Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
Douaniers et campagnes de la grande Armée en 1813 : de la mer Baltique et de la Poméranie aux bords de l’Elbe et du Weser
A la fin de l’année 1812, les derniers éléments de la Grande Armée ont été chassés de Russie par les généraux Platov, Tchitchagov, Wittgenstein et Vassiltchikov. Le désastre de cette campagne, relaté dans le 29e bulletin de la Grande Armée, a été suivi avec la plus grande attention en Allemagne où l’on espère bien profiter de cette situation pour se libérer du joug impérial français et, grâce au soulèvement des populations, recouvrer rapidement l’indépendance.
D’ailleurs, le 28 février 1813, à l’initiative du général prussien York, un traité est signé avec les Russes en vue de chasser les troupes françaises de la zone située à l’est de l’Elbe. Le général Dörnberg et le colonel Tettenborn, au service de la Russie, et les généraux russes Benkendorf et Tchernychev sont ainsi chargés de mener les combats.
À Paris, Napoléon est contrarié d’apprendre que le prince Eugène, vice-roi d’Italie, à qui Murat, appelé à Naples, a temporairement confié le commandement de l’armée, a abandonné le 12 février la ligne de l’Oder, pour se replier sur l’Elbe, sans se préoccuper du général Morand, commandant la Poméranie suédoise, au bord de la mer Baltique, où il est isolé, avec ses hommes, à Stralsund.
Le général Morand, avec ses 8 officiers d’état-major, a sous ses ordres, d’une part :
— de l’artillerie de ligne : la 3′ et la 17′ compagnie du 8′ régiment et la 15′ compagnie du 9′ régiment, comptant 5 pièces de 6 et une de 3, avec leurs munitions, soit 9 officiers et 280 hommes.
— les douaniers de la province, soit 12 officiers et 260 hommes dont 25 à cheval
— la marine de la flottille impériale de Poméranie, soit 12 officiers et 160 hommes
— de l’infanterie de marche, soit 147 hommes qui sortent, pour la plupart d’entre eux des hôpitaux et constituent deux détachements d’escorte des bagages, dont 200 000 cartouches d’infanterie d’autre part
— le régiment de Saxe Maximilien, fidèle à la France, fort de 33 officiers et 1 459 hommes
— de l’artillerie saxonne, comptant 4 pièces de 8 et 2 obusiers, avec 5 officiers et 165 hommes.
La route de Stralsund à Berlin, où est installé le quartier-général du prince Eugène, étant passé sous le contrôle des troupes russes, le général Morand décide de rejoindre Hambourg où s’est établi le général Carra Saint-Cyr, commandant la 32′ division.
Napoléon écrit à Eugène, en forme de reproche : « Comment ce général (Morand) ne s’est-il mis en mouvement que le 11, tandis que vous avez quitté Berlin dès le 4 ?»
Le 12 mars, le général Carra Saint-Cyr quitte Hambourg. Les services de police lui ont fourni d’inquiétantes informations sur l’état d’esprit de la population et il vient d’apprendre que des unités russes peuvent le menacer : le détachement Tettenborn compte 4 régiments de cosaques du Don, 4 escadrons de hussards d’Izioum, 2 escadrons de dragons de Kazar et de l’artillerie montée. Le 10, il avait envisagé d’envoyer 200 douaniers, 60 fantassins et 2 bouches à feu à Borjedorf, situé à 15 km au sud est de Hambourg pour s’assurer du franchissement de l’Elbe.
En fait, toute la garnison rejoint Borjedorf. Carra Saint-Cyr s’en explique au ministre de la Guerre, le général Clarke : « C’est le meilleur moyen d’assurer ma jonction avec le général Morand, de tenir ferme à Lunebourg et à Harbourg, et, dans cette position, je contiendrai mieux la ville de Hambourg, et je serai plus sûr que si je m’enfermais dans ses murs, au risque d’avoir toutes espèces de retraites coupées ».
Telle n’est pas l’opinion de l’Empereur qui prescrit au ministre : « Faites connaître au général Saint-Cyr qu’il a agi dans tout cela avec précipitation et sans garder son sang- froid (…) Dites-lui qu’il faut qu’il tienne vis-à-vis de Hambourg avec le général Morand et tous les douaniers » (correspondance du 21 mars).
Sans plus attendre, Carra Saint-Cyr abandonne la rive droite de l’Elbe et franchit le fleuve. Il passera cinq jours à Winsen, rendant compte au général Lauriston, commandant le corps d’observation de l’Elbe, qui y attend le général Morand et ses troupes.
Le trajet de Morand fut difficile avec ses « 14 pièces d’artillerie, ses caissons, ses gros bagages, sa comptabilité, 10 voitures d’approvisionnement, etc. ce qui retarda considérablement sa marche ». Les premiers éléments, partis de Sraslund le 9 mars, atteignent Bergesdorf le 15, après avoir parcouru 230 km, sans repos, en 7 jours.
