Calais, mai 1940 : le témoignage du lieutenant Letuvé (journal de marche de la 1ère compagnie du 25e bataillon douanier)
Nom et Prénom : Létuvé – Pierre, Alfred
Date et lieu de naissance : 27 septembre 1911 à Mondicourt (Pas-de-Calais)
Grade : Lieutenant
Unité : 25e bataillon de douaniers (commandant la 1ère compagnie affectée à Calais.

Le 25e bataillon est mis sur pied par la direction de Boulogne. Il comprend trois compagnies et il est commandé par le commandant Buffe, inspecteur principal à Boulogne. La 1re compagnie regroupe la capitainerie et la lieutenance de Calais avec les brigades de Wissant, de Calais Sédentaire, de Calais Mobile, de Calais Ambulante, de Calais Maritime et d’Oye-Plage. Elle est commandée par le capitaine Gagner qui est hospitalisé du 7 mars 1940 au 10 janvier 1942.
Le commandement est alors assuré par le lieutenant Létuvé. Jusqu’au 10 mai 1940, la compagnie est employée au contrôle douanier et à la garde de certains points, notamment sur la côte.
Au 10 mai, la compagnie participe au maintien de l’ordre en ville, à la garde de la gare de marchandises de Rivière-Neuve et des ponts.
Le 21 mai, la compagnie reçoit l’ordre de se rendre au Fort Lapin à Blériot-Plage, puis elle participe à la défense de la place. Le lieutenant Létuvé prend part du 22 au 26 mai 1940 à la défense de la citadelle de Calais où il est fait prisonnier.
Il est emprisonné à l’Oflag XB (Nienburg/Weser, en Basse-Saxe) et rapatrié le 26 avril 1945.
La défense de Calais en mai 1940
Suite à la percée allemande sur la Meuse à partir du 10 mai, Calais et ses fortifications sont mises en état de défense le 21 mai. Les défenseurs sont dirigés par le brigadier Claude Nicholson pour les troupes anglaises et le capitaine de frégate Charles de Lambertye pour les troupes françaises. Les 22 mai et 23 mai 1940, les troupes alliées préparent la défense de la ville.
Le 24, la 10. Panzerdivision, commandée par le général Schaal, encercle la ville. Le 25, les assaillants utilisent de l’artillerie lourde contre la citadelle. Les écuries brûlent avec tous leurs chevaux, les casernes s’écroulent en grande partie, les postes de secours sont débordés. Un dépôt de mazout en feu, côté ouest, voile le ciel de Calais durant toute la journée. Néanmoins, les défenseurs rejettent l’ultimatum allemand de reddition. Le 26, le bombardement reprend sur la citadelle. Les Allemands attaquent ensuite les remparts au lance-flammes, et finissent par pénétrer dans la citadelle. Faute de munitions, à 16h30, les combats cessent, rendant les Allemands maîtres des lieux, après un siège qui aura duré 36 heures.
Rémy Scherer
Journal du lieutenant Létuvé du 22 au 27 mai 1940
” Le 22 mai 1940, dans le courant de la matinée, je suis convoqué à la citadelle de Calais où je reçois du Commandant d’armes, le capitaine de frégate de Lambertie, l’ordre de me rendre avec ma compagnie au fort Lapin à Blériot-Plage, pour participer à la défense de la place.
Dès mon arrivée à l’ouvrage précité, je me présente au lieutenant de vaisseau Seguier, commandant le fort, et reçois de ce supérieur les consignes compatibles avec les moyens de combat dont je dispose.
Un poste est établi en bordure de la route Calais – Boulogne. Tout individu circulant sur cette route est interrogé. Les militaires isolés sont dirigés sur Calais. Les hommes disponibles organisent le cantonnement dans des parties de baraques cédées par les marins. Je réquisitionne, avec un camion mis à ma disposition, des balles de paille à la ferme Trouille.
