Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
Opération hélico: stage de formation des pilotes d’hélicoptères en 1959
Dans le n° 85 du journal, nous avons publié une information sur le stage de formation de pilotes d’hélicoptères effectué par deux Inspecteurs des Douanes à l’École de spécialisation de l’Aviation de l’Armée de Terre à Dax. A l’issue de leur stage, MM. Béguier et Turc ont bien voulu donner, à l’intention de nos lecteurs, leurs impressions sur cette « opération hélicoptère ».
N.D.L.R. – JFP 1959
Opération « hélicoptère »
Stage de formation des deux premiers douaniers pilotes d’hélicoptères
Au matin du 16 mars 1959, un beau soleil de printemps faisait briller devant nos yeux le panneau « Ecole de Spécialisation de l’Aviation Légère de l’Armée de Terre » dominant l’entrée de la base militaire de Dax.
Franchir cette porte – but de nos efforts depuis de longs mois – nous donnait l’impression d’entrer au Paradis. L’avenir allait nous montrer rapidement combien le rêve et la réalité ont de différences!
Mais ce matin là, écoutant crisser sous nos pieds le gravier de l’allée ombragée menant au porche d’un immense bâtiment, nous savourions un plaisir sans mélange.
Ensuite, tout se passa très vite, car nous étions attendus : formalités administratives ; visite au Colonel, commandant l’Ecole ; passage au magasin d’habillement ; présentation au Chef d’Escadrille, et… midi sonnait lorsque, ayant troqué la tenue bleue marine de notre Administration contre la tenue de drap kaki de l’Armée de Terre, coiffés d’un béret bleu du « parachutiste », nous passions la porte du mess des officiers.
Curieuse sensation pour l’un d’entre nous dont le divorce avec le vie militaire remontait à une dizaine d’années. Notre assurance du matin avait un peu fondu, nous nous sentions prisonniers d’un système en marche ; allions-nous réussir à nous y intégrer ? Nous n’étions plus que les stagiaires Turc et Bréguier du II PH 59.
L’après-midi nous allions commencer les vols. Du passage à la bibliothèque, nos bras gardaient le souvenir du poids des cours théoriques qui allaient meubler les soirées des nombreux mois qui devaient suivre.
Déjà, des appréciations pessimistes sur nos chances de résister au régime du stage, nous avaient été formulées par divers officiers cadres lors de notre intégration. Nous arrivions, en effet, avec quinze jours de retard et notre bagage de pratique aéronautique était plutôt mince.
Midi trente, un repas dont nous ne nous souvenons guère, et nous allions devoir affronter ces éléments nouveaux qui, brusquement, nous paraissaient hostiles. Au fond de nous, se glissait, insidieusement, le regret de la vie ancienne, si proche, avec sa quiétude et sa tranquillité. Tout cela semait en nous le doute sur la réussite de notre « opération hélicoptère ».
Le premier mois s’écoula lentement. Le soir, le front penché sur livres et cahiers, la mécanique, l’aérodynamique, là météorologie, la navigation,… et même le secourisme, nous livraient leurs secrets que nous devions ensuite exposer lors des nombreuses « colles » que nous subissions. Le jour, de longues heures de vol nous avaient conduit, peu à peu, du rodéo infernal d’une machine sauvage, au vol stationnaire calme et gracieux. Que de sueur dans nos combinaisons pour ce résultat ! La hantise du « lâcher sur valises » (1) s’estompait; nous restions à l’ École nos premiers tests en vol ayant été favorables.
A quoi devions nous de « tenir » ? Récompense de notre peine ? Hasard des Dieux ?
Nous commencions à nous sentir partie intégrante de l’Ecole, mais, devant nous se profilait déjà l’ombre du « test des 40 heures » et les autres allaient suivre : « test des 70 heures, épreuves du brevet militaire aux environs des « 100 heures », test de « lâcher en montagne », puis, à nouveau, même expérience lors de la phase de transformation sur « Alouette II ». Telle devait se dérouler notre vie durant huit mois, le mot « test » faisant, trop souvent à notre gré, résonner en nous l’écho d’une véritable sonnerie d’alarme.
De nombreux et charmants camarades nous quittèrent en route, renvoyés dans leurs unités ou leur administration d’origine. Aussi, avec le recul du temps, avons nous l’impression d’avoir heureusement résisté bien des forces hostiles.
