Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
Le Grand Tonneu de Metz
L’article que nous publions ici est le condensé d’une importante étude que Roger Corbaux (dont les qualités d’historien de la douane sont bien connues désormais) a consacré au «Tonlieu» perçu à Metz au XIIe siècle. La dénomination générale de «tonlieux (telonea), dérivée du grec Telonion s’était peu à peu substituée au vieux mot latin portorium et désignait les taxes diverses de douanes, octrois et péages qui frappaient dans I’Empire romain le transport des marchandises.
On peut en effet considérer que les taxes romaines sur les ponts, les routes, les ports terrestres ou maritimes ont en quelque sorte été remplacées par les tonlieux. Linguistiquement c’est surprenant puisque l’on passe d’un terme latin à un terme plus ancien en grec! Je rappelle que ZOLL et TOLL dérivent du même mot grec télonéion.
NDLR Bulletin de l’AHAD- Avril 1981
Metz, l’antique cité des «Médiomatriques», devenue Divodorum par la conquête romaine est, à la veille des invasions barbares une des toutes premières cités de la Gaule. Au cœur d’une région de très haute romanité, la ville occupait une situation privilégiée au confluent de la Seille et de la Moselle; elle constituait également le carrefour des grandes voies romaines vers Trèves, Strasbourg, Toul, Verdun et Reims et tenait ainsi une des premières places dans les échanges commerciaux de la région.
Par sa puissance militaire, son importance commerciale, sa population, le raffinement de sa civilisation, Metz n’avait d’égale que dans les villes de la péninsule italienne.
Les douanes y avaient un rôle actif et l’on a trouvé trace des perceptions qu’elles opéraient sur la Moselle où la guilde des bateliers (les nautae mosallici) effectuaient des transports commerciaux intenses. On a gardé le nom d’un receveur des douanes Marcus Secondanus qui fut aussi sevire augustale, c’est-à-dire prêtre de l’Empereur.
En 451 Attila franchit le Rhin et brûle tout sur son passage. Que reste-t-il de Metz ? On ne sait guère : un ou deux siècles obscurs passent. Quand elle se relève de ses ruines, au cœur des royaumes francs d’Austrasie et de Lotharingie, elle a conservé sa population et son identité gallo-romaine; elle a néanmoins perdu son nom latin et passablement arrangé à sa façon la langue de Plaute et de Térence. Le partage des héritages francs l’a placée dans la Germanie. Les institutions romaines ont bien survécu et à l’époque mérovingienne et carolingienne, la ville n’a rien perdu de son importance économique.
Des employés royaux perçoivent encore ou de nouveau dans leurs Stationes» des droits de douane sur les marchandises importées ou en transit. Une charte de Charlemagne de 775 en atteste qui règle un litige douanier en fixant les droits respectifs des employés du roi et de ceux de l’Evêque en matière de perception des droits.
Des documents du XIle siècle témoignent encore de l’importance de ces perceptions en évoquant l’existence très ancienne d’une foire annuelle à l’occasion de laquelle on perçoit le Telonium qui est à la fois droit de circulation et de transit sur les marchandises et droit de place sur le marché, annuel quand la foire était annuclle, c’est le «censum de an- nuale marcato», puis ponctuel lorsque les foires se multiplièrent.
L’histoire des douanes au moyen âge, c’est l’histoire des foires et celles-ci se multiplient à travers toute l’Europe à partir du Xe siècle. On en connaît de nombreuses et très anciennes à Metz grâce surtout aux documents douaniers fournis à l’occasion des nombreux litiges qui portaient sur la répartition des perceptions douanières et dont l’histoire a gardé trace.
Les premiers éléments d’une réglementation douanière sont connus par un procès qui opposa en 1214 les chanoines de la Cathédrale et le bailli de la ville à des marchands «hominibus de Hyoio et alliis qui teloneum in civitate Metensi negotiantes eis solvere renucbant…. Les marchands (de Hui en Belgique ?) prétendaient bénéficier d’une franchise de douane parce qu’ils possédaient des maisons dans la cité. On profita d’un séjour à Metz de Empereur Frédéric Il pour ui demander de tancher le litige. C’était en décembre 1214, le quatrième jour avant les calendes de janvier.
Les contestations ne devaient d’ailleurs plus cesser; elles ne portent jamais sur la quotité des droits ni sur la nomenclature des marchandises mais seulement et toujours sur les modalités de répartition du produit entre les diverses autorités de la Cité, de la cathédrale, de l’Evèque et les corporations des métiers de la ville. Cette série de procès qui se succèdent au cours des ans a permis la conservation de documents précieux pour l’histoire des douanes, sans doute comme pièces à conviction ou comme élěments de preuve. Un certain nombre de tarifs nous sont ainsi parvenus, actuellement conservés partie aux Archives départementales de la Moselle, partie aux Archives Municipales. Ils sont constitués par plusieurs parchemins en rouleaux ou fragments de rouleaux, certains très altérés, d’autres en bon état de conservation et partaitement lisibles pour peu qu’on puisse déchiffrer l’écriture médiévale messine. Des transcriptions plus ou moins complètes en ont été réalisées à diverses époques, chacun des différents historiens paraissant avoir eu le souci d’en réaliser une synthèse pour présenter le tarif le plus compltet possible.
