Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

De la généalogie à l’histoire douanière l’incendie de l’Amicitia (19 mars 1902)

Mis en ligne le 1 septembre 2024

 

Le 15 juin 1992 le Centre de Documentation Historique recevait la visite d’un plaisancier néerlandais, M. Pronker. Profitant d’une escale en Gironde, celui-ci effectuait des recherches sur l’incendie qui avait détruit en mars 1903 un trois-mâts que commandait son grand-père, l’Amicitia.

 

Ses différentes démarches auprès des services d’archives girondins ne lui avaient permis de découvrir qu’un seul document relatant l’incident : un article dans l’Avenir Blayais du 21 mars 1903. Cette coupure de presse mentionnant l’action des services douaniers lors du drame, M. Pronker espérait trouver auprès du Musée des Douanes des informations complémentaires.

 

Le récit de l’Avenir Blayais

 

Sous le titre «Gauriac – terrible incendie en rivière – un trois-mâts détruit – trois blessés – 350 000 francs de perte», un correspondant rapportait :

 


«Le 28 février dernier, le voilier hollandais Amicitia, capitaine Pronker, venant de New-York avec 7 262 fûts essence de pétrole, avait mouillé à 400 mètres environ au large du ponton de la Reuille, et commençait, dès le lendemain, la mise en gabare de son chargement, destiné aux usines Fenaille et Despaux, Deutsch et Cie, Desmarais frères. Cette opération avait suivi son cours normal, puisqu’il ne restait à bord, le 19 courant, que 400 fûts destinés à l’usine de Caverne.

 

L’Amicitia était un trois-mâts barque en fer, construit en 1885, et jaugeant 1 113 tonneaux. Il appartenait à M. P. Van der Hoog, de Krimpen-A-D-Lek.

 

Le capitaine, M. Pronker, ayant des affaires à régler, avait quitté son navire jeudi matin pour venir à Bordeaux par le vapeur de service de la Cie Bordeaux-Océan, laissant le commandement à son second.

 

Outre l’équipage, composé de dix-huit hommes, il y avait à bord de l’Amicitia un douanier nommé Caillaux, un surveillant nommé Bertaud, placé à bord pour se rendre compte que tous les règlements sont observés, et M. Léglise, gérant de l’une des usines Fenaille et Despaux.

 

Deux gabares étaient le long du bord : une chargée et l’autre qui commençait son chargement. Rien ne pouvait faire pressentir le terrible drame qui allait se dérouler un peu plus tard et causer la destruction complète de ce beau navire.

 

Il était exactement trois heures cinquante-cinq lorsqu’un fût d’essence fit tout à coup explosion dans la cale du centre du navire, où quatre marins du bord étaient descendus. En quelques minutes, tout le navire était en feu, de l’avant à l’arrière ; ce fut, comme de juste, un sauve-qui-peut général. Les gabares qui étaient le long du bord poussèrent immédiatement au large pour se mettre hors de danger.

 

Deux hommes occupés dans la cale furent légèrement brûlés ; ils purent se sauver. Un troisième ayant reçu de graves brûlures à la figure et aux bras se précipita par-dessus bord dans le fleuve ; il fut heureusement recueilli par une embarcation montée par MM. Léglise et Berteaux.

 

Le quatrième, le préposé des Douanes Caillaux, se laissa glisser au moyen d’une corde le long du bord ; il fut lui aussi recueilli dans les mêmes conditions.

 

Tous les naufragés se rendirent à terre, car il ne fallait pas songer à sauver quoique ce soit du navire, qui flambait comme un brûlot…».

 

Les sources douanières

 

En l’absence de préposé Caillaux dans les fichiers patronymiques du Centre de Documentation, les premières recherches s’orientèrent vers les registres d’événements de la direction de Bordeaux. Elle furent malheureusement négatives.

 

Aussi, rechercha-t-on dans les Annales des Douanes s’il existait trace d’une relation de l’incendie de l’Amicitia. Avec succès. L’édition du 1er mai 1903, dans la rubrique informations, rapportait l’événement :

 

«Le 19 mars dernier, le navire Amicitia procédait au transbordement, dans le port de Bordeaux, d’une grande quantité de fûts d’essence de pétrole, quand, soudain, une explosion se produisit et détermina un violent incendie.

 

Au lieu de s’enfuir, ce courageux agent se rendit dans la cabine du capitaine pour y prendre le matériel à plomber, et parcourut ensuite, en compagnie du second du navire, une partie du pont afin de porter secours aux personnes qui n’avaient pu s’échapper.