Nos émotions les plus fortes ? Sans doute nos premières « autorotations », lorsque la machine, privée de sa force motrice, est livrée aux seules ressources de sa roue libre, de l’air et.., de nos mains ! Une chute de 8 à 12 mètres par seconde, sous un angle impressionnant, avec la terre qui monte trop vite vers nous. Alors, au 1/10e de seconde, c’est le calcul de l’instant du « flare », c’est-à-dire le moment où l’on cabre l’appareil pour freiner sa vitesse descensionnelle et sa vitesse propre, la remise en assiette horizontale et, très vite, le contact des patins avec le sol. Ce contact est amorti en augmentant progressivement le « pas général », manœuvre qui permet d’utiliser l’énergie cinétique conservée par le rotor pendant la descente. Les pales mordaient l’air avec violence, notre coeur sans doute oubliait son rythme normal ! Mais à la 150e autorotation, nous étions presque des chevronnés, l’entrainement et la mécanisation de nos réflexes avaient gagné la bataille qu’ils avaient dû livrer à notre influx nerveux.
Aussi, le jeu nous fut-il compliqué : des pannes inattendues, provoquées par nos moniteurs à des altitudes de plus en plus basses, au-dessus des obstacles, en « vent arrière » très près du sol (car un hélicoptère doit toujours se poser face au vent pour avoir le maximum de sécurité) nous amenèrent à prendre une confiance absolue en nos appareils.
Parfois nos descentes du ciel, brutales, imprévues, dans un bruit de moteur qui s’étouffe, provoquaient des envols de jupes de fermières gardant les nombreux troupeaux d’oies de Chalosse, car nous fondions sur les espaces verts tels des oiseau de proie. Le temps que fermières et animaux reviennent de leur surprise, nous étions repartis, grondant de nos 200 CV retrouvés ou de nos turbines rugissantes, vers d’autres terrains, d’autres troupeaux…
Nos premières et trop brèves navigations solitaires se déroulaient généralement au-dessus des vertes « landes d’Hasparren » dont les collines nous annonçaient les Pyrénées toutes proches. Notre oreille se tendait au bruit du moteur. En cas de véritable panne, saurions nous réagir instantanément ainsi que nous l’avaient appris nos moniteurs ? Puis, le plaisir du vol reprenait et notre mission s’accomplissait.
Cartes en mains, but proche, la radio H.F. branchée, nous appelions le commando à terre auprès duquel nous nous rendions. Une croix blanche ou jaune sur l’herbe verte… c’est là !. Le grésillement du poste : « Delta Bravo appelle Félix Commando, répondez ! » Quelques instants d’attente, puis la réponse : « Ici Félix Commando – vent au sol Nord/ Nord-Ouest – atterrissez – terminé ». Une reconnaissance des lieux et, nous tombions rapidement dans une clairière, pour recevoir une nouvelle mission..Alors, notre vol continuait jusqu’à l’ultime étape qui nous ramenait à la base de Dax. VHF enclenchée, essai de contact radio avec la tour : « Delta Bravo – position Est du terrain – demande consignes pour l’atterrissage – répondez ». Un bourdonnement dans les écouteurs, la réponse de Dax-Tour et, trois minutes plus tard, nous touchions le parking. « Delta Bravo – moteur coupé – Terminé ». La mission du jour accomplie, nous laissions le « Delta Bravo » aux soins des mécaniciens.
Les jours où se déroulèrent- les vols au-dessus de l’étang de Soustons, le soleil participait à notre ballet. Tels de joyeux éléphants volants, munis de nos flotteurs, nous commençames nos évolutions aériennes et aquatiques pour la plus grande joie des petits enfants d’Azur, petite bourgade landaise qui nous servait de base avancée. Malheureusement, au bout de quelques minutes, il nous fallut abandonner la féérie bleue, verte et or du. spectacle qui nous était offert par l’océan, le lac, la forêt et les dunes de sable, pour nous concentrer sur la technique de l’amerrissage, travail particulièrement délicat ! Il fallait nous fier aux indications approximatives de l’altimètre, car l’air et l’eau nous paraissaient: intimement liés. Nos yeux accrochaient un point matériel avec joie : brin d’herbe, nénuphar épanoui, et, grâce à l’un de ces repères, nous terminions nos approches avec plus d’aisance. Hélas ! ce jeu nous fut bientôt enlevé; une partie du lac était vierge de végétation, elle devient le cadre préféré de nos moniteurs. Alors, seules les premières rides provoquées: par le souffle du rotor nous guidaient. Et pour clôturer la journée, nous descendions en des autorotations ponctuées de magnifiques gerbes d’eau.