Par communication téléphonique, le 23, le commissaire de gare de Calais me donne l’ordre de continuer de faire assurer la garde de la gare de marchandises de Rivière-Neuve. Dans la journée, ayant appris que le vieux fort Nieulay est occupé par des troupes françaises, je donne l’ordre au caporal Bourgau de se rendre à cette position, pour se mettre en rapport avec ses défenseurs. Tous les renseignements recueillis par le poste de la route font l’objet de comptes-rendus que j’adresse au capitaine Seguier. Le fort Lapin qui, en réalité, n’est pas un fort mais un ouvrage à ciel ouvert, possède quelques pièces de marine. Il n’existe aucun abri pour les défenseurs Ceux-ci comprennent alors des marins (soit artilleurs, soit simplement des marins armés de fusils), des douaniers (ma compagnie renforcée de quelques douaniers des frontières du Nord que j’ai recueilli), une section de mitrailleurs, renforcée par un canon de 25 antichar appartenant, je crois, au 265e d’infanterie, commandée par un lieutenant. Les mitrailleurs out pris place depuis plusieurs jours au sud de la position, Le canon antichar étant placé en bordure de la route.
Le 22 après-midi, le lieutenant de vaisseau Seguier me convoque à son P.C. ainsi que le lieutenant de la section de mitrailleuses. Est en outre présent l’adjoint du capitaine Seguier, un enseigne de deuxième classe. Après avoir recueilli nos avis, le commandant de l’ouvrage décide de la conduite à tenir en cas d’attaque et rend compte à la Place. Le 23, sur ordre de la Place, tous les militaires isolés doivent être regroupés et réarmés avec des fusils hollandais mis à notre disposition. Ce même jour, l’on m’apporte à mon P.C. un ordre tapé à la machine prescrivant de dégager immédiatement toutes les routes Cet ordre n’est pas nominatif et ne porte aucune signature. Il a été remis au poste routier par un officier qui est parti de suite. Je prend l’attache du lieutenant de vaisseau Seguier qui demande confirmation à la Place où, parait-il, l’on ignore complètement l’existence d’un tel ordre. Dès avant cet incident, l’on pouvait constater l’absence presque complète de renseignements sur le position ou la marche de l’ennemi. Peu d’ordres et souvent contradictoires.
Peu de temps après cet incident, je suis informé par des hommes de ma compagnie que les artilleurs démontent leurs pièces et parlent de se rendre. Je me porte sur l’emplacement de cette section et je constate la véracité du compte rendu, Je préviens immédiatement le commandant du fort qui fait alors rechercher et conduire à son P.C. l’officier responsable. En ma présence, des explications sont demandées au lieutenant qui déclare avoir interprété les termes d’un ordre identique à celui reçu par moi, comme un signe de reddition et avoir pris l’initiative de mettre des pièces hors d’usage. De sérieuses observations lui furent adressées par le lieutenant de vaisseau Seguier qui rappelle que seuls ses ordres devaient être exécutés, sans discussion, et que cet incident serait solutionné par la suite.
Il est à noter également que, parmi les militaires récupérés sur la route, beaucoup disparaissent dès qu’ils échappent au contrôle d’un officier. C’est ainsi qu’au cours d’une tournée sur la position de défense, je découvre de nombreuses armes abandonnées. Des bouteilles d’essence sont apportées, avec des tampons d’étoupes, par des marins. Elles sont envoyées par la Place pour lutter, le cas échéant, contre les chars. Elles sont réparties parmi les hommes qui se trouvent le long de la route (marins, douaniers et fantassins).
Dans le courant de l’après-midi du 23, des navires de guerre tirent sur la côte entre Escales et Vissant. Les pièces du fort Lapin ouvrent également le feu, sans qu’aucune pièce ennemie ne réponde. Des militaires français retraitant déclarent avoir été bombardés par des navires. Je préviens immédiatement le commandant du fort qui fait cesser le feu à ses pièces, prévient à son tour la Place par téléphone. Les bâtiments de guerre continuent leur tir pendant quelques temps encore. De nombreux civils refluent sur la route venant de Boulogne.
La marine a fait disposer deux mines marines sur cette route et deux sous-officiers de cette arme doivent les faire sauter à temps opportun. Le 23 dans la soirée, nous apercevons, à la jumelle, une vingtaine de chars qui évoluent dans plaine, au nord de Coquelle. Il parait que ce sont des chars alliés. Le 23 au soir, la garnison du fort est renforcée par un nombre assez important de soldats appartenant au 9e Train, commandés par un commandant et plusieurs officiers.
