Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
Dans les archives du service tabacs de la douane à Reims… un buraliste célèbre : Raymond KOPA
Le 1er janvier 1993, en se voyant attribuer la gestion, le recouvrement et le contrôle des contributions indirectes, mission jusqu’alors prise en charge par une direction autonome au sein de la direction générale des impôts, l’administration douanière n’a pas hérité d’une mission nouvelle. Elle a bénéficié du retour dans son escarcelle d’une mission qui lui avait déjà historiquement été confiée.
Comme l’indiquait le rapport Consigny préalable aux bouleversements liés à l’ouverture des frontières intérieures entre Etats membres de l’Union européenne des 12, ce remariage faisait sens, en ce qu’il faisait véritablement de la douane une administration centrée sur la fiscalité des marchandises. D’ailleurs, les mécanismes fiscaux portant sur les accises n’étaient-ils pas semblables dans leur logique à ceux appliqués aux biens sous sujétion douanière, notamment dans les modalités d’entreposage, de circulation en suspension de droits dans le cadre de régimes de transit, ou de cautionnements ? S’agissant des « CI » (contributions indirectes), la nouvelle direction générale des douanes et droits indirects a aussi repris la gestion d’une population soumise à réglementations, dans le cadre du monopole de vente au détail des tabacs : les buralistes. En récupérant cette mission fiscale et la régulation économique incidente des débitants de tabacs, la DGDDI a hérité d’archives fort riches pour l’historien et le chercheur, mais même pour le praticien actuel.
Ainsi, un article paru dans la revue des buralistes Le Losange (n°380 d’avril 2017) rendait hommage à l’un des plus grands joueurs du football professionnel français, décédé à l’âge de 85 ans le 3 mars 2017, Raymond KOPA. Celui-ci avait en effet su gérer sa reconversion en s’investissant dans diverses aventures commerciales, à commencer par la tenue d’un débit de tabac, au 66 rue de Vesle à Reims.
Raymond KOPA, le footballeur international, étoile du Stade de Reims, du Real de Madrid et de l’équipe de France
Si les générations actuelles d’amateurs de ballon rond ont sans doute entendu parler de la génération des Verts de Saint-Etienne, finaliste d’une coupe d’Europe malheureuse en 1976, ainsi que des heures de gloire du FC Nantes de José ARRIBAS des années 1960, ils sont moins nombreux à se souvenir des grandes heures du football français des années 1950- début des années 1960, dominées en championnat national comme en coupe latine (devenue en 1960 coupe des clubs champions) par le Stade de Reims.
Repéré alors qu’il évoluait dans la catégorie des juniors dans son club amateur de Noeux-les-Mines, le jeune Raymond KOPASZEWSKI se destinait à une carrière de mineur de fond, à la suite de son père, immigré polonais venu participer à l’effort de reconstruction d’après-guerre dans le bassin houiller du Nord. Après une professionnalisation au Sporting Club de l’Ouest à Angers, où le jeune Raymond fait la connaissance de celle qui allait devenir son épouse, Christiane BOURIGAULT, il exprime tout son talent en arrivant dès 1956 au Stade de Reims, où il rejoint de grands noms du football français d’alors, à commencer par un encadrement de premier choix (Henri GERMAIN, le président du club est secondé par Albert BATTEUX l’entraîneur). Ses partenaires de jeu se nomment MEANO, JONQUET, MARCHE, GLOVACKI, les frères SINIBALDI et le Néerlandais APPEL. Finaliste de la compétition européenne la plus prestigieuse contre le Real de Madrid en 1956, il rejoint l’année suivante ce club de la capitale espagnole, pour y remporter de nombreux trophées, en compagnie du célèbre attaquant DI STEFANO. Au plan international, Raymond KOPA est l’artisan de la première véritable épopée des Bleus, en accrochant une troisième place lors de la coupe du Monde « Jules Rimet » de 1956 en Suède, après une défaite honorable en demi-finales contre le Brésil du jeune PELE. Il termine sa carrière internationale en revenant au Stade de Reims en 1957, où une nouvelle génération de grands noms émerge à nouveau : FONTAINE, VINCENT, JONQUET, PIANTONI et HIDALGO.
