Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
La douane et l’aviation – 1ère partie : 1900 – 1913
L’invention et le développement du chemin de fer et de l’automobile, la mécanisation de la navigation maritime, au cours de la seconde moitié du 19e siècle, puis par la naissance de l’aviation au début du 20e siècle ont entraîné un accroissement rapide et sans précédent des échanges commerciaux et des flux de voyageurs. La multiplication des liaisons internationales a nécessité de la part de l’administration des douanes une adaptation régulière de ses capacités d’intervention aux plans juridique et matériel.
Nombre de villages et de villes durent leur développement et leur notoriété à la construction d’une nouvelle route, d’un pont, d’un tunnel, d’une voie de chemin de fer, à l’établissement d’une liaison maritime ou aérienne et à l’implantation concomitante d’une brigade ou d’une recette des douanes chargée de contrôler les flux induits par ces nouveaux modes de communication.
Si certains noms de communes (1) situées aux frontières intérieures de la communauté européenne n’évoquent presque plus que des souvenirs qui s’éloignent, depuis 1993 notamment, et depuis plus longtemps encore sur l’ancienne frontière franco-alsacienne (2), d’autres sites ont conservé intacte l’image de villes frontalières (3) qu’elles avaient à leur origine. Même si nous n’en avons pas toujours le sentiment, il en est plus particulièrement ainsi des communes accueillant sur leur territoire des aérodromes.
Au début du siècle, les progrès rapides de l’aviation ont modifié le bon ordonnancement des schémas d’organisation et de fonctionnement mis en place par la douane en frontière. Il n’y avait que des frontières terrestres et maritimes sur lesquelles les brigades et les bureaux de douane s’adossaient depuis des siècles. Il y aurait désormais des frontières aériennes dont la première des caractéristiques serait son impalpabilité.
Au vu des éléments d’information en ma possession, les douaniers furent confrontés à l’intrusion régulière des premiers ballons et dirigeables aux frontières de l’Est dès 1900, à l’atterrissage des premiers avions sur les frontières du Nord et de l’Est à compter de 1910. Ces rencontres insolites se déroulaient en des lieux qui pour la plupart n’évoquent plus la présence de la douane qu’aux seuls « historiens du dimanche » que nous sommes, selon l’expression de Philippe Ariès.
Les développements rapides de ce que l’on appelle au début du siècle dernier « la locomotion aérienne » n’ont pas pris de cours l’administration des douanes. Ces perspectives ont bel et bien été mesurées et prises en compte à des degrés divers dès 1908, alors même qu’aucun avion ne pouvait demeurer plus de 80 secondes en l’air et parcourir en circuit fermé un vol de plus d’un kilomètre (4).
Mes recherches ont débuté chez un marchand de Mulhouse, il y a quelques années par l’achat d’une carte postale ancienne.
Bruno Hamon
Le document
Il s’agit d’une carte postale (document n° 1) éditée par les imprimeurs Réunis de Nancy (5). Au verso de ce document signé des frères Hartmann, une scène très animée où l’on devine une centaine d’hommes et de femmes figés pour la postérité. Au premier plan, apparaît un groupe assez hétéroclite composé d’une dizaine de personnes. Dans le ciel, un aéroplane. Au recto, une correspondance anodine. Cette carte postale est des plus intéressantes. Ce document est en France, sinon le premier, en tout cas parmi les tous premiers à mettre en scène des douaniers et un aviateur. Nous sommes le 10 août 1910.
Où ?
Cette photographie a été prise à Moncel (document n° 2), commune située à 20 kilomètres de Nancy. Ce village sans relief particulier est entré dans l’histoire de France comme tant d’autres des départements de Moselle, du Bas Rhin et du Haut Rhin en 1871.
D’un trait de plume verte (6), par la volonté des diplomates qui définirent les nouvelles limites entre les belligérants, lors du traité de Francfort (7) le 10 mai 1871, ce village devint un point frontière entre l’Allemagne et la France. Dans le même temps, Pettoncourt, petite localité voisine située de l’autre côté de la Seille, un affluent de la Moselle, devenait allemande.
La France, contrainte, se séparait de l’Alsace et la Lorraine (8). En 1910, Moncel comptait quelques centaines d’habitants dont une poignée de douaniers installés là depuis près de quarante ans (9).
Quand ?
