Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Années 50 : les premiers « coups de kick » des motards à bandes rouges

Mis en ligne le 1 novembre 2021

 

L’intégration de motards dans le dispositif de surveillance douanière intervient au début des années 50. Dès la fin de la seconde guerre mondiale, l’heure est à la reconstruction et à la modernisation des méthodes et des moyens de l’administration des douanes et, notamment, à la motorisation des brigades. A cette époque, la douane française s’engage, avec méthode et détermination, dans un vaste programme d’équipements à la fois ambitieux et novateur. 

 

1950 -1951: la mise en place des premières unités

 

C’est en 1950 qu’une réflexion est entamée en vue de recourir à la motocyclette considérée comme « moyen logistique nouveau destiné à se substituer aux anciennes brigades à cheval » (1). Dès 1951, la décision est prise: il convient de « créer des groupes motocyclistes équipés de machines puissantes et rapides. Ces unités indépendantes, fortes de 8 ou 10 motards, sont commandées par un officier, lui-même motard » (2). Les motards des douanes tiennent leur acte de naissance et la première étape de leur montée en puissance au sein du dispositif des brigades va pouvoir prendre place avec l’implantation des premiers groupes.

 

Le tout premier groupe motocycliste voit ainsi le jour à Herzeele où deux éléments de 7 agents sont implantés (direction de Dunkerque) ; suivent ceux de Lille, Marseille, Toulon et Strasbourg dans une configuration de 7 agents. Plus tard, seront créés ceux de Saint-Raphaël et de la Martinique. Dans les résidences de Nice, Sète et Bordeaux sont expérimentés des éléments dits « légers » de trois motards. Cette formule sera rapidement abandonnée.

 

Après 1952 et deux années consacrées à des essais, tests et expérimentations diverses en conditions réelles, un bilan avec force « journée d’études, consultations minutieuses et confrontations d’idées en réunion » (3) est dressé par la direction générale. Le bilan est prometteur…

 

Le projet « motards » est d’ailleurs largement mis en avant dans le cadre d’un mémoire présenté par la douane au concours de l’institut technique des administrations publiques (MITAP 1953). Le 1er prix pour les réalisations dans le domaine de la productivité est ainsi attribué à la douane française. (4) 

 

Le groupe motocycliste de Lille – 1953 (4) 

 

Pour suivre pas à pas l’histoire de la naissance des motards, la consultation de la presse professionnelle est instructive à plus d’un titre.

Un premier article conséquent intitulé « les motards » parait en janvier 1952 (5) et plante le décor : il présente tous les espoirs fondés sur les retombées attendues de l’emploi de ce nouveau moyen d’intervention. Il identifie déjà ces ingrédients qui feront le succès du motard dans l’institution : modernité, dynamisme, professionnalisme et … « prestige ».

 

Dès le départ, en effet, l’image du motard séduit et le « prestige » du spécialiste est manifeste. La presse professionnelle reproduit, au fil de ses numéros, des photos spectaculaires de motards à l’entrainement (6) ou de cérémonies au cours desquelles les motocyclistes sont largement associés (6).

 

En témoigne, le souvenir laissé lors des cérémonies d’inauguration des nouvelles installations de l’Ecole de Montbéliard et de la remise du drapeau des bataillons douaniers le 15 décembre 1951 (cf. photo ci-dessous): « l’excellente impression produite lors de la présentation du premier groupe motocycliste de la Douane » a marqué les esprits et laisse présager de bonnes opportunités d’emploi. « L’unité motocycliste est, par elle-même, très spectaculaire. On peut penser que la présence aux frontières de telles unités, disposant d’un matériel et d’un équipement analogues à ceux des motocyclistes des polices routières renforcerait l’autorité de nos services » (5).

 

Montbéliard – 15 décembre 1951 (5)

 

Un autre élément dominant mérite d’être souligné dans la démarche d’expérimentation menée durant cette période : la prudence. En effet, consciente des dangers inhérents à la circulation routière, l’administration et l’ensemble des intervenants veillent à ce que la sécurité occupe une place de tout premier plan dans les réflexions, débats et recommandations. 

 

Des règles de prudence judicieusement mises en avant car, déjà, ce que l’on désigne « les premières victimes du devoir » sont à déplorer comme en témoigne l’article joint en annexe (*): « le brigadier chef Cousinard, victime du devoir ».

 

1954: l’année fondatrice

 

L’année 1954 sonne la fin de la période d’essais. C’est aussi l’année où les motards gagnent leurs lettres de noblesse: un espace leur est d’abord spécialement réservé dans le « Journal de Formation Professionnelle » : « la chronique des motards », chronique relatant fidèlement les faits marquants de leur spécialité et ouvrant ses colonnes à des « Tribune libre » fréquentes, parfois techniques et le plus souvent constructives.

