Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
Florilège littéraire sur la douane et les douaniers
Nous reproduisons ici le second extrait de l’article de Madame Vida Azimi : « Un douanier décapité: Nathaniel Hawthorne » et publié en 2016 sur le site de la revue « Historia et Ius « .
De Nathaliel Hawthorne à Edith Piaf, la liste de ce » Florilège littéraire sur la douane et les douaniers » est longue, riche et éloquente. Toute notre gratitude à nos amis de « Gabelou.com » pour avoir largement contribué à cette anthologie grâce au forum sur la Douane dans la littérature et la poésie tenu en 2008.
Nous renouvelons nos plus sincères remerciements à la revue « Historia et Ius » pour son aimable autorisation à la reproduction de ce texte.
L’équipe de rédaction
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Florilège en vers, en prose et en chanson (98)
– Inspecteur (99), par Boucher de Perthes, extrait:
« C’est le douanier des douaniers, c’est-à-dire qu’il est au douanier ce que le douanier est au public ; le douanier vexe le public et l’inspecteur vexe le douanier ; et comme tout se perfectionne, il y a même des inspecteurs généraux chargés de vexer l’inspecteur, et qui regardent dans sa poche quand il a regardé dans celle des autres.
Un inspecteur digne de ce nom ne doit pas croire à la probité, il doit venir voir des coquins partout ; s’il a la foi à la parole de quelqu’un, c’est un mauvais inspecteur, et il est probable qu’il finira mal.
Un inspecteur rustre, bourru, criard, menaçant, est bon.
Mais insinuant, caressant, promettant, il est encore meilleur.
Un inspecteur parfait, un homme véritablement pénétré de ses devoirs, est l’un ou l’autre suivant la circonstance : il vous effraye, puis vous interroge ; ou bien souriant il vous fait jaser et prendre note. L’inspecteur modèle est gros et rond, c’est le faux tout bon homme ».
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– Le douanier. Elégie de corps de garde. A la mémoire des douaniers gardes-côtes mis à la retraite, le 30 novembre 1869 par Tristan Corbières, un poète « maudit » (100) :
« ( …) Ange-gardien culotté par les brises, Pénate des falaises grises,
Vieux oiseau salé du bon Dieu
« Qui flâne dans la tempête,
Sans auréole à ta tête,
Sans aile à ton habit bleu !… Je t’aime, modeste amphibie (…) J’aime ton corps de garde
Haut perché comme un goéland « Qui regarde
Dans les quatre aires-de-vents. Là, rat de mer solitaire,
Bien loin du contrebandier
Tu rumines ta chimère
– Les galons de brigadier ! –
Puis un petit coup de blague Doux comme un demi-sommeil… Et puis : bailler à la vague, Philosopher au soleil…
(…)
– Tout se trouvait en toi, bonne femme cynique Brantôme, Anacréon, Barême et le Portique : Homère-troubadour, vieille Muse qui chique !
Poète trop senti pour être poétique !…
-Tout : sorcier, sage-femme et briquet phosphorique, Rose-des-vents, sacré gui, lierre bacchique Thermomètre à l’alcool, coucou droit à musique, Oracle, écho, docteur, almanach, empirique, Curé Voltairien, huître politique…
– Sphinx d’assiette d’un sou, ton douanier souvenir Lisait le Bordereau même de l’avenir !
(…) Je te disais ce que je savais écrire…
Mais ta philosophie était un puits profond
Où j’aimais à cracher, rêveur… pour faire un rond.
« Un jour –ce fut ton jour- je te vis redoutable
(…) Contre deux rasoirs d’Albion perfide,
Nous verbalisons ! tu verbalisais !
J’avais composé, tu repolissais…
Comme un songe passé, douanier, ces jours de fête ! Fais valoir maintenant tes droits à la retraite…
« (…) Va, lézard démodé ! Faut passer, mon vieux type ; Il faut te voir t’éteindre et s’éteindre ta pipe…
Passer, ta pipe et toi, parmi les vieux culots : L’administration meurt, faute de ballots !…
(…) Quel sera désormais le terme du problème : L’ennui contemplatif divisé par lui-même ? –
Poète, sans savoir qu’il ne s’en doute pas…
Qui ? Sinon le douanier. – Hélas, qu’on me le rende ! Dussé-je pour cela faire la contrebande …
Non : fini !… réformé ! Va l’oreille fendue,
Rendre au gouvernement ta pauvre âme rendue… Rends ton gabion, rends tes procès-verbaux divers ; Rends ton bancal, rends tout, rends ta chique !…
Et mes vers ».