Ce document a été édité et mis en circulation entre le 11 août 1910 au plus tôt, puisque cette photographie a été prise le mercredi 10 août et le 29 août 1910, comme l’indique le cachet de la poste de destination au verso. 1910. Voilà près de quarante ans que l’Alsace et la Lorraine sont allemandes. La présente du drapeau français sur ce document témoigne d’une période de l’histoire de l’annexion de l’Alsace et de la Lorraine.
Si «… la plupart des Alsaciens se résignaient à vivre avec les Allemands… puisqu’aucun changement de la situation politique n’était prévisible… » et que personne n’imaginait en découdre par les armes (10), de l’autre côté de la frontière ceux que l’on appelait « les Français de l’intérieur », à la lueur d’événements tragi-comiques, encouragés par une propagande habile, étaient pour nombre d’entre eux entretenus dans un esprit de revanche.
Les tensions entre l’Allemagne et la France sont réelles (11). Celles ci se manifestent de multiples manières, en de nombreux endroits, et se catalysent assez naturellement aux abords de la frontière (document n° 3) entre l’Empire allemand et la République française, ligne verte devenue ligne noire.
Le drapeau tricolore exhibé ici n’a probablement pas pour seul objet d’honorer le vainqueur de la course, le français Legagneux. Il faut peut-être y voir également une manifestation de nationalisme aux abords d’une frontière contestée et qui ne tarderait pas très longtemps encore à s’embraser (12).
Qui ?
En arrière plan sur la route enjambant la Seille, une foule de promeneurs du dimanche, hommes et femmes qui regardent pour la plupart dans la direction du photographe. Dans le ciel en incrustation, par montage un aéroplane. Il s’agit là d’une technique très courante. Preuve en est, ici personne ne regarde dans la direction supposée de l’avion.
Au premier plan, un groupe de quatorze personnes.
En partant du centre de l’image, matérialisé par une borne frontière (13), sur laquelle sont posées trois bouteilles de bière, on peut identifier les personnages suivants. Au centre, tenant la hampe du drapeau, un douanier français appartenant probablement à la brigade de Moncel. À sa gauche, un lieutenant des douanes (14) tenant un verre de bière à la main et trinquant avec son voisin, un homme de grande taille en tenue de ville qui n’est autre que Legagneux, le vainqueur du Prix de la Frontière. De l’autre côté du drapeau, reconnaissable à sa tenue, sa barbichette et son attitude, un notable. S’agit-il du maire, d’un organisateur de la course, d’un directeur de journal ou d’un receveur des douanes ? À ses côtés, tenant une extrémité du drapeau, un garde champêtre probablement, puis quatre autres personnages qui n’ont pu être identifiés dont une femme. Quelque peu détaché de ce groupe, un brigadier des douanes, tenant en sa main gauche des jumelles binoculaires (15). À ses côtés, dominant la situation, comme pour mieux affirmer la présence de la France, probablement un militaire à cheval, d’un régiment avoisinant. Enfin trois hommes posant pour la postérité.
De quoi s’agit-il ?
Au recto de ce document, en haut à gauche, on peut lire : « Pont frontière, Moncel Pettoncourt. Circuit de l’Est, 10 août 1910, Legagneux, gagnant du grand Prix de la Frontière ».
Le circuit de l’Est fut la première grande course aérienne française. Cette épreuve était organisée par le journal parisien « Le Matin ». Disputée en dix jours, cette course comportait six étapes et reliait successivement Troyes, Nancy, Mézières, Douai, Amiens avant de regagner Paris. Le 7 août 1910, huit pilotes prirent leur envol du champ de manœuvre d’Issy-les-Moulineaux. Dans chacune de ces villes, on se presse en famille pour voir et applaudir ces héros modernes. L’événement est considérable, le public, nombreux, la presse enthousiaste.
À l’occasion du Prix de la Frontière, plusieurs cartes postales, dans la même série furent éditées. L’une d’entre elles présente au même endroit la frontière franco-alsacienne matérialisée par la Seille. De part et d’autre, une foule imposante, et sur les berges se faisant face un groupe de douaniers français et deux douaniers allemands armés de leur traditionnel fusil.
L’impact de cette course est tel que les commentateurs de l’époque comparent cette première à l’exploit que Louis Blériot réalisa un an plus tôt en traversant la Manche.
Notre pays était alors un des berceaux de l’aviation moderne. Aux tentatives succédaient les premières, et aux premières les exploits.