L’un d’entre eux porte comme titre :«C’est ly droictures du Tonneu de Metz» et cette mention qui permet de le dater :
« C’est parchemin fut traict du vielz rôle que fut faict en l’an que le milliare courroit par MILII C et XXXVII ans »; un autre porte la date de 1227, un troisième 1451 : c’est le tarif des droits de Tonlieu appelé ici Tonneu et plus particulièrement Grand Tonneu.
La transcription qui en est présentée ci-après est celle d’un chroniqueur messin du XVIe siècle qui paraît être une des meilleures, quoi que déjà à cette époque on semble avoir perdu le sens de certains mots écrits en très ancienne langue austrasienne. La nomenclature originale ne se présente pas tout à fait dans l’ordre qui lui est ici donné : elle est entrecoupée d’éléments de réglementation qu’il n’a pas paru utile de reproduire dans cette courte étude et qui ont trait aux exemptions et franchises et surtout à la répartition du produit des douanes. Cette réglementation fournit à l’historien de précieuses indications sur l’organisation politique et administrative de la cité et il est un peu artificiel de la dissocier de la nomenclature proprement dite.
Ce tarif présente cependant en tant que tel un grand intérêt. Peut-on le considérer comme le plus ancien tarif des douanes de France ? Certainement dans la mesure où l’héritage de Metz est français et où les notions de frontière n’avaient pas au XIIIe siècle tout à fait la même signification politique que maintenant. Néanmoins, il ne se rattache pas à la tradition douanière française puisqu’il faut attendre le règne de Charles IV le bel pour trouver, dans une ordonnance du 13 décembre 1324, l’esquisse d’un premier tarif des douahes de France, Metz est en cette matière bien plus évoluée que le royaume francs : elle n’a jamais négligé son commerce.
Cette nomenclature apporte une contribution essentielle à l’étude des relations commerciales de l’époque : elle permet de connaître la nature des objets de commerce et l’importance des transactions (on ne taxe que ce qui se vend couramment). Les indications qui sont données dans les éléments de réglementation quant aux dates des foires et aux villes avec lesquelles s’effectuaient les échanges permettent d’en situer l’importance et l’étendue de leur diffusion. Grâce à un simple tarif douanier, c’est toute une civilisation qu’il est ainsi possible d’appréhender. Cette appréhension n’a cependant qu’une portée très limitée si elle n’est pas poursuivie et approfondie par une comparaison avec tous es autres documents douaniers existant à la même époque et aux époques ultérieures afin de situer géographiquement la điffusion des échanges et leur évolution dans le temps.
Le champ d’investigation des historiens de la douane est certainement encore très vaste. Bien peu de choses ont été faites jusqu’à présent en ce domaine et souvent cantonnées à I’intérieur des frontières actuelles qui n’ont aucun sens dans une approche du monde médiéval.
La bizarrerie du choix des éléments de taxation est un autre sujet de réflexion : les marchandises sont taxées d’après le moyen de transport (le char, la charrette, le bateau), la mesure de capacité (la waulgue, le muid, le lay),le nombre (le cent) ou le nombre et la valeur (le cent de cordowans rouge doit 4 deniers par livre). On peut rêver aux contestations que l’application de tels principes ne pouvaient que soulever et à la difficulté (déjà) déjà d’être douanier ! Il est vraisemblable que chaque époque n’a fait qu’ajouter, en fonction de l’évolution économique et de ses besoins fiscaux, tout en conservant ce qu’avaient élaboré les précédentes.
Ainsi la taxation au moyen de transport, la plus ancienne connue, pourrait très bien remonter aux «vegtigalia Galliarum» qui se percevaient déjà aux frontières extérieures de la Gaulle, lorsque Jules César en réalisa la conquête.
A travers les contestations et les procès de toutes sortes qui se poursuivent au fil des années, il est possible de suivre jusqu’à son terme l’évolution du tarif douanier messin.
Enjeu de la rivalité entre Empire et Royaume, Metz est placee en 1552 sous la «protection» du Roi de France; la douane est l’apanage de la souveraineté des Etats; celle-ci perdue, le tarif se corrompt : aux taxations des marchandises on ajoute des impôts sur les transactions. Un vocable nouveau fait son apparition dans le langage fiscal :la maltôte. La malôte, c’est la mâle perception, l’exactio injusta, le Ungelt traduit en langue populaire. Dès qu’elle est admise, la porte est ouverte aux droits indirects qui frappent tout ce qui se consomme, soit forain soit indigène. Une gabelle de plus que suivent des droits d’usage, les octrois, la bulette (droit de sceau) etc…
Dès le XVe siècle, le Tonneu est considéré à Metz comme une maltôte sur les transactions; à la veille de la révolution il subsiste encore comme simple droit de place sur les foires et les marchés. Il sera définitivement aboli avec les douanes inérieures et les tonlieux
Roger Corbaux
Bulletin de l’AHAD
N°2
Avril 1981