Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
Amabilités douanières
A la fin de 1804, Mme de Boigne, qui avait émigré en Angleterre, revint en France via la Hollande.
Le blocus continental commençait à se dessiner, et la douane française avait une réputation de redoutable efficacité. La scène se passe au voisinage d’Anvers, alors sous contrôle français.
On m’avait fait peur de la sévérité des douaniers, et j’étais d’autant plus effrayée d’avoir affaire à des commis français que mes rapports avec ceux de l’Alien-Office, au moment de mon départ d’Angleterre, m’avaient paru fort désagréables.
Or, si les Anglais étaient malhonnêtes (1), qu’avais-je à attendre de commis français ? Monsieur de Sémonville m’avait bien donné une lettre de recommandation, mais cependant le coeur me battait en arrivant au premier poste français.
On me pria très poliment d’entrer dans le bureau; j’y fus suivie par mes femmes. Ma voiture était censée venir de Berlin. Comme anglaise, elle aurait été confisquée ; mais, en qualité d’allemande, elle passait en payant un droit considérable. Pendant que je l’acquittais, les jeunes gens de la douane admiraient cette voiture, qui était très jolie :
« C’est une voiture de Berlin, dit le chef.
– Oui, monsieur, regardez plutôt, c’est écrit sur tous les ressorts ». Je devins rouge comme un coq en suivant leurs regards et en voyant imprimé sur le fer : Patent London. Ils se prirent à sourire, et je payai la somme convenue pour ma voiture allemande. Pendant que le chef enregistrait et me délivrait les certificats, un autre s’occupait de mon passeport et me faisait un signalement très obligeant mais qui me tenait assez mal à mon aise. Le chef s’en aperçut, et, levant à moitié les yeux de dessus son papier :
« Mettez jolie comme un ange; ce sera plus court et ne fatiguera pas tant madame ».
Un employé subalterne avait à moitié ouvert une des bâches de la voiture, sans même la descendre; je lui glissai deux louis dans la main; un des commis rentra un instant après et me les remit en me disant avec la plus grande politesse :
« Madame, voilà deux louis que vous avez laissé tomber par mégarde ».
Je les repris, un peu honteuse. Enfin tout semblait terminé à ma plus grande satisfaction lorsqu’ils s’avisèrent que le fouet de mon courrier était anglais. Ils me montrèrent London écrit sur le bout d’argent dont il était orné; sans doute je l’avais acheté dans quelque endroit où les marchandises anglaises étaient admises, mais, en France, elles étaient prohibées et leur devoir ne leur permettait d’en laisser passer aucune. Nous gardâmes tous notre sérieux à cette dernière scène du proverbe. Ils me souhaitèrent un bon voyage et je partis très étonnée d’avoir trouvé une si obligeante et si spirituelle urbanité là où je ne m’attendais qu’à des procédés grossiers jusqu’à la brutalité.
Extrait des Mémoires de Mme de Boigne, tome l – pages 188 à 190 – (Emile-Paul 1921)
Note:
(1) Au sens d’impolis (note de 1984).
La Vie de la douane
N° 196
Mars 1984