Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
Les enseignements douaniers de la Ligue hanséatique
Les villes côtières allemandes qui bordent la mer du Nord ont conservé leur attachement historique à la Hanse, à laquelle elles associent toujours leur nom. Les plaques d’immatriculation allemandes en portent encore les traces : « HH » pour Hansastadt Hamburg, « HR » pour Hansastadt Rostock… « HB » pour Hansastadt Bremen, par exemple.
Cette « Hansa » signifie à ses origines association de marchands. Prémisse d’une multinationale, établissant dès le XIIème siècle sa puissance commerciale et financière, elle développe un arsenal de mesures qui rétrospectivement prennent tous les aspects de ce qui fera bien plus tard l’apanage des unions douanières étatiques.
Un lobbying de marchands qui naît de la faiblesse des États nations
Ce qui fait le terreau de cette ligue hanséatique (ou Ligue ci-après) renvoie à l’absence d’autorité effective des États voisins, qu’il s’agisse des territoires germaniques, du Danemark ou de la Norvège.
L’empereur d’Allemagne est encore dans l’incapacité de fédérer réellement autour d’une zone linguistique et de traits culturels communs.
Ainsi que l’indique Tristan GASTON-BRETON : « Déchirée par l’interminable conflit qui oppose l’empereur et le pape, l’Allemagne est plongée dans une totale anarchie. Occupés à livrer bataille en Italie, les empereurs ne sont plus en état d’assurer la protection des villes, exposant les marchands aux attaques des brigands, des pirates ou des vassaux en rupture de ban. » (Article publié dans Les Echos, 7 août 2013)
La Hanse naît à Lübeck, située sur l’isthme séparant la Baltique de la mer du Nord. Conquise puis exploitée en 1158 par les ducs de Saxe, cette ville côtière dispose d’une position stratégique sur le parcours terrestre d’une rive à l’autre.
Son acte de naissance officiel date de 1241, lorsque s’érige une union des bourgeoisies marchandes de Lübeck et de Hambourg. Ce réseau s’étend rapidement, et dépasse la sphère strictement germanophone : Novgorod, Bergen, Lunebourg, Stettin, Londres, Cologne, Bourgneuf, Goslar figurent notamment dans la Ligue.
Un outillage douanier pour se protéger et conquérir
Se protéger des pillages, des brigands et d’une concurrence commerciale féroce, tout en favorisant partout ses membres. Ces deux faces d’une même politique se retrouve dans les outils mis en place par la Ligue :
- Au chapitre défensif, elle accorde des privilèges à ses membres, rend justice elle-même lorsqu’un de ses membres est impliqué, et protège ses marchands à l’étranger; elle peut aussi utiliser le blocus économique d’envergure pour faire plier un adversaire. Tel est le cas en 1280 face à Bruges puis en 1284 face à la Norvège (blocus maritime).
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- Au plan offensif, elle vise la prospérité commerciale collective. Pour ce faire, elle développe une habile politique commerciale et fiscale commune, au moyen d’exemptions ou privilèges de taxes et d’impositions sur les marchandises (tonlieux). Elle signe des traités commerciaux avec les États, au nom de ses membres. Ainsi, le traité de Stralsund du 24 mai 1370 octroie à la Ligue un droit de veto pour désigner le successeur au trône du Danemark, tout comme la liberté complète du trafic commercial.
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- Sécurité, facilitations… les hanséatiques, avant garde d’opérateurs économiques agréés ! Elle propose aussi des outils pour sécuriser les chargements et déchargements de ses navires, tout en développant des facilitations, comme la possibilité de décharger ou charger de nuit.
La Hanse repose sur une flotte navale conséquente qui règne en maître dans les espaces maritimes nordiques.L Elle dispose au XIVe siècle d’environ 1000 bateaux, permettant environ 60 000 tonneaux de charge. Ses chantiers navals de Lübeck et Dantzig sont réputés. En 1426, afin de priver ses concurrents commerciaux de moyens techniques, la Hanse vote l’interdiction totale de vente de bateaux à la concurrence.
Les principales innovations techniques portent sur la mise au point du Cogge. Il s’agissait d’un navire marchand à étrave droite avec un franc-bord important et un gouvernail arrière à charnière formée par des aiguillons et des goujons. Il possédait des plates-formes de combat, des gaillards d’avant et d’arrière d’où l’on repoussait les pirates et tout autre ennemi.
Les limites d’un protectionnisme exacerbé
A partir du milieu du XIVe siècle, la Ligue muscle ses mesures. Elle accroît l’aide et les privilèges commerciaux offerts à ses membres, tout en développant des restrictions de l’activité commerciale des non résidents : mesures de prohibitions à l’importation (exemple des draps hollandais), surveillance étroite des ports et accès à leur marché intérieur, suppression de l’accès au crédit. Elle met ainsi en place une forme de « préférence communautaire » avant l’heure.
Le réveil d’autres places commerciales s’accompagne de celui des États au milieu du XIVe siècle.
L’Italie et l’Angleterre constituent des concurrents solides. Les Italiens développent une ingénierie financière qui permet aux Lombards de prendre pied au sein même des établissements bancaires de Lübeck. Ils s’intègrent rapidement aux foires de Champagne, tandis que les Anglais installent un comptoir commercial à Danzig.
Les Hollandais concurrencent les produits hanséatiques, en raison de leur faible prix davantage que de leur qualité. Ceux-ci viennent déstabiliser les monopoles hanséatiques, notamment à Bourgneuf et à l’embouchure de la Loire (commerce du sel et du vin). Tel est aussi le cas en Norvège et au Danemark.
Enfin, les Allemands du Sud, notamment de la région de Nuremberg entrent au sein de la Ligue par ruse au moyen de mariages intelligents avec de puissantes familles hanséatiques.
Alors que les États se réveillent, une des raisons de l’affaiblissement de la Ligue Hanséatique tient en réalité d’abord à une perte de solidarité au sein de ses membres. La défaite de Tannenberg par les chevaliers Teutoniques (1410) affaiblit considérablement la Ligue.
C’est le commerce Atlantique qui peut au XVe siècle bénéficier d’un report de trafic commercial, qui contribue à l’affaissement de la Ligue, tandis que les États traditionnels reprennent de la vigueur et effacent progressivement cette guilde des marchands.
Pour de nombreux observateurs, cette association fut un précurseur du marché commun européen. Si le parallèle est pour autant quelque peu excessif, la Hanseou « Hansa Teutonicorum » propose de nombreux traits que les unions douanières reproduiront…
La ville de La Rochelle participe aujourd’hui à un réseau culturel international « Städtebund die Hanse » (union des villes de la Hanse), perpétuant l’association de quelques villes françaises de la côte Atlantique à cette zone de commerce international maritime).
Arnaud PICARD