Les autres nations européennes connaissaient le même engouement.
De l’autre côté de la frontière, en Alsace, partie d’Empire, à Habsheim exactement, village situé près de Mulhouse, eut lieu les 2, 3 et 4 juillet 1910 la première grande manifestation aérienne de la région. Sept pilotes, allemands, italiens, français et suisses s’alignèrent au départ malgré un temps désastreux, près de cinquante mille personnes assistèrent à cet événement !
La ville d’Habsheim comptait au début du siècle dernier 2000 habitants et abritait un champ de manœuvre de l’armée allemande. C’est à cet emplacement, qu’en 1909, les Mulhousiens Jules Spengler, Georges Chatel et le Berlinois, natif de Dampierre sur le Doubs, Henri Jeannin, installèrent leur école de pilotage. Ces chefs d’entreprises, tous trois passionnés de mécanique et d’aviation, n’avaient cependant jamais piloté. Ce fut Émile Jeannin (document n° 4), frère du fondateur et sportif émérite, tout à la fois, coureur cycliste, pilote automobile et de canot à moteur qui devint le premier pilote de la compagnie en obtenant son brevet à Berlin le 27 avril 1910 sous le numéro 6. La société à responsabilité limitée de droit allemand Aviatik (Automobil Aviatik Allgemeine Geselllschaft) était née.
De 1909 à 1918, cette firme y construit sous licence des biplans civils et militaires, forme nombre de pilotes qui s’illustrent jusqu’au péril de leur vie, assurant le renom de la société Aviatik.
Ainsi le 27 septembre 1910, Émile Jeannin remportait sur un biplan de sa fabrication la course entre Trèves et Metz (document n° 5). Le 23 mai 1911, un autre pilote de la compagnie Charles Laemmlin, plus téméraire ou moins chanceux, se tuait lors d’un meeting au polygone à Strasbourg. Le 12 septembre 1913, Arthur Faller, un jeune pilote originaire de Schönau, un village d’outre Rhin, « inventait la poste aérienne » (16) en transportant pour la première fois du courrier entre Mulhouse et le Feldberg, point culminant de la forêt Noire, de l’autre côté du Rhin. En 1914, Charles Ingold établissait une nouvelle performance mondiale en reliant sans escale Habsheim à Munich…. Herman Goering alors jeune pilote en avait fait son « point d’attache personnel ». L’on dit même que William E Boeing, le célèbre constructeur aéronautique américain a pu se rendre en 1910 à Habsheim en compagnie de son oncle un industriel mulhousien. Il avait alors 28 ans. Habsheim était alors un haut lieu de l’aviation en Alsace, en Allemagne.
L’aérodrome d’Habsheim était promis à un bel avenir. Redevenu français, il fut ouvert au trafic international en 1925. La brigade des douanes voisine de Kembs y intervenait à la demande. Cependant, les événements politiques et économiques de l’entre-deux guerres en décidèrent autrement. Son développement fut interrompu au moment même où l’aviation commerciale prenait son essor à la défaveur de la grande dépression qui paralysait la France, et plus cruellement encore son voisin allemand dans les années 1930.
Le projet d’installation d’un aéroport franco-suisse, en territoire français, au plus près de la ville de Bâle, à la veille de la seconde guerre mondiale, puis la réalisation effective de celui ci en 1946 tout près de là, à Blotzheim, acheva toute perspective d’agrandissement pour l’aéroport Habsheim. Mulhouse-Habsheim était au fil du temps devenu l’aérodrome d’attache de l’aviation légère tandis que l’aéroport de Mulhouse-Bâle ne cessait de prendre de l’ampleur.
Que signifie la présence des douaniers français à Moncel sur Seille près de cet aviateur ?
En 1910, rien de très particulier à vrai dire.
Il n’entre pas encore dans les attributions de l’administration des douanes de contrôler les mouvements d’aéroplanes. La raison en est simple. Même si ce phénomène nouveau retient aussi bien l’attention de constructeurs que de pilotes passionnés, de mécènes que d’une presse enthousiaste, d’un public qui se déplace en nombre aux premières manifestations que de l’Armée, ce que l’on désigne alors sous l’expression « locomotion aérienne » bien que se développant de jour en jour n’atteint pas encore une ampleur telle qu’il faille réglementer en la matière.