*
Arthur Rimbaud, Poésies Gallimard, poème inspiré d’un souvenir d’enfance de la frontière franco-belge située dans les Ardennes, 1871.
Les douaniers
« Ceux qui disent : Cré Nom, ceux qui disent macache, Soldats, marins, débris d’Empire, retraités,
Sont nuls, très nuls, devant les Soldats des traités
Qui tailladent l’azur frontière à grands coups d’hache.
Pipe aux dents, lame en main, profonds, pas embêtés, Quand l’ombre bave aux bois comme un mufle de vache, Ils s’en vont, amenant leurs drogues à l’attache,
Exercer nuitamment leurs terribles gaîtés !
Ils signalent aux lois modernes les faunesses. Ils empoignent les Fausts et les Diavolos.
« Pas de ça les anciens ! Déposez les ballots ! » Quand sa sérénité s’approche des jeunesses, Le Douanier se tient aux appâts contrôlés ! Enfer aux délinquants que sa paume a frôlés »
*
Alphonse Daudet (101), Lettres de mon moulin.
Les Douaniers
« Le bateau l’Emilie, de Porto-vecchio, à bord duquel j’ai fait ce lugubre voyage aux îles Lavezzi, était une embarcation de la douane, à demi pontée, où l’on n’avait pour s’abriter du vent, des lames, de la pluie, qu’un petit rouf goudronné, à peine assez large pour tenir une table et des couchettes. Aussi il fallait voir nos matelots par le gros temps. Les figures ruisselaient, les vareuses trempées fumaient comme du linge à l’étuve et en plein hiver les malheureux passaient ainsi des journées entières, même des nuits, accroupis sur leurs bancs mouillés, à grelotter dans cette humidité malsaine ; car on ne fait pouvait pas allumer du feu à bord, et la rive était souvent était souvent difficile à atteindre…Eh bien, pas un de ces hommes ne se plaignait. Et pourtant quelle triste vie que celle de ces matelots douaniers !
Presque tous mariés, ayant femme et enfants à terre, ils restent des mois dehors, à louvoyer sur ces côtes si dangereuses. Pour se nourrir, ils n’ont guère que du pain moisi et des oignons sauvages. Jamais de vin, jamais de viande, parce que le vin et la viande coûtent cher et qu’ils ne gagnent que cinq cents francs par an ! Cinq cents francs par an ! Vous pensez si la hutte doit être noire là-bas à la marine, et si les enfants doivent aller pieds nus !.. N’importe ! Tous ces gens-là paraissent contents. Il y avait à l’arrière, devant le rouf, un grand baquet plein d’eau de pluie où l’équipage venait boire, et je me rappelle que, la dernière gorgée finie, chacun de ces pauvres diables secouait son gobelet avec un « Ah ! » de satisfaction, une expression de bien être à la fois comique et attendrissante.
(….) En bas au bord de l’eau, une petite maison blanche à volets gris : c’était le poste de douane. Au milieu de ce désert, cette bâtisse de l’Etat, numérotée comme une casquette d’uniforme, avait quelque chose de sinistre. (…)
– C’est un poste terrible, me dit tout bas l’inspecteur. Nous sommes obligés de renouveler nos douaniers tous les deux ans. La fièvre des marais les mange…
(…) Alors tous les yeux se tournaient vers le coin obscur où le pauvre camarade était en train de mourir, loin des siens, sans secours ; les poitrines se gonflaient et l’on entendait de gros soupirs. C’est tout ce qu’arrachait à ces ouvriers de la mer, patients et doux, le sentiment de leur propre infortune. Pas de révoltes, pas de grèves. Un soupir, et rien de plus !…Si, pourtant, je me trompe. En passant devant moi pour jeter une bourrée au feu, l’un d’eux me dit tout bas d’une voix navrée :
– Voyez-vous, monsieur… on a quelquefois du tourment dans notre métier ! … ».
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Alphonse Allais, A se tordre, in : Histoires chanoiresques, 1891.
« Je m’étais pris d’une profonde sympathie pour ce grand flemmard de gabelou que me semblait l’image même de la douane, non pas de la douane tracassière des frontières terriennes, mais de la bonne douane flâneuse et contemplative des falaises et des grèves.
Son nom était Pascal ; or, il aurait dû s’appeler Baptiste, tant il apportait de douce quiétude à accomplir tous les actes de sa vie.
Et c’était plaisir de le voir, les mains derrière le dos, traîner lentement ses trois heures de faction sur les quais, de préférence ceux où ne s’amarraient que des barques hors d’usage et des yachts désarmés.