 

Plus structurante encore est l’instruction spécifique qui encadre leur emploi et leurs activités, la décision administrative n° 9366 du 28 septembre 1954 intitulée : « Règlement sur l’organisation et les méthodes de travail des groupes motocyclistes » (3). Ce texte fondateur souligne en préambule le caractère « difficile et souvent dangereux » du métier de ces « jeunes agents » et s’emploie à réunir les conditions pour que « l’idéal des jeunes agents affectés à ces groupes » soit préservé.

 


Au niveau de l’organisation, l’effectif du groupe motocycliste doit comprendre 8 agents et, lorsque cela est possible, 2 éléments à la même résidence. Des efforts soutenus sont déployés pour permettre le logement en caserne et pour l’attribution d’effets spéciaux et de rémunérations annexes.

 

Le terrain d’action de ces groupes doit être « aussi étendu que possible » , selon l’instruction, qui invite à tenir compte de l’avis du chef de groupe pour la préparation des missions de surveillance générale en recommandant de leur laisser une large initiative. Les barrages et poursuites font notamment l’objet de schémas d’emploi très précis.

 

Spécialité oblige, un accent particulier est mis sur la sélection et la formation professionnelle. Une sélection tout d’abord qui se veut très contraignante au niveau des aptitudes physiques ainsi seuls 26 stagiaires seront finalement retenus sur les 64 volontaires sélectionnés au départ (7).

 

Moto-cross (Montbéliard 1954) (5)

 

A l’issue du stage de formation à l’école des brigades, 10 mois après sa prise fonction, l’agent bénéficie d’un stage de perfectionnement à l’Ecole de la Sûreté Nationale de Sens Les clichés pris lors du stage de 1955 sont joints en annexe (**) (8). Entrainement motocycliste assorti d’une formation douanière, sport et visite médicale annuelle sont au programme de la formation continue.

 

Au total, au fil des mois, va se dessiner une image très positive du motard, tout comme va se forger dans les rangs des groupes cet « esprit motard ». La profession de foi d’un moniteur motocycliste  « Un motard ? Qu’est-ce donc? », texte publié en 1954 se révèle un excellent témoignage de cet esprit de corps bien ancré chez les motards (cet article est disponible sur ce site en cliquant ici lien).

 

 

Ce sentiment d’appartenance est également conforté par des cérémonies fédératrices comme celle des remises des plaques de fonction aux nouveaux motards, elles aussi bien relayées par la presse administrative et souvent régionale (8). Sont reproduites en annexe (***) les photos prises lors de la cérémonie de juillet 1954 sur le terrain d’Allondans à Montbéliard (9).

 

« Nos machines »

 

On ne saurait bien entendu évoquer les motards des douanes sans parler de leurs machines. Si « la tache pénible et délicate qu’ils accomplissent journellement demande de leur part de solides qualités physiques et morales, le matériel qu’ils utilisent est cher et demande un soin tout particulier » (9).

 

Les différentes journées d’études organisées ainsi que les multiples « Chroniques » ne manquent jamais de prévoir des échanges de vues sur le choix du matériel d’une part (moto, effets vestimentaires, éclairage, équipements radios plus tard, etc) et sur les modalités d’entretien et de dépannage d’autre part (atelier, pièces détachées, réserves, etc…) (11).

 

Le choix de l’engin s’est rapidement porté sur une moto de fabrication française déjà utilisée dans d’autres services de l’Etat. L’administration en donne les raisons:  « On a choisi comme moto, la machine CEMEC 750 cm3, type L-7 police routière , de 750 cm3,. Cette machine est en usage à la préfecture de Police de Paris depuis 3 ans et donne satisfaction à tous égards. (…). Grâce ses suspensions télescopiques, à l’avant et à l’arrière, cette machine donne un confort et une tenue de route très satisfaisants, la rendant apte au « tout terrain ». En ce qui concerne les équipements, on a adopté les types d’usage dans les polices routières » (4). Ce modèle présentait les caractéristiques techniques suivantes: 2 cylindres à plat, soupapes latérales, 4.300 tours minute, 4 vitesses à sélecteur.

 

Une option sera prise ensuite sur la marque BSA qui équipera alors certaines unités du modèle BSA 500 cm3, type A7, au rythme des implantations et des renouvellements de matériel. Ce modèle présentait quant à lui les caractéristiques techniques suivantes: 2 cylindres verticaux, 4 temps, soupapes culbutées, 6.000 tours minute, 4 vitesses à sélecteur.

 

Les deux modèles vont coexister dans les unités comme l’illustre le cliché ci-dessous, pris lors de la fin de stage de formation des motards à Montbéliard en Juin 1954; on peut noter, au premier plan les motos BSA 500 et, au second plan, les motos CEMEC 750 (12).