Le 24 à l’aube, j’effectue une reconnaissance jusqu’à l’ancien poste de Sangatte. Un civil nous déclare avoir aperçu une automitrailleuse sur la route. Peu après notre visite, une première salve d’obus passe au-dessus de nos têtes et tombe en mer. Les pièces du fort ouvrent le feu. L’ennemi tire avec obus fusants, mais son tir est trop haut. A un certain moment, nous sommes survolés par un avion portant les couleurs belges. Un des deux occupants fait signe de la main et l’avion prend la direction de Coquelle. Quelques instants plus tard, le tir de l’artillerie ennemie s’accentue et devient plus précis. La position de défense établie en bordure de la route n’est pas touchée, mais des coups arrivent sur l’emplacement des pièces de marine. Des blessés sont évacués. Un flottement s’étant produit, je fais mettre quelques hommes de mon unité à la disposition des artilleurs. La position est dangereuse, mais nous n’avons aucune perte pour ce qui nous concerne.
Dans le courant de l’après-midi, le lieutenant de vaisseau Seguier communique l’ordre de se replier sur Calais. Les défenseurs du fort, sous la conduite du commandant du 9e Train, se retirent sur la côte, poursuivis par le tir ennemi. J’accompagne le capitaine Seguier au bastion 12, après avoir indiqué aux hommes de la compagnie de se rendre à la caserne des douanes. Il est à noter qu’à ce moment aucune prise de contact n’a eu lieu avec l’infanterie allemande et aucun tir d’armes légères n’a été échangé.
Au bastion 12, nous rencontrons le capitaine de frégate de Lambertie qui nous déclare que la ville sera défendue, me donne l’ordre d’aller m’assurer de l’état de défense du vieux fort Risben et, à cet effet, me remet un papier, signé de lui, m’autorisant à circuler.
Des bâtiments de mer bombardent la côte, notamment le sémaphore de Blériot-Plage qui s’écroule. Pris à partie par une douzaine d’avions, les navires s’éloignent vers la côte anglaise.
Au fort Risben, occupé par des militaires qui appartiennent à diverses unités, il n’y a pratiquement pas de moyens de défense. J’y trouve un groupe de douaniers, comprenant entre autres Haye, Dumont et Renier. Ces derniers me font part de la présence d’un téléphone de campagne que personne n’ose toucher de crainte qu’il ne soit miné. Après examen de cet appareil, je constate qu’il fonctionne et qu’il est relié avec un autre poste tenu par des troupes anglaises. A ce moment, nous sommes interpellés par plusieurs hommes, simples soldats du 9e Train qui semblent pris de boisson et qui nous demandent de présenter nos papiers. Devant leur attitude et pour éviter tout incident, nous nous exécutons. Sans donner aucune explication, ces militaires sortent leur pistolet et sans l’interposition d’un lieutenant arrivé inopinément sur les lieux, le pire était à craindre.
De retour au bastion 12, je rends compte au commandant d’Armes des faits et obtient de ce dernier l’autorisation de me rendre à la caserne des douanes à la condition de ramener mon unité. A la caserne, je retrouve le plus grande partie de mon unité. Toutefois, le lieutenant Decodts est absent. J’apprends que cet officier serait retourné au fort Lapin présenter mes papiers aux patrouilles anglaises. Quelques hommes m’accompagnent, dont le chauffeur Legal. Je rencontre le lieutenant Decodts avec deux ou trois hommes sur le boulevard des Alliés. Cet officier m’explique qu’il est resté au fort Lapin avec quelques hommes, que l’ennemi n’a pas occupé encore ce point et me précise n’avoir aperçu de fantassins ennemis. Je lui donne l’ordre de regrouper la compagnie et de venir nous rejoindre au bastion 12. Rentré à cet ouvrage, je rends compte au capitaine de frégate de Lambertie.