Les cavaliers de Tettenborn attaquent Morand dès le 15. L’insurrection a éclaté à Hambourg. Carra Saint-Cyr envisage de déplacer son quartier général à Tostedt. Morand doit donc franchir l’Elbe au plus tôt.
Il y parvient le 17, à Zollenspeicker, grâce à la compétence des marins, à la précision de l’artillerie, au courage des hommes de l’arrière-garde, ne perdant au cours de ces journées « ni hommes, ni canons, ni bagages, » alors que l’ennemi avait à déplorer une centaine de tués, dont trois officiers et un grand nombre de blessés. « Je n’ai que des éloges à donner, écrit le général Morand, aux braves troupes sous mes ordres. Le régiment de Saxe Maximilien, qui n’avait jamais vu le feu, a montré beaucoup de bravoure. Les canonniers de ligne, la marine impériale et les employés des douanes, se sont conduits très courageusement ».
Alors que Morand s’installe à Winsen, Carra Saint-Cyr, à qui le préfet a fait rapporter que des troupes populaires menaçaient à Brême et qu’il fallait les réprimer, annonce au ministre qu’il rejoint Brême avec ses troupes, abandonnant les rives de l’Elbe et demandant à Morand de le suivre. Le 22, un jour après que Carra Saint-Cyr se fut installé à Brême, Morand établit son cantonnement à l’entrée de la ville, sur la rive gauche du Weser.
Le général Wandamme exprime son opinion, le 2 avril, au ministre de la Guerre : « Il (le général Carra Saint-Cyr) pouvait et devait même rester sur l’Elbe et ne pas quitter le général Morand qui, dans toutes ses lettres, le priait de ne pas s’éloigner (…).Le général Saint-Cyr est hors d’état de diriger ses troupes au moindre danger. Ce général est fini, usé, nul enfin, et sans caractère ».
Napoléon réagit mal à cet abandon de la surveillance en basse Elbe, et fait prescrire par le prince Eugène au général Morand d’avoir à rejoindre d’urgence, en arrière, la zone gauche de l’Elbe, et d’occuper Lunebourg où la population avait déposé les autorités françaises le 21 mars, cependant que le colonel Von Estorff avait constitué un régiment de chasseurs et un régiment de hussards pour s’opposer au retour des troupes françaises, en attendant l’arrivée prochaine des colonnes russes, commandées par le général Dôrnberg : 820 hommes d’infanterie, 3200 cavaliers, 10 canons et 350 volontaires prussiens.
Le général Morand est à Tostedt le 27 mars. Il apprend que Lunebourg est occupé par 2000 cosaques. Devant l’impossibilité à 350 cavaliers du corps du général Wathier qui commande la cavalerie en Westphalie (le général Bourcier avait réussi à mettre à la disposition de Wathier 1300 cavaliers, le 18 mars), de rejoindre le général Morand, Carra Saint-Cyr lui envoie deux bataillons d’infanterie.
Le 31, la colonne Morand progresse vers Lunebourg. Certes, elles est attaquée à plusieurs reprises, mais les pertes sont très faibles, les cavaliers ennemis se contentant d’observer, de suivre, puis de disparaître.
Le 1er avril, Morand parvient à Lunebourg, dans une plaine, sur la rive gauche de l’Ilmenau, affluent de l’Elbe. Avec ses 10 000 habitants, Lunebourg est entourée de murs de forteresse impressionnants, à laquelle six portes donnent accès. Les canons de l’avant- garde saxonne font brillamment leur office? Les portes cèdent. Les unités françaises et saxonnes avancent dans la ville.
On y dénombre une trentaine de morts, alors que seuls deux canonniers français ont été tués. Morand, depuis son départ de Winsen pour Lunebourg, n’a plus de marine, les blessés de la compagnie de marche, la 15e compagnie du 9′ régiment d’artillerie, mais il a reçu 18 officiers et 450 hommes du 4′ bataillon du 152′ régiment d’infanterie, ainsi que 250 cavaliers et 20 gendarmes à cheval. Saxons, fantassins, douaniers (12 officiers, 235 hommes et 25 à cheval) et artilleurs représentaient 82 officiers, 2144 hommes et seulement 70 cavaliers, alors que la recherche des renseignements sur l’importance, la nature et les mouvements des troupes russes et prussiennes revêtaient une importance capitale. La prise de Lunebourg, dans de si faciles conditions, a trompé le général Morand, qui n’estime pas utile d’établir des avant- postes et commet l’erreur fatale de s’enfermer dans la ville.