 

 

Un débat de spécialistes s’instaure alors pour déterminer laquelle des deux machines est la plus adaptée aux missions douanières. Une approche différente distingue les partisans des CEMEC et les inconditionnels des BSA . Elle transparait à la fois dans les « Chroniques  des motards » et les « Tribunes libres » et se fait l’écho des discussions qui n’ont pas manqué d’être enflammées dans les ateliers des groupes motorisés… Les deux article sélectionné pour cette édition « 1956: Les motards ont la parole… »  en témoigne.

 

1955 – 1960 

 

Les créations de groupes motocyclistes se multiplient : en juillet 1955 à La Rochelle, en février 1956 à Hennebont (2 groupes), en juillet 1956 à Caen-ouistreham, en février 1957 à Cherbourg, en juillet 1957 à Nantes puis en 1959, à Thionville et à Sarralbe,… « A ce moment, l’Administration disposera en France continentale de 20 groupes dont l’action s’étendra, outre la frontière franco-belge, des circonscriptions de Lille et Dunkerque, sur l’ensemble des côtes à l’exception des secteurs ci-après: côtes Nord et Ouest de la Bretagne et côtes des Landes et des Basses Pyrénées » (10).

 

Malgré, de réelles difficultés de logement des agents nouvellement affectés dans certaines résidences, les divers bilans d’étape s’avèrent positifs et confortent l’administration dans ses choix. Discipline, tenue, résultats, les motards donnent toute satisfaction. Leur intégration au sein du dispositif douanier semble même bien achevée : « ils exercent une action bienfaisante sur leurs collègues des autres services (…), l’esprit de réserve qui marquait parfois dans les débuts les rapports entre motards et autres agents a disparu et fait place à un esprit de collaboration loyale dont on ne peut que se réjouir » (9) .

 

La spécialité et la presse 

 

Ce prestige et cette popularité dépassent alors le cercle de la presse administrative pour gagner les honneurs de la presse écrite de l’époque que ce soit la presse régionale, nationale et même internationale. On peut citer par exemple l’article « Les motards de la douane: « une expérience neuve et originale » dit la presse en 1954..» repris sur ce site) (13). Nombreux en effet sont les articles consacrés aux motards des douanes dans les publications régionales que ce soit lors de l’implantation des groupes, à l’occasion de saisies significatives ou encore lors de leur participation à des manifestations sportives. L’administration les encourage à participer à ces dernières comme le relate « Nice matin » dans un article de mai 1955 sous le titre « Magnifique exhibition des motards de la douane de Saint Raphaël » repris en annexe (****) (14). 

 

 

Conclusion

 

Indéniablement, la première page de l’histoire des motards de la douane est un succès. Un réseau de groupes motorisés est mis en place, une doctrine d’emploi est définie, un recrutement sélectif d’agents bénéficiant d’une formation exigente et dotés de matériels de qualité permettent rapidement d’enregistrer des résultats appréciables.

 

Son intégration réussie au dispositif douanier répond à cette « nécessité de donner au service des brigades l’orientation et la structure moderne qui lui permettront de s’adapter aux nécessités de l’avenir » (3).

 

Le second acte verra la naissance du premier Groupe d’Intervention et de Recherche  (G.I.R.) et le développement d’un autre réseau, celui des G.I.R composés, à terme (1974), d’un élément motard qui mettra fin à l’existence de brigades motocyclistes indépendantes. Ceci est une autre page d’histoire que nous développerons dans une prochaine édition.

 

Patrick Deunet

 

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Annexes:

 
(*) « le brigadier chef Cousinard, victime du devoir » (1954).
(**) Stage de perfectionnement à l’Ecole de la Sûreté Nationale de Sens (stage de 1955);
(***) Cérémonie de la remise des plaques de fonction aux nouveaux motards (Montbéliard 29 juillet 1954);
(****) « Magnifique exhibition des motards de la douane de Saint Raphaël » (« Nice matin » mai 1955).
 

Sources:

 
(1) La Vie de la Douane n° 173 – Octobre 1977
(2) La Vie de la Douane n° 164 – Juillet 1975
(3) Journal de la Formation professionnelle N° 40  – Janvier 1954
(4) Journal de la Formation professionnelle N° 32  – Octobre 1953
(5) Journal de la Formation professionnelle N° 15  – Janvier 1952
(6) Journal de la Formation professionnelle N° 39 – Juillet-août 1954
(7) Journal de la Formation professionnelle N° 40 – septembre 1954
(8) Journal de la Formation professionnelle N° 49 – Août 1955
(9) Journal de la Formation professionnelle N° 41 – Octobre 1954
(10) Journal de la Formation professionnelle N° 60 – Octobre 1956
(11) Journal de la Formation professionnelle N° 33 – Novembre-décembre 1953
(12) Bulletin d’information de l’AHAD n° 46 – Octobre 1946
(13) Journal de la Formation professionnelle N° 43 – Janvier 1955
(14) Journal de la Formation professionnelle N° 51 – Octobre 1955
 

 

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