Les aéroplanes ne transportent aucune charge utile. Il relève encore de l’exploit d’emporter un passager. Cependant…
En vérité, tout commence avec Blériot (document n° 6), l’année précédente.
Tout commença avec Louis Blériot le 25 juillet 1909, lorsque l’intrépide et déjà expérimenté pilote de Douai franchit en trente-trois minutes la distance séparant Calais de Douvres, de l’autre côté de la Manche.
D’un strict point de vue technique, ce vol ne constituait pas une nouvelle performance. Depuis plus d’un an déjà des aéroplanes de ce type pouvaient parcourir en une seule fois près de cent kilomètres. Blériot n’était pas non plus le premier à franchir le Channel à l’aide d’un plus lourd que l’air. En 1785, le 7 janvier, le français Jean Pierre Blanchard (17) et l’américain John Jeffries l’avaient fait, en ballon à air chaud mais en sens inverse, de Douvres à Calais.
Le vol de Blériot eut à l’évidence une dimension symbolique extrêmement forte que les commentateurs de l’époque surent percevoir.
Gaston Calmette, directeur du Figaro ne s’y trompa pas et écrivit en première page de son quotidien dès le lendemain de la traversée de la Manche ces mots : « Quelle noble joie a dû éprouver M. Blériot du haut de ce simple petit monoplan dont le moteur vibrait dans l’espace conquis… Ce qui doit nous troubler, avant tout, devant ces victoires de la science, c’est la conséquence qu’elles laissent deviner pour nos destinées. Que deviendront les lois des hommes, les barrières de leurs douanes (18).
Blériot dira simplement : « Je vais, je vais tranquillement sans aucune émotion, sans aucune impression réelle. »
Ce simple vol emportait une dimension inconnue : que deviendraient les frontières avec l’aéroplane (document n° 7) ?
Georges Thomas Camburn (1868-1951) fut le premier douanier au monde à être confronté à cette question : comment traiter sur le plan pratique ce nouveau moyen de transport qu’aucune réglementation particulière ne venait encadrer ? Et les douaniers de sa très gracieuse majesté de rendre compte. Plusieurs transmissions furent adressées le jour même.
Voici la première.
Customs Dover
25 July 1909
I have to report that M. Bleriot with the monoplane successfully crossed the Channel from Calais this morning, and landed in a meadow at the base side of Dover Castle, about 2 miles from our Watch House shortly after 5 am, having occupied 33 minutes in crossing…
I visited the spot where he landed at 6.30 am, and got into conversation with an individual largly interessed in the wright aeroplane who gave it as his opinion that although airships will never come into commercial use, there are great possibilities in store for them, and I think that a tune may come when this departement will have to treat their arrival seriously, and take steps to ensure that no opportunity be given for Revenue interests to suffer through indiscriminate landings of airships in this country.
Voici la deuxième
« Monsieur le Receveur,
À l’arrivée du monoplan de Calais, le préposé de service a posé les questions d’usage à Monsieur Blériot et lui a délivré un certificat de quarantaine, assimilant son appareil à un navire de plaisance et l’aviateur à un capitaine et propriétaire de navire
Votre obéissant serviteur Johnson »
La démarche des douaniers anglais est pragmatique. Sur le plan réglementaire, ce nouveau moyen de transport est immédiatement assimilé aux navires maritimes. D’ailleurs, dès la fin 19 e siècle, on peut constater que les expressions (19) qui s’appliquent à la locomotion aérienne empruntent délibérément au vocabulaire maritime. La navigation maritime donne naissance à la navigation aérienne.
Pour qualifier un des premiers ballons dirigeables mis au point en 1851, on emploie l’expression de navire (1080) aérien. Le premier aérodrome (1868) au monde fut construit près de Paris à Juvisy en 1908. Il s’appelait « Port Aviation ». Pour décrire les premiers avions de ligne, qui dans les années 1920 emportaient dans leur fuselage quelques passagers, on parle de paquebots aériens (1900). Pour évoquer les premiers avions gros porteurs on reprend l’expression d’avions cargos (1906, de l’anglais cargo boat).
Pour désigner l’ensemble des installations aménagées pour traiter le trafic aérien, on emploie l’expression de port aérien, puis d’aérodrome (1922). Les compagnies aériennes emploient au sol, afin d’assurer la bonne rotation des avions, des chefs d’escale (1507). La hiérarchie des grades de l’Armée de l’Air, au début du siècle, comprenait des lieutenants de vaisseaux (1180). Sous le terme d’équipage (1400), on reprend le commandant de bord (1112), les copilotes (1368), les hôtesses et stewards (mot anglais créé en 1846 pour désigner ceux qui font office de maîtres d’hôtel et de garçon à bord des paquebots).
