Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Les douaniers et le sauvetage en mer : une longue tradition

Mis en ligne le 1 septembre 2024

 

Les douaniers et le sauvetage en mer : une longue tradition

 

Quand ils ne sont pas matelots embarqués sur des pataches, les douaniers passent tout leur service bord de la mer sur quelques roches, quelques sentiers ou quelques falaises d’où ils sur veillent l’horizon, soit sur les digues ou les quais des ports. Ils sont donc mieux placés que personne pour être les premiers à voir les accidents ou les naufrages et à secourir en mer. Leurs prédécesseurs des fermes générales s’étaient déjà investis dans cette forme d’assistance. 

 

Jusqu’au milieu du XIX siècle, les douaniers s’organisent localement pour assurer les secours en mer avec ou sans l’assistance de volontaires civils. Certains collaborent à de petits organismes qui se préoccupent de sauvetage en mer : Sociétés humaines de Dunkerque, et Calais, Société de sauvetage de Provence. 

 

L’exemple de l’un d’entre eux, Pierre Espagne, brigadier des Douanes à Bordeaux, est édifiant. En 1851, il sauve deux hommes qui luttaient contre la tempête. En 1854, il vole ou secours des matelots d’un chasse-marée en détresse et parvient à les tirer d’affaire. En 1857, il   expose sa vie, à trois reprises dans des circonstances analogues. Enfin, en 1859, les matelots du navire prussien Teutonia lui doivent la vie sauve.

 

 

Lorsque des personnes sont finalement emportées par la mer, malgré tous les efforts déployés, les agents des brigades tentent d’imaginer de nouvelles techniques de sauvetage et d’adapter du matériel pour éviter que les drames ne se renouvellent.

 

C’est ainsi que Joseph Brunel, officier des Douanes à Dieppe, invente un grappin qui vo sauver des milliers de personnes. Il est adopté par L’Etat en 1874 et dès 1877 tous les agents du littoral vont le porter en service sous le nom de «ligne Brunel ». Cette ligne se compose d’un côté d’un flotteur ou manchon de bois tronc conique de 12 à 17 cm, et de l’autre d’un grappin sur lequel est fixée une cordelette très résistante qui va ensuite s’enrouler autour du bâton. Si le douanier aperçoit une personne en détresse à l’eau, il peut s’en servir de deux manières : si la personne sans être à bout de force est entrainée par le courant ou un tourbillon, il lui jette le bâton et conserve le grappin avec lui. Si la personne se noie, il garde le bâton et lui envoie le grappin. Grâce à la ligne, il pourra ramener la personne au sec.

 

 

Jusqu’en 1865, le sauvetage des naufragés relève du ministère de la marine. A ce moment, l’amiral Rigault de Genouilly, futur ministre de la Marine, estime qu’un service autonome doit gérer le sauvetage. Il a la conviction que les sauveteurs vont répondre avec plus d’empressement aux appels qui leur sont adressés, si ces appels ne sont pas des ordres de l’Etat (1). Il crée en 1845 la Société centrale de sauvetage des naufragés qui regroupe les bonnes volontés parmi la population côtière, et enfin organise sérieusement le sauvetage des équipages et des navires. Il en devient le premier président.

 

C’est tout naturellement au service soit actif des Douanes qu’il décide de confier (2) la manœuvre  et l’entretien des engins de sauvetage des postes de secours. En fait, très actifs et omniprésents sur le littoral, les agents des Douanes vont encadrer les opérations de sauvetage.

 

 

Les officiers des Douanes sont alors nommés responsables de la manœuvre des engins de sauvetage. Ils vont être chargés de la surveillance des postes et de l’instruction de leurs agents, après avoir été formés eux-mêmes par un inspecteur de la société. 

 

Ils dirigent autant que possible les exercices avec fusils et munitions. auxquels tous les hommes disponibles doivent assister. Ils rendent compte au directeur des Douanes. 

 

 

Lorsqu’ils voient un bâtiment dans une situation dangereuse, les hommes de veille sur la côte préviennent le chef de brigade pour qu’il envoie un télégramme, aux frais de la société, afin de donner l’éveil à la station de sauvetage plus proche. 

 

Quand un sinistre est à craindre, les brigades de douane sortent immédiatement avec leurs engins de sauvetage et se portent le plus tôt possible sur le point de la côte concerné. 

 

Les agents ont droit à une indemnité spécifique toutes les fois qu’ils interviennent avec leurs appareils de sauvetage soit pour porter secours à des naufragés, soit en prévision d’un sinistre. 

 

 

Le matériel est géré au moins une fois par mois. Dans les postes de première classe, on doit ouvrir la porte de l’abri « par une belle journée » pour mettre le chariot de mise à l’eau du canot dehors pendant quelques heures.

 

Autre détail croustillant: dès qu’un engin de sauvetage est hors de service, la société le fait remplacer, mais, si c’est possible, il doit continuer à être employé dans les exercices.