Raymond KOPA, le buraliste
Plus étonnante est la reconversion du grand footballeur international en qualité de débitant de tabacs. Dans son récit autobiographique KOPA par KOPA, publié aux éditions MAREUIL Sport en 2010, il se confie sur son intention de préparer très tôt l’après football, avec une grande lucidité sur le caractère très fugace de la carrière de footballeur professionnel. Alors qu’il réside place Drouet d’Erlon, au centre-ville de la cité des Sacres, il a déjà approché le monde des affaires en accrochant son nom à divers produits dérivés. Le « sport business » n’en est à cette époque qu’à ses balbutiements, mais KOPA fait figure de pionnier.
Il se diversifie en faisant l’acquisition du bureau de tabacs situé dans la grande artère commerçante de la rue de Vesle. Cette acquisition de 1961 à 1964 s’effectue parallèlement à sa carrière footballistique finissante. Le débit est essentiellement géré par Madame KOPA.
Les archives du service des tabacs instruit sur certains aspects méconnus de la carrière du footballeur autant que sur les conditions d’octroi de la qualité de buraliste il y a un peu plus de 50 ans.
Le « dossier KOPA » dans les archives du service tabacs
Les pièces retrouvées et remarquablement classées démontrent, s’il en était encore nécessaire, tout l’intérêt de la conservation des archives ainsi que de leur recensement. Le «dossier KOPA » illustre tout à la fois les formalités que devait accomplir une personne désireuse d’assurer la gestion d’un débit de tabacs dans les années 1960, tout en donnant des informations précises sur les conditions de reconversion de l’ancienne star du football français.
Comme il l’écrit lui-même dans sa biographie : « Cela fait longtemps que je prépare l’après-football. Outre la brieveté d’une carrière, je savais qu’une grave blessure pouvait tout gâcher. J’avais autour de moi des tas d’exemples de joueurs qui n’avaient pas su se reconvertir une fois la période football terminée ». L’achat du bureau de tabacs, toujours en activité aujourd’hui au 66, rue de Vesle à Reims, intervient en 1961, alors que Raymond KOPA porte les couleurs du Stade. Il a déjà derrière lui un beau palmarès, obtenu lors de son premier passage à Reims de 1951 à 1956 (champion de France en 53 et 55, finaliste de la Coupe latine en 1955, puis de la compétition qui lui succède, la coupe d’Europe des clubs champions en 1956).
Son épopée madrilène de 1956 à 1959 avec le Real lui a permis de renforcer considérablement sa notoriété, avec trois titres de cette même coupe d’Europe de 1957 à 1959 ainsi que deux titres en championnat d’Espagne en 1957 et 1958. Sa consécration nationale est obtenue lors de la campagne des Bleus du Mondial en Suède, en 1958, avec une honorable 3ème place, après une victoire en « petite finale » contre l’Allemagne 6 à 3.
Pour la petite histoire, il faut souligner que le sélectionneur de l’équipe de France n’est autre qu’un certain Alexis THEPOT, ancien gardien de but de l’équipe nationale et … douanier, de 1925 à 19681.
La gestion du débit de tabacs « KOPA » à Reims
Le 1er mars 1961, Raymond KOPA, alors domicilié au 3, rue Buirette à Reims, s’adresse au directeur des contributions indirectes pour solliciter la reprise du débit de tabacs n°51-423.
KOPA indique alors dans son récit : « Je m’étais lancé dans l’achat d’un sous-dépôt de journaux, livres, tabac et papeterie. Avant de le revendre pour acheter l’hôtel Cristal à Reims ». Ce débit de tabacs est la première aventure dans la reconversion du footballeur. Pour autant, il est un précurseur à cette époque de ce qu’il nomme le « football business ».
Dès 1954, il signe en effet un accord avec l’équipementier Noël, pour mettre sur le marché des chaussures à son nom, puis progressivement à toutes sortes d’autres produits. Après ses aventures commerciales rémoises, à la fin des années 1960, il devient directeur commercial du groupe KOPA, en valorisant et en capitalisant sur ce nom.