On dit aussi que les passagers prennent place à bord munis de leur carte d’embarquement (1511). Et lorsqu’il s’agira de qualifier les documents douaniers que l’aviateur doit détenir avec lui pour décrire les marchandises qu’il emporte dans son avion (1890) on parlera de manifeste (1911), comme par voie de mer.
La douane française procède comme la douane britannique, avec réalisme, retirant des réglementations douanières appliquées aux navires ou aux véhicules terrestres ce qui pouvait permettre d’appréhender ce nouveau moyen de transport. La conduite et mise en douane des aéronefs tient compte à la fois des mesures adoptées en matière terrestre (emprunt de parcours définis (20)) et des modalités appliquées en matière maritime (mise en place de manifestes, d’autorisations de déchargement…).
Quelles étaient les missions des douaniers en matière aéronautique ?
Il serait partiellement inexact de dire qu’en 1910, les douaniers n’avaient pas à connaître des mouvements aériens. Dans les trois domaines suivants, ils pouvaient être amenés à intervenir.
Le signalement des mouvements d’aérostats
Ils participaient tout d’abord au signalement des mouvements d’aérostats étrangers.
Sur la frontière franco-alsacienne (document n° 8), au début du siècle, à la faveur des développements techniques, on enregistre des passages de ballons allemands et des premiers dirigeables Zeppelin.
Toute intrusion, souvent menée au gré des vents qui ignorent les frontières, ou bien préméditée, au fur et à mesure que les ballons deviennent dirigeables, et, connue du service, doit être signalée à l’autorité militaire.
Voici ce que rapporte le sous-inspecteur divisionnaire des douanes de Remiremont dans un courrier qu’il adresse au sous-préfet de Remiremont destination de l’autorité militaire, le 31 mars 1900.
« Un grand ballon monté par quatre hommes que l’on suppose être des officiers allemands en tenue bourgeoise a franchi venant de l’Est la montagne du Rosberg, est descendu sur Plainfaing où il ne se trouvait plus qu’à 60 ou 80 mètres au-dessus des maisons, pour ensuite, après avoir jeté du lest, s’élever à une grande hauteur et de diriger vers Rovémont… Au-dessus de Plainfaing les hommes qui se trouvaient dans la nacelle de forme rectangulaire, auraient lâché à deux reprises des pigeons qui auraient pris immédiatement la direction de l’Alsace… Certaines personnes croient que ce ballon était un dirigeable ou tout au moins que les personnes qui le montaient lui imprimaient une direction bien arrêtée… »
Depuis le siège de Paris en 1871, français et allemands testent leurs capacités offensives et défensives (document n° 9).
Aux missions en temps de guerre succèdent des missions de temps de paix. En 1911, le dirigeable Adjudant Réau quitte Paris pour un voyage de reconnaissance sur les frontières de l’Est. En 21 heures, sans escale, il accomplit son périple sans encombre. Toutes les incursions ne se soldent pas aussi facilement (document n° 9).
Le journal l’Estafette rapporte dans ces colonnes le 4 mai 1909 des faits de même nature :
« Dans nos nouvelles « à travers la ville » nous informons nos lecteurs qu’un ballon est passé samedi matin, au-dessus de St Dié, se dirigeant vers la frontière. On avait cru tout d’abord que c’était un aérostat allemand venu en France et ramené par le vent de l’Est, mais on a su, depuis, que c’était un ballon français le Saint Louis, cubant 2200 mètres, parti vendredi soir, 30 avril du parc de l’Aéro Club, à Saint- Cloud, près de Paris.
D’autre part, voici les renseignements officieux qui nous ont été communiqués :
Stuttgart, 3 mai.
« Le Saint-Louis, ballon français, piloté par M. Ernest Barbotte, accompagné de MM. de Vilmorin et de Larentz-Thozolan, a passé la frontière franco-allemande, au dessus du col du Bonhomme, le samedi 1er mai, vers huit heures du matin.
Après avoir plané sur l’Alsace, ce ballon a atterri, le jour même, vers midi à Pfersbach, en Wurtemberg.
