Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
1986 : Douane et … montagne
Les « sentiers de douaniers » offrent les plus beaux panoramas de falaises, de caps et de criques, et ils attirent depuis toujours la sympathie des promeneurs. En montagne, nul n’a songé à baptiser ainsi les voies d’escalade, les raidillons et autres cheminées d’accès. A croire que les contrebandiers ont longtemps préféré les escarpements des vagues à ceux du plancher des vaches, comme s’il existait une connivence entre courants de fraude et courants marins.
Les anciens, c’est un fait d’histoire, étaient terrifiés par les frontières montagneuses. Religieusement préoccupés par leurs conditions de mort, comme nous le sommes par nos conditions de vie, ils n’osaient rompre l’équilibre de la terreur qui régnait aux sommets entre dieux manieurs de foudres et titans briseurs de montagnes.
Les modestes entreprises de fraude ne pouvaient évidemment pas s’offrir un éléphant comme Hannibal ou une légion comme Jules César pour traverser ces zones résidentielles.
Cette insécurité, déjà un fléau des grands ensembles, entraîna au Moyen Age le départ des dieux et leur remplacement par une population de diables qui, entre autres distractions, allumaient des feux dans les glacières (1) et élevaient des dragons dans les couloirs et les corridors de montagne. Le Mont-Blanc, en ces temps-là, s’appelait le … Mont Maudit» (2). Pareil voisinage rebutait les pionniers. D’ailleurs, passer d’une vallée à l’autre relevait des « coulisses de l’exploit ».
Si quatorze petits kilomètres séparent aujourd’hui, par le tunnel, Chamonix d’Entraves, autrefois, il fallait gravir le col des Montets, puis celui de la Forclaz, pour atteindre la vallée de Martigny en Suisse et passer enfin à 2 469 m le col du Grand-Saint-Bernard pour rejoindre le Val d’Aoste et Entraves après 152 kilomètres de marche. Chamonix, hameau déshérité, comptait au Moyen Age cent cinquante misérables « feux » protégés par un prieuré. Les enchevêtrements de l’Oisans étaient vides d’hommes. En lisière ouest de ces chaînes, la voie Augusta Praetoria, de Briançon à Grenoble, permettait de rejoindre la vallée du Rhône ou le Val d’Aoste par la vallée de l’Isère et l’Alpis Graia (col du Petit-Saint-Bernard). Le col du Mont Cenis offrira plus tard un raccourci, ouvert par les sapeurs de Napoléon.
En fait, jusqu’au début du 18°siècle, seuls les fondateurs de monastères, les pèlerins et les soldats entreprenaient une ascension; les uns portés par la foi, les autres par l’esprit de conquête.
Les anglais, grands planteurs de drapeaux en terres inconnues, découvrirent les premiers nos massifs. En 1741, Richard Pococke et William Windhom à la tête d’une équipe de sept hommes, montent une expédition et révèlent au monde la « mer de glace ». Quelques années plus tard, le professeur Forbes et William Brockedon s’aventurent dans l’Oisans et « découvrent » la Meige, le Pelvoux et les Ecrins. Ces trouvailles susciteront immédiatement la curiosité et les écrivains romantiques assureront auprès de tous ceux qui comptent en Europe, la publicité de ces merveilles naturelles.
Un siècle passe et les touristes succombent en foule aux tentations de la grande montagne. En été, rien ne rebute désormais les 4 x 4, les trials, les enduros, ou tout simplement les chaussures de marche animés du même désir de vaincre. En hiver, la neige aplanit les difficultés. Il suffit d’une bonne glisse et de laisser aller Shuss !
Les « branchés » de 1985 exigent le « ski sans frontières » et sont émerveillés de réaliser en une heure des liaisons qui nécessitent une demi journée sur quatre roues.
Entre la France et la Suisse, les « Portes du soleil » unissent par 150 km de remontée mécaniques, huit stations françaises : Chapelle d’Abondance – Abondance – Avoriaz – Châtel – les Gets – Montriond – Morzine – Saint-Jean-d’Aulps – et six stations suisses : Champéry – Planachaux Morgins – Torgon – Val d’Illiez – Champoussin – Les Crosets.
