales ) risquent de la remettre en cause ?
Florian Colas : Cultiver notre identité sans la figer, voilà le cap. La douane a toujours su évoluer sans jamais renier ses fondements. Nos deux piliers – surveillance et opérations commerciales – demeurent le socle de notre cohérence.
L’actualité l’illustre pleinement : guerre commerciale, souveraineté économique, lutte contre les trafics… Les missions douanières sont stratégiques, et nos autorités politiques en sont pleinement conscientes.
Ma responsabilité est de donner un cap clair à l’institution. À la demande de la Ministre, nous travaillons à une stratégie « Douane 2030 ». Elle s’appuiera sur notre identité et nos atouts pour mieux répondre aux menaces et aux enjeux contemporains. Sans jamais perdre ce qui fait notre force.
Merci Monsieur le directeur général d’avoir répondu à nos questions (*).
(*) NDLR : propos recueillis pour l’Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes par Bruno Collin, Patrick Deunet et Kevin Mills.