Conduits par un gendarme, devant le commissaire spécial et quelques officiers de la garnison, les aéronautes furent minutieusement fouillés ; le lieutenant chargé de cette mission leur déclara qu’on agissait ainsi, en réponse aux 500 francs réclamés par la douane française, à des aéronautes allemands.
Finalement, M. Ernest Barbotte et ses compagnons ont pu reprendre le train pour Paris ».
On voit ici précisément apparaître la deuxième mission des douaniers français : la taxation des aérostats étrangers.
La taxation des aérostats étrangers
Selon des instructions émises par l’administration centrale en avril 1909, les « aérostats d’origine étrangère qui atterrissent en France doivent en principe, être soumis au payement des droits. Toutefois, lorsqu’il n’existe aucun soupçon d’abus, ils peuvent être admis sous le régime de la consignation ». Au paiement des droits, l’administration substitua la consignation en novembre 1909.
Quelques années plus tard, en 1912, afin de procéder à la taxation, deux barèmes furent établis. Le premier concernait les ballons sphériques, le deuxième, les ballons dirigeables. La taxation des ballons prend en compte de nombreux éléments d’appréciation tels que le poids de la nacelle, la nature du tissu de l’enveloppe…
Les atterrissages se multiplient de part et d’autre de la frontière franco-allemande. Octobre 1910 (21), le capitaine Engelhardt se pose en France (document n° 11).
Enfin, lorsque les douaniers ne participent ni au signalement d’aérostats ou d’aéroplanes étrangers, ni à la taxation des aérostats, il leur arrive d’être requis pour des missions s’apparentant si ce n’est à du maintien de l’ordre, pour le moins à de la surveillance active.
La surveillance des aéronefs
Entre 1910 et 1912, les douaniers postés sur la frontière franco-allemande, dans le secteur compris entre Nancy et Lunéville signalèrent à plusieurs reprises la présence d’aéroplanes militaires allemands (documents n° 12 et 13).
Ces événements sont très suivis par la presse locale et nationale. Les ambiances souriantes et détendues que nous apportent les photographes ne doivent pas nous tromper.
À chaque fois on frôle l’incident diplomatique. De part et d’autre de la frontière, les extrémistes des deux camps veillent. Chaque atterrissage incontrôlé fournit un prétexte de querelle aux éléments les plus nationalistes.
Le plus souvent, sous la houlette du sous-préfet territorialement compétent, les autorités locales ont pour mission de régler ces incidents, à la fois au mieux, des intérêts de l’État, dont l’espace aérien a été violé par des militaires allemands, plus prosaïquement aussi, des propriétaires de champs qui ont pu subir des dommages, du fait de ces atterrissages incontrôlés, et enfin des pilotes eux-mêmes, dont il faut assurer l’intégrité ainsi que celle de leur aéroplane.
Ce fut le cas le 21 avril 1912, lorsqu’un avion militaire d’une escadrille de Darmstadt, piloté par deux officiers allemands, le capitaine De Wall et le lieutenant Von Mirbach, dut atterrir en France, près d’Arracourt, non loin de la frontière (document n° 14).
Les douaniers présents sur les lieux, n’ayant aucune mission fiscale à exercer, puisqu’ aucune réglementation ne s’applique encore aux aéroplanes, s’employèrent à participer à la surveillance de l’avion allemand (document n° 15).
La surveillance de la locomotion aérienne est alors essentiellement une mission de police au sens strict du terme, qui échoit pour l’essentiel à la gendarmerie nationale et à l’armée.
Hasards et ironie sanglante de l’Histoire. Très peu de temps après le début de l’offensive allemande, les bâtiments de la sous-préfecture de Lunéville abritant le médiateur d’un jour, le sous-préfet Lacombe, furent entièrement détruits le 25 août 1914.
Les premières réglementations douanières.
« Le merveilleux essor pris, au cours de ces deux dernières années par la locomotion aérienne a fait ressortir la nécessité de réglementer la circulation des aéronefs »
Ainsi débute le rapport adressé au Président de la République par Victor Augagneur, ministre des Travaux Publics, des Postes et des Télégraphes. Nous sommes en novembre 1911. Divers ministères concernés dont celui des Finances, de l’Intérieur, de la Marine et de la Guerre sont associés au projet de rédaction. La commission permanente de la navigation aérienne, instituée le 28 juin 1910 en vue de l’écriture du premier décret réglementant l’aviation rend ses conclusions.