A 22 heures, Le soldat Fontaine se présente au bastion. Il arrive de Sangatte, par la côte. Il est passé au fort Lapin, n’a rien remarqué d’anormal, si ce n‘est le cadavre d’un soldat anglais. Ces renseignements de la dernière heure sont communiqués au commandant. Je passe la nuit du 24 au 25 sur la position de défense (défense assurée d’ailleurs avec peu de moyens). Le soldat Fontaine reste près de moi. Ma compagnie n’a pas rejoint. Un violent feu d’artillerie se déclenche sur nous, car nous sonnes adossés an bassin de marée et des opérations de débarquement s’y effectuent. Des troupes anglaises débarquent pour aller prendre position.
Dans les premières heures de la matinée, j’apprends par un agent de transmission que des douaniers se trouvent à la citadelle. J’obtiens du capitaine de frégate de Lambertie l’autorisation de l’accompagner à la citadelle. Je prends place dans sa voiture. Le passage des postes est devenu aussi difficile, sur il est battu par des tirs d’armes automatiques. L’ennemi a occupé, au cours de la nuit, Calais-sud et le drapeau allemand flotte sur L’Hôtel de Ville.
A la citadelle, le lieutenant Decodts me rend compte que, la veille, s’étant présenté à l’entrée du bastion 12, le service de garde s’est refusé à lui permettre le passage. En conséquence, il s’était rendu à la citadelle où il avait pu, après de longues discussions, pénétrer. Il me dit n’avoir qu’une partie de l’effectif, le reste étant disparu. Les hommes assurent un service d’observation sur les remparts. Ayant appris que certains hommes étaient occupés depuis plusieurs heures alors que d’autres sont ou repos, je prescris immédiatement un service de relève, donne des instructions pour l’établissement d’un tour de service. Un fusil mitrailleur étant enrayé, je procède au démontage de l’arme et indique aux hommes présents le maniement. Je remets de l’ordre dans l’unité, ramène au calme deux caporaux qui s’étaient pris de querelle pour un motif futile. J’interdis toute consommation abusive de boisson alcoolisée.
Parmi les défenseurs de la citadelle, se trouvent de nombreux Anglais en unités constituées. Appelé au P.C., j’entends le récit du lieutenant qui a échappé à l’encerclement du fort Nieulay. Cet officier prétend qu’il a vu une centaine de chars ou véhicules blindés. Un commandant d’infanterie transmet ces déclarations par té1éphone à l’Amiral à Dunkerque et le lieutenant est presque accusé d’avoir ou des hallucinations.
Il y a deux prisonniers allemands à la citadelle. Il s’agit de deux motocyclistes qui se sont aventurés trop en avant. L’ennemi envoie quelques salves d’artillerie en direction de la citadelle, puis cesse son tir. Un parlementaire se présente, les yeux bandés. Il demande la reddition de la citadelle. Le commandant repousse cette demande et le bombardement reprend. Il est à noter qu’à ce moment, le commandement appartient à un général anglais qui sera d’ailleurs fait prisonnier. Le maire de Calais qui était venu apporter, le 25 au matin, les conditions de l’ennemi, est également présent à la citadelle. Je m’entretiens avec lui, le général anglais se refusant à le laisser sortir.
Le commandant de Lambertie fait part aux commandants de compagnie de l’ordre qu’il a reçu de l’Amiral, résister jusqu’au bout.
Je suis informé que le soldat Deplain vient d’être mortellement atteint et que les caporaux Marcourt et Berier sont grièvement blessés. J’obtiens la relève de mes hommes qui regagnent alors les abris (caves sous bâtiments). Un obus d’assez gros calibre percute à la base du bâtiment, provoquant l’éboulement du mur intérieur qu’ ensevelit le soldat Lasquellec. Immédiatement dégagé, ce dernier est indemne. La citadelle ne possède pas d’artillerie et ses défenseurs reçoivent des coups sans pouvoir en rendre. Le bâtiment ayant pris feu, j’ordonne l’évacuation. Ma compagnie prend place dans un autre abri. Une corvée est fournie par chaque unité, pour aller percevoir des vivres dans un autre abri.
Au cours de la nuit du 25 au 26, l’aviation, guidée par les lueurs de l’incendie, attaque à son tour et continue jusqu’au début de la matinée. Au début de l’après-midi, ordre est donné de faire prendre place à tous les hommes valides sur la position de résistance. Des signes visibles de préparation d’attaque ont été décelés.