Aussitôt son service terminé, vite Pascal abandonnait son pantalon bleu et sa tunique verte pour enfiler une cotte de toile et une longue blouse à laquelle des coups de soleil sans nombre et des averses diluviennes (peut-être même antédiluviennes) avaient donné ce ton spécial qu’on ne trouve que dans le dos des pêcheurs à la ligne. Car Pascal pêchait à la ligne, comme feu monsieur le prince de Ligne lui-même.
(…) Un jour, me promenant sur la grève, je rencontrai mon ami Pascal en faction, les bras croisés, la carabine en bandoulière, et contemplant mélancoliquement le soleil tout prêt à se coucher, là-bas, dans la mer.
– Un joli spectacle, Pascal !
– Superbe ! On ne s’en lasserait jamais.
– Seriez-vous poète ?
– Ma foi ! non ; je ne suis qu’un simple gabelou, mais ça n’empêche pas d’admirer la nature ?
(…)
– quand j’ai épousé ma femme, elle était bonne chez le sous-inspecteur des douanes. C’est même lui qui m’a engagé à l’épouser. Il savait bien ce qu’il faisait, le bougre, car six mois après, elle accouchait de notre aîné, celui que j’appelle le Sous- inspecteur, comme de juste. (…) Bref, j’ai sept enfants, et il n’y a que le dernier qui soit de moi. –Et celui-là, vous l’appelez le Douanier, je suppose ? –Non, je l’appelle le Cocu, c’est plus gentil. L’hiver arrivait ; je dus quitter Houlbec, non sans faire de touchants adieux à mon ami Pascal et à tous ses petits fonctionnaires. (…) »
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Pierre Loti, Ramuntcho, 1897, (l’histoire se passe dans le milieu des contrebandiers basques), le vieux chef des contrebandiers :
« Mon Dieu ! Conclut le vieux chef, la douane et la contrebande, dans le fond, ça se ressemble ; tout ça c’est jouer au plus fin, n’est-ce pas, et au plus hardi ? Même, je vais vous dire mon opinion à moi, c’est qu’un douanier un peu décidé et un peu matois, un douanier comme était votre père, par exemple, eh bien, vaut autant que n’importe lequel d’entre nous ! »
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Guillaume Apollinaire, Poèmes retrouvés, éd. Gallimard, Poésie, (recueil posthume, 1ère parution 1952, éd. NRF, Poésie, éd. Gallimard, 1956. Apollinaire, Le guetteur mélancolique, suivi de Poèmes retrouvés. Un poème, sans titre, plus « cocasse », selon le douanier Gapian 74, membre titulaire du forum Internet, la Douane et la littérature.
« Trente ans debout à la frontière J’arrêtai le contrebandier
Je palpai la contrebandière.
Puis quand je devins brigadier
Un soir dans le train de dix heures D’un homme correctement mis Voyageant avec un permis
Je tâtais les gibbosités postérieures.
Ô temps lointains ! Lointaines gares
Que le gaz éclairait bien mal !
Le monsieur transportait quatre mille cigares Je lui dressai procès-verbal ».
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Marguerite Yourcenar, Carnet de notes de « Mémoires d’Hadrien ». (Les Cahiers d’histoire des douanes, 1989, « La douane, la littérature, les arts : Yourcenar, Langevin, Loquin »).
« En tout cas, j’étais trop jeune. Il est des livres qu’on ne doit oser avant d’avoir dépassé quarante ans. On risque, avant cet âge, de méconnaître l’existence des grandes frontières naturelles qui ne séparent de personne à personne, de siècle à siècle, l’infinie variété des êtres, ou au contraire d’attacher trop d’importance aux simples divisions administratives, aux bureaux de douane ou aux guérites, des postes armés. Il m’a fallu des années pour apprendre à calculer exactement les distances entre l’empereur et moi ».
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Le Procès-verbal de Jean-Antoine Trimolet,
receveur des Douanes à Lamanère Pyrénées-Orientales, 1820.