Les jours passaient et nous pensions avoir beaucoup appris. Ce fut le moment choisi par le Commandant d’escadrille pour commencer les séances de vols de nuit.
La première heure fut pour nous pleine d’inquiétude. Nous paraissions, malgré nos 80 heures de vol, ramenés à nos premiers tâtonnements. Dans la sécurité trompeuse de la « bulle » de Plexiglas, environnés des lueurs dansantes des feux de position et des éclats rougeâtres du tableau de bord, nous avions la désagréable surprise d’un ronde sans horizon, aux limites évanouies. Quelle position avions nous par rapport au sol ? Un regard glissé vers le parking après le décollage nous donnait la vision d’un défilement-sol vertigineux, alors que nous pensions avoir une immobilité absolue.
Quelques minutes pénibles qui nous paraissaient très longues, puis, la machine enfin maîtrisée, nous nous élancions vers le ciel.
Premier virage à 100 mètres d’altitude ; contact radio avec la tour de contrôle; direction Lacq dont la torchère constituait un point de repère commode. La lumière des fermes disséminées au sol nous faisait oublier notre solitude. Virage à 90°, direction Sud-Ouest, cap sur le phare de Biarritz, nouveau contact avec la tour, survol des méandres de l’Adour, curieusement argentés malgré l’absence de lune. Nouveau changement de cap, retour au terrain, atterrissage avec ou sans phare. Une heure de vol passe très vite, même la nuit.
La vie de l’élève-pilote, réglée selon un programme éprouvé nous amena au fil des heures de vol à quitter ‘la bonne ville de Dax pour nous installer au coeur des Pyrénées.
Le contact avec la montagne est sans doute pour le stagiaire sa « minute de vérité » ; la ligne d’horizon est perturbée; les plateformes d’atterrissage, accrochées au flanc ou au sommet des pics, lui paraissent hostiles ; le vent qui tourbillonne lui oppose ses maléfices : « ascendances » thermiques et dynamiques, « rabattants » de même origine ; l’air, moins dense, n’offre plus le même soutien aux pales de l’hélicoptère. Heureusement, après quelques heures, l’appareil devient plus docile, le vide perd de sa profondeur et le pilote retrouve sa confiance. Merveilleuse sensation de se sentir glisser au-dessus de ces sommets enneigés, de ces lacs glacés : tout parait si pur, si calme.
La montagne, ce fut pour nous Saillagouse et les chaînes du Puigmal et du Carlitte. Elle nous permit de rencontrer l’Inspecteur Principal de Prades, M. Desmaison auquel nous eûmes le plaisir de faire effectuer une reconnaissance aérienne des limites de l’Enclave de Llivia. Il fut enthousiasmé par les possibilités de « l’Alouette » en tant qu’appareil d’observation douanière.
Fin novembre, l’aventure s’achève. Nous avons retrouvé la tenue bleue marine de notre arrivée. Nos examens se sont heureusement terminés. Nous avons serré précieusement dans nos valises, avec une quantité imposante de documents, le brevet et l’insigne qui nous ont été remis par le Colonel commandant l’Ecole.
Le bar de l’aérodrome a retenti longuement de nos adieux à nos camarades, à nos moniteurs, et… le silence s’est fait sur nos derniers incidents de vol racontés et illustrés de bruits et de gestes. Ainsi se terminent sans doute tous les stages – de pilotes.
Nos bagages bouclés, nous reprenons le chemin de Paris, heureux de notre réussite et de retrouver nos familles, espérant servir très bientôt notre Administration dans la voie nouvelle qu’elle nous a tracée.
Elèves-pilotes Marcel Turc et Robert Bréguier
Notes:
(1) « Lâcher sur valises » ; terme employé à l’Ecole pour caractériser la situation de l’élève éliminé, par opposition au « Lâcher en solo » qui suit un test favorable.
Journal de formation professionnelle
n°89
Décembre 1959