 

Après avoir vu 3 ouvriers se précipiter dans le fleuve et se réfugier dans les canots voisins, Cailloux se décida enfin à se mettre en sûreté et s’accrocha à l’amarre qui reliait une des gabares au navire ; mais cette amarre vint à se briser, et le malheureux agent, projeté contre le flanc du bateau resta dans une position des plus critiques jusqu’au moment où trois courageux sauveteurs, montés dans un canot, parvinrent à le recueillir.

 

A peine débarqué, Cailloux changea de vêtements en toute hâte, et procéda au plombage de la gabare chargée, tandis que l’incendie achevait son œuvre.

 

L’administration lui a décerné une mention honorable et réservé une allocation exceptionnelle sur le fonds commun pour avoir fait preuve d’un tel dévouement et d’un si réel attachement à ses obligations professionnelles.»

 

Une nouvelle consultation du fichier patronymique fut opérée puisqu’il s’avérait que le préposé des douanes s’appelait Cailloux et non Caillaux.

 

Cet agent, prénommé Julien et né le 28 avril 1870 à Saint-Nexans (Dordogne) figurait bien comme préposé à Blaye en 1903 dans le sommier des brigades de la direction de Bordeaux.

 

S’il était fait mention de toute sa carrière, par contre il n’était pas indiqué son acte de courage du 19 mars 1903. Seul son dossier individuel pouvait apporter plus de précisions. Par chance, ce dossier existait toujours dans le fonds de la direction de Bordeaux, en instance de versement aux Archives Départementales de la Gironde.

 

C’est ainsi qu’on apprend que le directeur des douanes de Bordeaux fut informé par télégrammes : à 5 heures 10 que l’Amicitia venait de prendre feu, à 6 heures 10 que le préposé écoreur avait été sauvé, ce qui fut confirmé à 6 heures 30, heure à laquelle le préposé Cailloux terminait son rapport de service en soulignant qu’»en (se) laissant glisser dans l’eau (il avait) perdu son képi».

 

Dès le 20 mars 1903, le lieutenant Pène, de Blaye, dans son rapport au sous-inspecteur à Bordeaux, écrivait : «le préposé écoreur Cailloux en prenant la fuite a pu emporter le sac contenant la pince à plomber, des plombs et une pelote de ficelle ainsi que le carnet d’écor, mais en enjambant le dessus de la lisse son képi a été enlevé de sa tête par un hauban et est retombé à bord de l’Amicitia où il a disparu au milieu des flammes. Des propositions seront faites pour lui faire obtenir le remboursement du prix de cet objet. M. le Directeur a été tenu au courant de cet événement par deux télégrammes que je lui ai expédiés».

 

Le 21 mars, le directeur de Bordeaux, faisant état des comptes rendus de la presse locale, et notamment du journal La Gironde, qui signalait que le préposé Cailloux «avait au péril de sa vie sauvé les papiers du navire enfermés dans la cabine du capitaine», demandait au sous-inspecteur divisionnaire à Bordeaux-Blaye des renseignements détaillés pour apprécier si Cailloux «méritait une récompense».

 

Le rapport circonstancié et accompagné de croquis du sous-inspecteur, daté du 27 mars, confirma les affirmations des journalistes et proposa un témoignage de satisfaction pour Cailloux qui avait «fait preuve de sentiments louables d’humanité (…) et d’un zèle plutôt téméraire … mais n’avait contribué à aucun acte de sauvetage». Aussi, le 31 mars, le directeur Lavie accorda le témoignage de satisfaction à Cailloux, tout en informant la Direction Générale de la conduite du préposé.

 

Le 15 avril 1903, le directeur général, M. Brunet, répondait que Cailloux s’était «créé des titres à une mention honorable…» et qu’en procédant dès son arrivée à terre au scellement de la gabare chargée ainsi qu’à la mise à l’abri de la cargaison – par souci des intérêts du Trésor – il lui était donc alloué en récompense la somme de 200 francs, prise «sur le fonds commun des saisies de l’année courante».

 

Ce «dossier» de l’Amicitia, réouvert à partir d’une demande formulée par une personne curieuse du passé de sa famille et orientée à propos par des services d’Archives, constitue presque un cas d’école. Il illustre parfaitement non seulement l’enchaînement des recherches qui peuvent être conduites grâce aux fonds du Centre de Documentation Historique, mais aussi la possibilité de découvrir des documents de valeur historique dans les dossiers du personnel.

 

 

Nelly Coudier et Michel Boyé

 

 


 

Cahiers d’histoire des douanes

 

N° 19

 

Octobre 1998

 


 

 


 

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