Pour obtenir la gestion d’un débit de tabacs, certaines formalités incontournables sont nécessaires, même lorsque l’on s’appelle KOPA ! Les renseignements d’usage incluent une véritable « enquête de moralité », quasi identique à celle alors exigée des candidats à la carrière de douanier. Doivent ainsi être recueillies des informations sur l’honorabilité du candidat, sa solvabilité, sa profession, ses antécédents, sa moralité fiscale ainsi que l’évaluation de son « aptitude pour les commerces et en particulier pour la gestion d’un fonds de tabacs ». L’examen de passage est brillamment réussi par KOPA. L’exposé du contrôleur qui procède à cette évaluation en atteste : « […] Toutes les personnes ayant des contacts directs avec M. et Mme KOPA nous ont certifié leur parfaite honorabilité et la droiture de leur vie privée. M. KOPA, joueur de football professionnel au Stade de Reims, perçoit un salaire minimum de 2000 NF par mois auquel s’ajoutent des primes de matches pouvant atteindre 1000 NF. […] Il est certain que la popularité sportive de M. KOPA lui permettra d’augmenter de manière fort sensible le CA de tabacs réalisé actuellement. M. et Mme KOPA, affables et très courtois présentent toutes les qualités pour gérer un commerce et en particulier un débit de tabacs ». Le traité de gérance est établi à compter du 1er avril 1961.
Enfin, les autres pièces du « dossier KOPA » reprennent des éléments d’état-civil, dont son acte de naissance. Il est né le 13 octobre 1931 à Noeux-les-Mines, canton d’Houdain, dans le Pas-de-Calais. Ses parents sont François KOPASZEWSKI et Hélène WLODARCZYK, natifs tous deux de la ville de Wanne en Allemagne2, en 1907. Une pièce est importante, car elle illustre les incidences sur la carrière de footballeur du jeune KOPA, il s’agit de son certificat de nationalité. En effet, KOPA est présélectionné en 1951 pour jouer avec l’équipe de France junior contre les Pays-Bas. Cependant, l’encadrement de l’équipe nationale s’aperçoit que, fils de Polonais, il n’est pas encore Français et doit attendre la majorité, alors fixée à 21 ans, pour choisir la nationalité française et avoir la possibilité de jouer pour la France. Ce sera chose faite pour ses débuts en 1952 avec l’équipe B des Bleus, contre la Sarre.
S’agissant de la gestion du débit de tabacs, le dossier indique que celle-ci est principalement confiée à son épouse Christiane BOURIGAULT. Dès septembre 1962, un avenant confie la gérance du débit de tabacs : « aux époux KOPASZEWSKI ». Cette même année, Raymond KOPA remporte son dernier titre en première division de championnat national avec le Stade de Reims. La gestion du débit de tabacs est cédée en décembre 1964… Trois ans plus tard, avant de tirer sa révérence en qualité de joueur, Raymond KOPA remporte un dernier titre en championnat de deuxième division avec les Rémois.
Kopa… footballeur et fumeur ?
Contrairement à l’image véhiculée par une campagne de publicité pour une marque de cigarettes, Raymond KOPA n’a que très peu fumé, comme il l’indique dans son récit d’un avant-match contre l’Allemagne au stade de Colombes en 1952 : « Quelques heures avant d’enfiler ce maillot bleu frappé du coq, de pénétrer sur la pelouse, le trac et la nervosité s’emparent de moi. Je suis submergé par une foule de sentiments contradictoires : la joie, la fierté, mais aussi la peur de tout rater. Je sais que je joue une carte importante de ma carrière. Comme toujours dans un tel moment, je doute. Et moi qui ne fume jamais, je me surprends à écraser mon deuxième mégot de l’après-midi. »
1Cf. Cahiers d’histoire de l’AHAD, numéro 42 / juin 2010 : Alex Thepot : gardien de but international, sélectionneur de l’équipe de France de football et… enquêteur des douanes au S.N.E.D. !, par Jean-Marie FLEURY
2Cette commune se situe dans la Ruhr, entre Gelsenkirchen, Bochum et Dortmund.
Arnaud PICARD