Voici ce qu’indiquait de premier texte publié en 1911.
Article 24 du décret du 21 novembre 1911 : « Quand un aéronef arrive de l’étranger, le pilote doit immédiatement prévenir le maire de la localité du point d’atterrissage qui veille à ce que le chargement, s’il y a lieu, ne puisse être distrait, ni le matériel emporté avant que les agents du fisc, n’aient pu procéder aux vérifications et aux opérations nécessaires ».
Il s’agit de la première et la seule mesure à caractère douanier de ce décret consacré en son entier à des questions de police et de sécurité. Ces mesures ne furent notifiées au service qu’à compter du 7 août 1912 (22).
Il fallut semble-t-il cependant attendre 1913 pour que la Direction Générale des Douanes publie un premier barème de taxation relatif aux aéroplanes. Le décret du 17 décembre 1913, réglementant la navigation aérienne vint compéter le dispositif mais n’apporta aucune nouveauté en matière douanière.
À la veille de la Grande Guerre, la réglementation douanière existante est réduite à sa plus simple expression mais appréhende déjà toutes les situations, alors même que l’aviation commerciale n’existe pas encore.
Peu ou prou les mêmes réglementations douanières régissent la circulation maritime, aérienne et automobile, autre découverte de ce siècle.
À l’occasion de la première exposition aéronautique mondiale qui se tint à Paris, au Grand Palais, du 24 au 30 décembre 1908, la Direction Générale des Douanes accorda aux sociétés étrangères exposant du matériel les facilités du régime très ancien de l’entrepôt douanier, qualifié alors d’entrepôt réel. L’aéroplane est déjà une marchandise comme une autre. Il faudra encore attendre une dizaine d’années et les débuts de l’aviation commerciale pour que l’avion devienne, pour quelques voyageurs fortunés seulement, un mode de transport comme les autres.
Comme en bien d’autres domaines d’activité, la Grande Guerre eut à la fois sur les événements un effet accélérateur et un effet retardateur.
Les textes de 1913 ne purent être véritablement appliqués. Dans le même temps, les performances des avions se développaient considérablement.
Au sortir de la guerre, un avion pouvait désormais parcourir plusieurs centaines de kilomètres en une seule fois, transporter dans ses soutes plusieurs centaines de kilos de marchandises, et surtout un nombre de passagers qui allait grandissant. En 1922, l’avion reliant quatre fois par jour Paris à Londres, en 2 heures et trente minutes, emportait avec lui 11 personnes et 1500 kilos de fret.
Ainsi débutait une nouvelle ère de l’aviation commerciale. Lors de l’inauguration de la première liaison internationale française Paris-Londres-Paris (23) entre le Bourget et Hounslow, le 24 août 1919, on pouvait trouver au pied de l’avion, un guide de l’agence Cook, un agent des postes et un douanier, en tenue d’été (document n° 17). (à suivre)
Bruno HAMON
Notes et références
1 Braydunes, Ghyvelde, Steenvoorde, Bailleul, Armentières, Halluin-Reckem, Risquons Tout, La Marlière, Touquet les moutons, Wattrelos, Toufflers, Willems, Baisieux, Cysoing… pour n’évoquer que quelques communes et lieux-dits du département du Nord.
2 Wissembach, Avricourt, La Schlucht, Bussang, Petit Croix…
3 Saint Louis, Leymen, Pfetterhouse, Pontarlier, La Cure, Saint Julien en Genevois, Annemasse, Le Bourget…
4 L’année 1908 débute le 13 janvier par un vol effectué par Henri Farman sur un avion Voisin à moteur Antoinette à Issy les Moulineaux et se termine le 31 décembre par un vol de Wilbur Wright d’une durée de 2 heures et 18 minutes sur une distance de 223 kilomètres. À ce titre, les historiens de l’aéronautique s’accordent à considérer que l’ère de l’aviation moderne prend corps à la fin de cette année-là. (Histoire de la locomotion aérienne de L. Hischauer 1937)
5 Cette société nancéienne produisait jusqu’à cent millions de cartes postales par an au début du siècle. (relire articles de M. R. Corbaux dans la Vie de la Douane).