Or, les détachements de Diirnberg rejoignent Lunebourg, ainsi que ceux de Benkendorf et de Tchernykev. C’est sur l’insistance du colonel du Von Estorff que le général Dürnberg décide, après bien des hésitations, d’ailleurs justifiées, d’attaquer dès le lendemain. Il sait que le général Morand dispose de forces plus importantes en infanterie et en artillerie et, que sa supériorité en cavalerie, n’est pas adaptée à la prise d’une forteresse.
À 6 heures du matin, le 2 avril, la garnison de Lunebourg est rassemblée, et les diverses missions sont attribuées aux unités. Les premiers tirs ne commencent qu’entre 9 et 10 heures. La ville est cernée par les cosaques. Morand fait battre la générale. Mais deux pièces d’artillerie tombent aux mains des hussards prussiens. Le bataillon du 152e est bloqué par la cavalerie adverse.
Des renforts saxons doivent être envoyés aux portes de Lüne, Altebrücken, Neuve, Bardowick et Rouge, alors que, vers midi, l’infanterie ennemie attaque en deux colonnes, efficacement soutenues par l’artillerie. Les défenseurs du poste de Lune sont pris à revers avant même que les renforts annoncés n’arrivent. Ils sont tués ou fait prisonniers.
Les Prussiens sont parvenus à ouvrir une brèche. Ils peuvent pénétrer clans la ville. Morand donne l’ordre de battre en retraite. Il parvient à atteindre les hauteurs à l’ouest de Lunebourg, alors que les Prussiens poursuivent les Saxons en des combats meurtriers à travers la ville.
Les défenseurs des portes, attaqués par les cavaliers russes et pris à revers par les Prussiens, sont contraints, malgré leur vaillance et leur courage, à céder la porte Altebrücken, la porte Rouge et la porte de Bardowick. Seuls les défenseurs de la porte Sulz réussissent à s’échapper.
À 13 heures, le régiment saxon, réduit à 480 hommes, se reforme sur la route de Tostedt, à environ 800 mètres de la porte Neuve, avec le bataillon du 152e et des sections de douaniers qui étaient parvenus à quitter Lunebourg avec le général Morand. Les hussards et les cosaques n’osent pas attaquer.
À 15 heures, Morand décide de lancer une contre-attaque. A la tête du régiment Maximilien, au cri de « Vive l’Empereur! », repris par les hommes, il parcourt environ 600 mètres sous le feu de l’ennemi qui bloque sa progression. Morand est blessé au ventre. Il passe le commandement au colonel Von Ehrenstein qui, après une seconde blessure, envoie le capitaine Erdtel parlementer avec le général Dörnberg qui accorde aux troupes saxonnes la faculté de se retirer librement.
Le bilan de cette bataille est sévère : 1 officier tué, 11 blessés dont plusieurs périront, 130 hommes tués, 220 blessés, 70 officiers et 2200 hommes faits prisonniers; ils seront dirigés sur Berlin, puis envoyés en Russie. Les Russes et les Prussiens quant à eux, ont eu 9 officiers et 300 hommes tués ou blessés.
L’état-major français, totalement coupé du corps Morand, n’aura connaissance de sa perte qu’au bout de 4 ou 5 jours (généraux Carra Saint-Cyr, Vandamme, Monthion et Berthier).
Le général Tettenborn adressera, le 3 avril, des félicitations au général Tcherwycher : « C’est un événement qui poussera nos affaires en Allemagne d’une manière éclatante et favori sera singulièrement nos projets d’insurrection ». Le général Wittgenstein, commandant en chef de l’armée russo-prussienne recevra un rapport «de cette brillante victoire sur un adversaire qui nous était supérieur en forces et dont, je me flatte de le dire, pas un seul des officiers subalternes ni des hommes n’a réussi à se sauver ». Le général Dörnberg proclamera, le 7 avril, dans un brillant ordre du jour, que « Russes et Prussiens se sont conduit en héros ». Le roi Frédéric-Guillaume III décernera les premières Croix de Fer, nouvelle décoration dans la guerre contre Napoléon.
Le général Dörnberg évacuera Lunebourg le 3 avril, avant qu’un détachement, du corps de Davout, eût reçu l’ordre de reprendre la ville. Ce détachement est commandé par le colonel Montbrun, frère du général Louis Montbrun, tué à la bataille de la Moscova et gendre de Morand. Le colonel Sibuet, com- mandant le 147e régiment d’infanterie de ligne, également gendre de Morand, fait par- tie du détachement; il périra en août, après avoir été promu général.
Le général Morand, commandant de l’ordre de la Légion d’Honneur en 1804, baron de l’Empire en 1810, mourut le 5 avril et fut inhumé près de Lunebourg, à Boitzenbourg, avec tous les honneurs dus à son rang. Il n’eut pas connaissance de la note de service (du 26 mars 1813) qui lui confiait le commandement de la 1′ division du 1′ corps d’armée.
Claude Pélerin
Cahiers d’histoire des douanes
N°22
1er semestre 2000