« L’an mil huit cent dix neuf et de plus une année
Ramenant de juillet la première journée
Sur plusieurs fugitifs, ayant aux pieds des ailes
Contre les droits du fisc ardents à conspirer
Essoufflés, demi-morts, n’y pouvant plus tenir
Mal logés, mal nourris et couchant sur la dure
Victimes tour à tour du chaud, de la froidure,
Toujours en embuscade et chichement payés
Deux fois dix-sept kilos tabac de la Havane,
Que la fraude subtile importe en caravane
Douze kilos d’un fruit de serre dans un tonneau
Et qui, changeant de sexe, a le nom de pruneau
Un fusil à deux coups, affranchi de tous vices Lequel rend aux chasseurs d’agréables services Quarante-cinq kilos de poivre concassé
Qui relève un ragoût avec art fricassé
Un de ces animaux enfantés par Neptune
Et qui des maquignons font souvent la fortune Quarante-cinq kilos d’excellent chocolat
Tel qu’en prend en Espagne, un riche et saint prélat Vingt kilos deux hectos de truffes marinées
Dans deux bocaux pareils nageant emprisonnées Deux altos, une lyre, un fifre et deux bassons Instruments délabrés rendant de faibles sons
Deux fois vingt-cinq kilos de fine cassonade Propre à faire boissons, liqueurs ou limonade Avarie, tout blanc et sentant l’échauffe
Deux fois seize kilos de thé vert de Chine
Aidant à réparer notre faible machine
Vingt kilos hectos d’écrits sans nom d’auteur
Que, pour nous diviser, répand l’or corrupteur ;
Et cent litres enfin rhum de la Jamaïque
Qui donnerait du ton au rimeur prosaïque
En invoquant Bacchus, nous devons attester
Que nous avons eu soin d’un peu le déguster
Et nous tenons en mains l’irréfragable preuve
Qu’il n’est point affaibli par un perfide fleuve
Nous avons estimé ces objets différents
Au chiffre réfléchi de quinze fois cent francs ».
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Petit quatrain d’alexandrins, signé E.S., sur une carte postale d’avant 1914 « La Normandie pittoresque-Fermanville (Manche) – Douanier en observation » illustrée d’un gabion (abri littoral de douanier) et d’un préposé scrutant la mer avec sa longue vue.
« Sentinelle fiscale au profil pacifique,
Ton œil d’Argus en vain fouille l’immensité : Mais ta seule présence en cet abri rustique Assure au grand Trésor paix et sécurité ».
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– Deux quatrains écrits en épilogue à son opuscule « Les Debouts », par le Préposé Agostini, in : « Chroniques du temps passé » (Années 1950)
« Debout pour le Trésor, il veille ;
Pour son pain point il ne s’assied ;
Si la fatigue l’ensommeille
Le devoir commande : « Sur pied » ! »
« Et parfois dans l’épreuve rude,
En recevant le traître coup,
Par une très vieille habitude
Il meut comme il vécut- ‘debout’ ».
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Georges Bizet, Carmen, livret par Ludovic Halévy et Henri Meilhac, 1875. Refrain :
« Quant au douanier, c’est notre affaire/ Tout comme un autre, il aime à plaire/ Il aime à faire le galant (…) / Tout il est galant. (…) Le douanier sera clément/Oui, le douanier sera même entreprenant/ (…) Et d’avance, je puis vous dire, la contrebande passera ! ».
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Edith Piaf, Le contrebandier, paroles de Raymond Asso, musique de Jean Villard, 1936. Refrain :
« Ohé, la douane !
Ohé, les gabelous ! Lâchez tous les chiens
Et puis planquez-vous
Au fond de vos cabanes. Regardez sur la dune L’homme qui passe là-bas. Il est pourtant seul
Mais vous n’l’aurez pas.
Il s’fout d’la douane
Au fond de vos cabanes, Allez, planquez-vous Et lâchez les chiens.
Ohé, les gabelou !
Ohé, la douane ! ».
(…)
Vida Azimi
Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la revue « Historia et Ius »
Notes :
19 Henry James, op. cit., p. 181.
20 Carnets Américains, 7 février 1839, p. 259-260.
98 Ce florilège est essentiellement composé, sauf indication contraire, des extraits d’un forum sur la Douane dans la littérature et la poésie, 2008. http://www. gabelou.com /forumgb
Par ailleurs, Les Cahiers d’histoire des Douanes ont publié un numéro 7/1989 intitulé « La douane, la littérature et les arts : Yourcenar, Langevin, Loquin 1883-1903 » .
99 Boucher de Perthes, Petit glossaire (1835), coll. Les Maîtres de la satire au XIXe siècle, MCMLXI, p. 103-107.
100 Tristan Corbières, Les Amours jaunes, Paris 1973, p. 186 et s. 25
101 Alphonse Daudet, Lettres de mon moulin, 1887 (réimp. 1895), p. 121-129. 27
Source : Historia et ius – ISSN 2279-7416 www.historiaetius.eu – 10/2016 – paper 16