6 On pourra consulter le livre de G. Delahache « la carte au liseré vert » paru en 1918.
7 L’article 1 des Préliminaires de Paix du Traité de Francfort, signé à Versailles le 26 février 1871 (journal officiel du 3 mars 1871) indique : « La France renonce en faveur de l’Empire allemand à tous ses droits et titres sur les territoires situés à l’ est de la frontière ci-après désignée… suit la frontière sud-ouest respectivement sud de l’arrondissement de Metz, la frontière occidentale de l’arrondissement de Château Salins jusqu’à la commune de Pettoncourt, dont elle embrasse les frontières occidentales et méridionales pour suivre la crête des montagnes entre Seille et le Moncel… la frontière, telle qu’elle vient d’être discutée se trouve marquée en vert sur deux exemplaires… »
8 En 1871, les départements du Haut Rhin, du Bas Rhin, la plus grande partie de la Moselle, le tiers de la Meurthe ainsi que deux cantons des Vosges ont été annexés à l’Empire Allemand.
9 Le bureau des douanes de Moncel fut créé par décret du 23 mars 1872.
10 « L’Alsace, terre d’histoire » de L Sittler p266
11 Les relations franco-allemandes sont émaillées au début du XXe siècle de tensions plus ou moins graves. D’Algésiras en 1906 aux incidents de frontière franco alsacienne dans les Vosges jusqu’à la veille de la grande guerre, la liste est longue.
12 Deux ans plus tard, à quelques kilomètres de là, le 27 novembre 1912, le receveur des douanes du bureau d’Arracourt lance par erreur un ordre de mobilisation qui créera quelques émois.
13 Au total, 5.500 bornes furent plantées tout au long de la nouvelle frontière. Ce nombre peut paraître élevé. Il faut savoir que celles-ci étaient disposées de manière à ce que l’on puisse, d’une borne, voir la suivante. Elles étaient placées environ tous les 100 mètres. Lors d’exercices annuels d’abornements de frontière toujours en vigueur sur la frontière franco-suisse, cette technique de reconnaissance visuelle est encore pratiquée.
14 Peut être s’agit-il du lieutenant Lecerf ?
15 L’usage de jumelles binoculaires est très répandu dans les unités à cette époque. Comparativement plus qu’aujourd’hui même.
16 Pour mémoire, il faut se souvenir que le premier transport aérien postal fut effectué en France entre Villacoublay et Pauillac en 1913.
17 Le français, Jean Pierre Blanchard fut aussi le premier homme à effectuer un vol en Suisse. C’était à Bâle en février 1788. Nicolas Rétit de la Bretonne pouvait s’écrier : « Une invention sublime vient d’honorer le siècle de Louis XVI, ce siècle à jamais mémorable, par sa sagesse des réformes : c’est celle des globes aérostatiques. »
18 Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Il faut ici rappeler que le développement du chemin de fer avait suscité de la part de commentateurs enthousiastes les mêmes remarques : « L’établissement des chemins de fer équivaut à la suppression des lignes de douanes… » écrit un journaliste en 1847. Citation reprise dans le livre de Jean Clincquart consacré à l’administration des douanes en France de la Révolution de 1848 à la Commune 1871. C’était en effet sans compter sur le pouvoir d’imagination de fonctionnaires réunis autour d’une même table pour défendre leurs intérêts respectifs…
19 Les dates inscrites entre guillemets indiquent l’année où le mot fut pour la première fois employé ou répertorié. Hormis les termes avion, aviation, aérien et leurs dérivés, tous ces mots s’appliquaient originellement au domaine maritime.
20 L’avion de la compagnie Imperial Airways qui reliait Paris à Londres à partir de 1919 devait en France survoler et suivre la route nationale jusqu’à Abbeville puis la voie ferrée jusqu’à Etaples avant de s’engager au-dessus de la Manche.
21 Revue satirique anti-allemande « Dur’s Elsass » (A travers l’Alsace) dirigée par le dessinateur mulhousien Henri Zislin. Éditée en Suisse, à Bâle, écrite en alsacien et en français. Numéro 79 du samedi 29 octobre 1910.
22 Lois et règlements des douanes 1914
23 Pour mémoire, il faut indiquer ici que la première liaison commerciale internationale eut lieu le 9 février 1919 entre Toussus- le-Noble en région parisienne et Kenley dans la banlieue de Londres. Un Farman F60 Goliath a emporté 11 passagers en 3 heures 30.
Cahiers d’histoire des douanes
N° 26
2e semestre 2002