Quelques douaniers sont malades, dont Petit et Sophis, je prends la responsabilité de les autoriser à rester dans les abris. D’autres de mes hommes ont perdu leurs fusils. Je les arme avec des fusils que l’on apporte sur la position. Quelques grenades sont distribuées.
Le combat augmente à chaque instant d’intensité, aux tirs de l’artillerie se sont joints les tirs d’infanterie et de mortiers.
A un certain moment, alors que je suis sur la position dans un trou avec le caporal Sergant, je suis informé que le lieutenant Decodts vient d’être touché mortellement. M’étant rendu à cet endroit, je constate en outre que le sergent-chef Barents vient à son tour d’être mortellement touché par une balle à la tête. Le lieutenant Decodts et le sergent-chef Barents sont transportés à l’entrée d’un abri, déjà presque plein de blessés et de morts.
Le sous-officier respire encore mais il a perdu connaissance. Il rendra le dernier soupir peu de temps après. Il n’y a aucun service sanitaire dans cette partie de la citadelle et l’on ne peut découvrir ni médecins, ni infirmiers. Remonté sur la position où le lieutenant Decodts et le sergent-chef Barents ont été touchés, je constate que le soldat Haudiquet a pris leur place et tire au mousqueton. Je le voie soudain tomber en s’écriant « il m’a eu ». I1 est immédiatement sorti du trou individuel par ses voisins. Je le transporte avec le soldat Lemort à l’intérieur de l’abri. Nous constatons qu’il est blessé en poignet et qu’il a la poitrine éraflée par une balle. Pansé sommairement par des camarades, il m’explique qu’il a aperçu, sur le haut du toit d’une maison voisine, le soldat ennemi qui l’a blessé.
Quelque temps plus tard, l’on nous prévient, au milieu d’une grande confusion, que la citadelle se rend. L’infanterie ennemie pénètre dans la citadelle. Nous sommes désarmés et formés en colonne par arme distincte. Un groupe de marins se trouve sans officier et je suis chargé de m’en occuper. Des soldats allemands s’installent sur les positions occupées peu de temps auparavant par nous, certains de ces soldats ont en leur possession des vêtements de douaniers. D’autres dépossèdent des prisonniers qui détiennent des canadiennes (vêtements de peau de mouton). Aucune brutalité envers nous, par contre les Anglais sont frappés et doivent creuser des trous pour enterrer les morts et les chevaux crevés. Deux civils pénètrent dans la citadelle, accueillis par un officier allemand avec qui ils conversent dans cette langue.
J’obtiens, par l’intermédiaire d’un officier français interprète bénévole l’autorisation de l’officier allemand qui semble diriger les forces ennemies, de faire procéder moi-même à l’inhumation du lieutenant Decodts et du sergent-chef Barents. A cet effet, je choisis quelques hommes de l’unité et avec deux couvertures nous transportons les deux corps dans la partie qui m’est indiquée. Un trou peu profond, vu l’absence d’outils et de temps octroyé, est creusé et les deux morts couchés l’un à côté de l’autre. Je casse les deux plaques individuelles et je dépose un des morceaux sur chaque corps. Les quelques hommes présents se mettent au garde à vous pendant quelques minutes.
Le soldat Petit, malade, était, pendant le combat, couché avec d’autres malades ou blessés dans une cave abri. Des soldats allemands qui nettoyaient le terrain jetèrent des grenades par l’un des soupiraux. Les hommes sortirent rapidement, malgré leur état. A la sortie, deux Allemands mitraillette au poing les obligèrent à s’agenouiller et à crier “Vive Hitler”. Ce compte rendu verbal a été vérifié par moi-même auprès de plusieurs malades.
Nous couchons dans les ruines des bâtiments avec interdiction d’en sortir et le lendemain, 27 mai, à l’aube, nous quittons Calais pour la captivité.
Abbeville, le 20 octobre 1945.
Signé Lieutenant Létuvé“.
Notes sur Pierre Létuvé
Il a obtenu plusieurs promotions au cours des postes occupés: Bousbecque, le Havre, Yport, Calais et Halluin à partir de 1950.
