Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Il y a 210 ans : le crime de contrebande d’Edmond Dantès

Mis en ligne le 28 février 2025

« Le 28 février 1815, à deux heures de l’après-midi » (*) , le sieur Edmond Dantès, qui n’était pas encore connu sous le titre de Comte de Monte-Cristo, était arrêté, soit il y a deux cents dix ans, jour pour jour.

 

Était-il innocent ? C’est du moins ce qu’il clamait à l’inspecteur général des prisons en ces termes au chapitre 14 :

 

« Je demande quel crime j’ai commis : je demande que l’on me donne des juges ; je demande que mon procès soit instruit ; je demande enfin que l’on me fusille si je suis coupable, mais aussi qu’on me mette en liberté ».

 

Ce jugement, que lui a dénié en 1815 Gérard de Villefort, substitut du procureur du roi, et qu’a fini par lui accorder en 2023 Caroline Julliot, maîtresse de conférences HDR à l’université du Mans dans son essai intitulé « Monte-Cristo, le procès », n’a pourtant jamais été mené à son terme, malgré l’intérêt et l’épaisseur du dossier d’instruction.

 

Dès l’entame du roman en effet, et en dépit de ses protestations d’innocence, Edmond Dantès était bel et bien coupable, non pas ontologiquement comme un Joseph K., mais matériellement : d’abord d’un délit, puis, à peine évadé, d’un crime, ceux de contrebande.

 

En l’absence de juridictions d’exception en matière douanière, supprimées en 1814 (tribunal ordinaire des douanes et Cour Prévôtale d’Aix), et faute d’exercice de l’action fiscale par les tribunaux ordinaires et littéraires, il revient donc à l’agence de poursuite de la douane littéraire de requérir les peines encourues, après avoir rappelé la matérialité des faits et l’intention coupable.

 

Ainsi, le sieur Edmond Dantès, second du trois-mâts « Le Pharaon », venant de Smyrne, Trieste et Naples, est accusé d’avoir :

 

– soustrait à la visite d’inspection des douaniers et de la liste des marchandises qui leur a été présentée les « ballots de marchandises prohibées », c’est-à-dire « du café de contrebande et d’excellent tabac » dissimulés « dans un petit coffre de la cale » au chapitre 1 ;

 

– offert à son père des « magnifiques bas de coton mouchetés, qui sentaient d’une lieue la contrebande anglaise » en violation des prohibitions sur les textiles au chapitre 12 ;

 

– en dépit de ses forfaits, été suspecté d’être un « émissaire de dame gabelle » par le capitaine du « bâtiment contrebandier » la « Jeune-Amélie » au chapitre 22 ;

 

– participé en qualité de complice de cet équipage de contrebandiers au débarquement de marchandises de fraude à Aleria, de « cigares de La Havane, de vin de Xérès et de Malaga pour le duché de Lucques » et à l’assassinat de sang-froid d’un agent des douanes au chapitre 22 : « il avait examiné le douanier blessé à mort, et soit chaleur du sang dans l’action, soit refroidissement des sentiments humains, cette vue » n’a produit chez lui « qu’une légère impression » ;

 

– employé le contrebandier Bertuccio pour l’assister dans ses machinations vengeresses ;

 

– envisagé la création d’un écusson sur les panneaux de sa voiture « pour que les douaniers ne vous visitent pas ».

 

Dessin du château d’If en 1641

Source : Wikipedia

 

En conséquence de quoi, j’ai l’honneur de requérir la condamnation du sieur Edmond Dantès, comme tous ses semblables, « les entrepreneurs de fraude en marchandises et denrées prohibées, les assureurs, les intéressés et les complices dans lesdites entreprises, les chefs de bande, directeurs et conducteurs des réunions de fraudeurs en marchandises prohibées », à être marqué pour l’éternité littéraire de l’infamante marque des lettres V.D. (« voleur des douanes ») et d’être paré du titre peu glorieux de « contrebandier du château d’If », qui, ironie de l’histoire si l’on en croit le roman, est devenu « depuis la Révolution de Juillet […] un poste destiné à empêcher de faire de la contrebande ».

 

Kevin Mills

 


 

(*) Le Comte de Monte-Christo d’Alexandre Dumas  -Ed. Le siècle – 1846 .

 


 

 

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