Entre la France et l’Italie : La Rosière (Bourg-Saint-Maurice) s’est unie à La Thuile, Val Cenis (Modane) à Bardonnechia, et Mont Genèvre à Sestrière.
Partout les multinationales de la neige sont en expansion, « ski sans frontières » est un slogan porteur.
Evoquée en introduction, l’absence en montagne des « sentiers de douaniers », a pu laisser croire que les frontières étaient également vierges de tout contrôle et qu’elles pouvaient devenir le paradis d’une nouvelle contrebande. En effet, si la surveillance douanière dans les vallées est bien connue, il est plus difficile d’imaginer qu’elle peut également s’exercer sur les tracés aériens de la frontière où poussent l’edelweiss et le génépi.
C’est la mission même des brigades de montagne, composées pour la plupart d’authentiques montagnards et de remarquables skieurs.
76 unités exercent en zone montagneuse, 26 d’entre elles étant constituées d’agents capables d’entreprendre un raid de patrouille ou une mission de secours par tout temps ou toute neige.
Dans les hauts plateaux vosgiens ou jurassiens, comme dans les Alpes ou les Pyrénées, ces montagnards douaniers assurent la présence de notre administration dans des circonstances toujours difficiles, qu’il s’agisse d’une installation, permanente comme à la Pointe Helbronner (3800 m) dans le massif du Mont-Blanc, de missions pédestres ou héliportées sur les points de passage les plus élevés ou de patrouilles à skis sur le parcours des «transfrontières», la tâche est toujours rude et requiert de remarquables qualités morales et physiques.
Issus de la haute compétition ou formés à l’Ecole de ski de Séez, tous ces agents continuent de pratiquer les sports de montagne et à représenter la douane dans les rencontres de haut niveau. C’est le cas notamment du « Concours National de ski » au cours duquel s’affrontent les meilleurs skieurs des Directions de montagne et des compétiteurs d’autres administrations telles que la Gendarmerie, l’Armée, l’Ecole de Haute Montagne…
Au plus haut niveau, l’administration des douanes contribue également au développement des disciplines alpines et nordiques. Environ 40 athlètes sont recrutés dans les brigades spéciales de Chamonix et des Rousses et mis à la disposition de la Fédération Française de ski pour participer à toutes les rencontres internationales et au « Tournoi des 5 Nations » qui voit s’affronter l’élite du ski douanier européen.
Quelques noms d’anciens vainqueurs le prouvent à l’évidence :
Ski alpin : Lacroix, Béranger, Perrot, Melquiond, Fourno, Stamos, Killy, Russel, Grand, Augert, Canac, Lamotte, etc…
Ski nordique : Mercier, Roman, Baradel, Mathieu, Jeannerod, Cerisey, Blondeau, Pierrat, Mougel, etc…
Plus récemment, dans le cadre de ce recrutement d’athlètes de haut niveau, l’Administration des douanes a ouvert ses portes à des athlètes féminines, et il est agréable de rappeler qu’en 1985 Perrine Pelen et Christelle Guignard lui ont apporté deux magnifiques médailles d’or et d’argent lors des championnats du monde de Bormio.
Après tant d’années de discrétion, ce trop bref panorama de l’activité de nos skieurs devrait permettre à notre Administration d’être fière de son action en faveur des sports de neige et de la manière dont elle assure en haute montagne l’exercice de sa mission de surveillance.
Des réformes sont à l’étude pour mieux l’organiser, pour parfaire la formation et la qualification des agents qui l’exercent et pour réaliser une meilleure réinsertion professionnelle des athlètes en fin de carrière sportive. C’est une nouvelle étape à franchir pour parfaire l’adaptation de la Douane à ses missions, nul doute qu’elle ne soit bientôt réalisée.
J. Pondaven
RP2F, chef du service fonctionnel «ski »
Notes:
(1) Glaciers. (dénomination d’époque).
(2) Jusqu’au 12° siècle.
La vie de la douane
N° 202
Février 1986