Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
De la sonde au drone (étape 2) : grappins, barrières, herses et autres engins d’arrêt
Le grappin, que l’on voit être utilisé dans l’illustration ci-dessous par un marin des douanes de Dunkerque (détail de la Une du 9 avril 1905 du supplément illustré du Petit Journal illustrant une scène d’abordage d’un bateau de contrebandiers), ainsi que sur la carte postale de 1912, ne va bientôt plus suffire pour espérer faire obstacle aux intrusions de vive force.
En effet, avec le développement des moyens de transport, et notamment l’avènement de l’automobile, l’institution douanière se voit contrainte d’avoir recours à des techniques plus efficaces pour faire obstacle aux multiples tentatives d’intrusion « de vive force » sur le territoire national.
On se reportera utilement à l’ouvrage de Jean Clinquart L’administration des douanes en France sous la Troisième République – première partie (1871-1914) , dans lequel est évoquée dans le détail l’apparition de « ces véhicules auto tractés ». Dans l’extrait suivant repris sur ce site : « L’organisation douanière face aux nouvelles formes de fraude », il rappelle qu’elles « consistent dans l’installation de barrières fixes devant les bureaux de première ligne et dans l’emploi d’obstacles portatifs sur les chemins indirects ainsi que sur la partie des routes légales situées en arrière des bureaux de première ligne. «
Au début du XXe siècle, cet engin « Bernard » et ces chausses-trappes étaient employés pour tenter d’arrêter les voitures de fraude. Exposés dans l’ancien musée de la fraude de l’école des douanes de La Rochelle (cliché de gauche ci-dessous), ils agrémentent désormais le siège de la Direction de Dunkerque (à droite ci-dessous).
Des techniques qui, à l’époque ne manquent pas d’inspirer les dessinateurs humoristiques, comme celui de l’Almanach des Douanes de 1909 :
La réforme de 1946 constitue sans aucun doute le véritable point de départ d’une volonté de l’administration de doter les unités douanières de moyens modernes et mieux adaptés. Comme le précise Roland Giroire, « les brigades frontières effectuant leur service à pied étaient confrontées à des passages de vive force dans les points de passage ainsi qu’à des importations en contrebande nombreuses en plaine. Aux frontières du Nord et de l’ Est ont été installés des barrages (blocs ou piquets de ciment armé reliés par des câbles métalliques) sur les routes légales et les chemins détournés, constituant dans chaque subdivision un réseau adapté aux réalités locales de plusieurs lignes d’obstacles fixes complété par des barrages provisoires mis en place par les unités mobiles. Des engins d’arrêt (herses, chausse-trapes, engins Sockel) permettaient par ailleurs de stopper les véhicules » (**).
Dans les années 50, un témoignage recueilli dans une livraison du Journal de la Formation Professionnelle de 1954 (***) nous offre de plus amples détails sur les efforts et les artifices déployés pour endiguer cette méthode de fraude. Dans son article « La fraude en Flandre maritime » , M. Maymard en fait le récit suivant :
» Quels ont été et quels sont les moyens d’action du service des douanes pour s’opposer aux entreprises de contrebande ?
Dans une région de plaines, sillonnée de nombreuses routes venant de l’étranger, le territoire soumis à la garde des brigades, ne peut-être efficacement défendu que par.des moyens appropriés et variés qui tous doivent concourir à gêner et contrecarrer les fraudeurs dans leurs entreprises.
En premier lieu, les barrages fixes et mobiles.
Les barrages fixes du type Lefort, du nom du constructeur, ont pour but d’interdire et d’obliger les camions de fraude à emprunter les champs.
Cette voiture de fraude a tenté de forcer le barrage Lefort qui à plié mais a résisté. La partie endommagée à l’avant du camion est un faux radiateur dissimulant le blindage.
Leur résistance au choc est impressionnante : le 22 avril 1949, la mobile de Caestre s’empare sur les flancs du Mont des Cat, d’un fort camion blindé, contenant 2.300 kgs de café vert, et qui avait incurvé en demi-cercle, sous son coup de buttoir, la barre transversale du barrage, sans la rompre. La Direction de Dunkerque possède 40 de ces barrages près desquels ont été implantés des baraques abris d’un type nouveau, de 2m x 2m, confortables et d’une visibilité parfaite.
Pour opposer une action défensive efficace aux incursions des véhicules, les brigades mobiles, comme les brigades de première ligne, disposent d’engins portatifs : les Bernard qui sont des herses pliantes munies de clous acérés, ainsi que des Sockel constitués par des boules sur lesquelles s’adaptent de longues branches d’acier; ces derniers ressemblent à de gros hérissons.
Ces engins, efficaces contre les voitures de tourisme, sont inefficaces contre les camions de fraude, aux chassis surélevés et munis de pneumatiques à gomme très épaisse.
Il a fallu songer à utiliser d’autres engins.
Les dunes du littoral avaient été truffées, par l’armée allemande de grands X en fer, destinés à arrêter les tanks qui pouvaient être employés par les armées alliées, au moment de leur débarquement sur le Continent. Il était normal,à défaut d’autres possibilités et en l’absence de crédits, de disposer de ces engins et de les répartir sur plusieurs lignes parallèles à la frontière sur les chemins secondaires et à, proximité des carrefours. C’est ainsi que 38o de ces engins pesant 23o kgs chacun ont été répartis sur l’ensemble de la circonscription.
Toutefois, ces engins étaient trop lourds pour pouvoir être transportés par les Mobiles et par les groupes motorisés de troisième ligne. C’est alors que trois agents du Groupe Motorisé d’Hazebrouck, les brigadiers Milon et Decroocq et le préposé Capoen eurent l’ingénieuse idée de réduire sensiblement les branches des engins antichars et de créer ainsi un modèle transportable sur leurs camionnettes. Ces engins ont fait leur preuve contre un blindé lancé à 8o km à l’heure. Ils sont désignés sous le non de DEMICA (première syllabe des trois noms Decroocq – Milon – Capoen).
Barrages – engins antichars – voitures rapides même avec bandages increvables, n’étaient pas suffisants. Il fallait assurer la rapidité des transmissions et la coordination entre les différentes unités. Ce n’est pas tout, les entreprises de contrebande ayant utilisé des véhicules éclaireurs et transporteurs de fraude équipés en phonie sans filet correspondant entre eux, l’Administration a doté la Direction dé Dunkerque de postes fixes de radio, reliés avec postes mobiles ».
En effet, « ce n’est pas tout« , il faudra sans cesse s’adapter ! L’implantation d’un véritable réseau radio fiable et sécurisé devient une impérieuse nécessité. Une autre page d’histoire que nous ouvrirons prochainement sur ce site.
Ces clichés d’A. Pommier pris en 1954 dans le cadre du tournage d’un film sur une embuscade de la douane permettent de distinguer divers engins d’arrêt et de dispositifs destinés à crever les pneumatiques des véhicules.
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De la sonde au drone (étape 3) : grappins, barrières, herses et autres engins d’arrêt
Notes:
(*) Jean Clinquart « L’administration des douanes en France sous la Troisième République – première partie (1871-1914) » Ed. A.H.A.D.
(**) Roland Giroire – article « La réforme de 1946 » – Cahiers d’histoire des douanes n° 61 – 2017 – A.H.A.D.
(***) M. Maymard – article « La fraude en Flandre maritime » – Journal de Formation Professionnelle – avril 1954 – n°36)
(****) Photographies : A. Pommier