M. Pierre Létuvé était Chevalier dans l’Ordre National du Mérite. Ancien prisonnier de guerre Oflag XB, il avait reçu la Croix de guerre et la Croix du Combattant ainsi que la Médaille d’honneur des Douanes et la Médaille de la Jeunesse et des Sports.
M. Pierre Létuvé, commandant honoraire des Douanes, est décédé le mardi 13 mai 2008, dans sa 97e année.

Célébration franco-belge d’anciens combattants, avec retraite aux flambeaux vers Bruxelles le 22 novembre 1960. Portant le flambeau, le commandant Pierre Létuvé (Droits réservés).
Notes concernant les trois douaniers morts lors du siège de Calais
BARENTS (Jacob), patron à Calais (Pas-de-Calais), sergent-chef au 25ᵉ bataillon de douaniers (1ʳᵉ compagnie).
Né le 29 octobre 1899 à Calais (Pas-de-Calais).
Citation à l’ordre de l’armée (ordre n°813.C. du 22 octobre 1941) : «Sous-officier brave et plein d’allant. Au cours de l’attaque ennemie sur la citadelle de Calais, le 26 mai 1940, a remplacé spontanément son lieutenant tué. Par son courage, son esprit d’abnégation, a mis obstacle à la progression de l’adversaire. Tué à son poste de combat par une rafale en pleine tête. »
La présente nomination comporte l’attribution de la croix de guerre avec palme. (Décret du 16 novembre 1942, J.O. du 27 novembre 1942.)
DECODTS (Maurice), lieutenant à Calais, lieutenant au 25ᵉ bataillon de douaniers (1re compagnie).
Né le 02 septembre 1908 à Malo les Bains (Nord).
Légion d’honneur à titre posthume attribuée sur proposition du Général de corps d’Armée, secrétaire d’Etat à la guerre (décret du 1ᵉʳ septembre 1942, J.O. du 17 septembre 1942).
Citation à l’ordre de l’Armée : « Très brave chef de section. Au cours de l’attaque ennemie sur la citadelle de Calais, le 26 mai 1940, s’est porté en tête de la résistance et a empêché l’ennemi de prendre pied dans la partie de l’ouvrage défendue par sa section. A été tué par une rafale de balles en pleine tête. »
Le Directeur général intérimaire des Douanes a adressé le 2 octobre 1942 sous le n°5.632,3/2 au Directeur intérimaire à Boulogne une lettre indiquant : « Cette haute distinction qui témoigne de la haute bravoure de cet officier honore le corps militaire des Douanes tout entier et plus particulièrement les agents qui ont combattu sous ses ordres au 25e bataillon. Pour rendre hommage à la mémoire du disparu, l’Administration décide que la présente sera portée à l’ordre du jour de toutes les brigades de la Direction de Boulogne.»
DEPLAIN (Hippolyte, Arthur), préposé à Calais (Pas-de-Calais), soldat au 25ᵉ bataillon de douaniers (1re compagnie).
Né le 20 décembre 1899 à Bernay en Ponthieu (Somme).
Citation à l’ordre de la Division (ordre n° 808, C. du 22 octobre 1941). Médaille militaire (décret du 11 décembre 1942, J.O. du 10 janvier 1943, rectificatif J.O. du 18/19 janvier) :
« Brave soldat, a été tué par un obus à son observatoire le 25 mai 1940 à la citadelle de Calais. A été cité. »
Cette décoration, qui témoigne du courage et de l’esprit de sacrifice de ce préposé, honore le corps militaire des douanes. Pour rendre hommage à la mémoire du disparu, Mr le Directeur général intérimaire a décidé que le texte de la citation sera porté à l’ordre du jour de toutes les brigades de la circonscription de Boulogne.
Sources :
• – Livre d’or du corps des douanes – Guerre 1939-1945.
• – SHD (service historique de la défense -Vincennes) : Les Archives et Journaux Des Marches et Opérations des corps de troupe ( Bataillons Douaniers – série 34 n 381) Journal de marche de la 1re compagnie du 25e bataillon douanier par le lieutenant Letuvé,, avec mes remerciements à Thomas Bunel
• – ARPH : Association à la Recherche du Passé d’Halluin.