 

 

Les dépenses d’entretien du matériel peuvent être autorisées directement par les officiers du service actif de la douane, jusqu’à concurrence de la somme de trente francs par an pour les postes de 1″ classe, et de 5 francs pour les autres. Au-delà de cette somme, nos officiers produisent un devis qu’ils adressent à la Société. Les dépenses sont payées par les receveurs des Douanes, qui se couvrent de leurs déboursés sur le receveur principal à Paris, avec lequel la société est en compte courant. Un registre spécial « sauvetage » est détenu dans chaque poste. 

 

Fusils, porte-amarres et munitions 

 

Le fusil sert à établir une communication avec un navire naufragé, une embarcation ou un homme en danger. 

 

Les fusils utilisés dans les postes sauvetage sont des anciens fusils de rempart de 1840 et 1842. Leur poids est de 5,500 kg et du calibre de 20 millimètres et 1/2. Ils ont une culasse à chambre cylindrique du diamètre de 14 milli mètres, pouvant contenir 7 grammes poudre. Ils se chargent par la bouche. portée du fusil ne dépasse pas 70 à 80 mètres avec une ligne de trois millimètres, et peut aller de 90 à 100 mètres avec une ligne de deux millimètres. La ligne est placée dans un petit barillet porté en bandoulière par le tireur. 

 

Le poids des flèches est de 280 à 300 grammes. La charge ò employer ne doit pas excéder 5 grammes, afin de ne pas occasionner trop de recul et de ne pas risquer de faire rompre la ligne, par suite de la vitesse que cette charge imprimerait à la flèche. 

 

D’ordinaire la charge est de 3 ou 4 grammes, et de deux grammes seulement pour les exercices préliminaires. La flèche est en bois parfaitement garnie de fil et bien cylindrique, du diamètre de 17 millimètres. Sa longueur est de 1,10 mètre et elle est flottante. Le coulant est fait de six à sept tours de ligne de 4 ò 5 millimètres de diamètre, à la manière, dont les pêcheurs fixent l’hameçon à la ligne.

 

E. Fort : 1900 – matelots des Douanes

 

Les directions d’artillerie fournissent à l’administration des Douanes les munitions nécessaires au service des appareils porte-amarre (3). Le montant de leur valeur est remboursé par le département de la Marine à celui de la Guerre. Plusieurs postes de sauvetage sont progressivement équipés de canons porte-amarre, petits canons montés sur roues, se chargeant par la bouche et autrefois utilisés par la Marine.

 

La Société centrale de sauvetage des naufragés et la douane .

 

Dès sa création, la Société centrale de sauvetage des naufragés rencontre un franc succès. L’appui des Douanes n’y est pas étranger, les agents étant disponibles, équipés, entraînés et motivés. 

 

Au 1er janvier 1878, elle regroupe déjà 50 canots, 71 postes contenant un canon porte-amarre, 204 postes de deuxième classe avec fusils porte-amarre, et 74 postes de 3 classe avec ceintures et accessoires. Les douaniers prennent une bonne part des sauvetages effectués; un livre ne suffirait pas à  leur rendre hommage. 

 

Parfois entre ces hommes, chez qui l’esprit de sacrifice prend la forme d’une obligation professionnelle, l’un d’entre eux se distingue par plus de vaillance encore, par plus d’abnégation, par des actions qui le haussent jusqu’à l’héroïsme. 

 

Comme le brigadier Espagne du début de ce récit, le marin des Douanes Morvan est l’un de ces hommes. Voici son éloge faite par Paul Hervieu, Directeur de l’Académie française au cours de la séance du 24 novembre 1904.

 

Des douaniers héros du sauvetage : l’exemple du  patron Morvan (4) 

 

« Dans la personne Jean-René Morvan, nous avons à saluer un double type de vertu, tant au sens de la charité chrétienne que selon l’acception antique. II n’a qu’une modeste pension, il est père de six enfants, il assiste ses beaux-parents, et ses exploits de sauveteurs lui ont valu la gloire dans les annales bretonnes… 

 

Il ne veut compter que vingt-neuf personnes restées vivantes grâce à son courage. Deux d’entre elles, en effet, sont les mêmes à lui avoir été, en deux circonstances, redevables de leur vie. Pour ne contre dire ni lui-même, ni la vérité, disons qu’au péril de son existence, il a sauvé celle de ses semblables trente et une fois. 

 

En 1884 un sloop, pris par le flux, menace de sombrer contre le pont d’Audierne où il cogne. Son mât est cassé. II y a cinquante personnes à terre qui regardent mais nul ne s’avise du moyen de secourir l’équipage: on ne le peut sans risquer de n’en pas revenir. 

 

Jean-René accourt. Il enjambe le parapet, descend par l’extrémité du mât qui, tressaillant et couché, ne tient plus au navire que par des cordages. Par une manœuvre qui s’appelle « faire allonger un grelin », Morvan opère le sauvetage, corps et biens…

 

Trois semaines plus tard, il repêche un homme que l’ivresse a fait tomber dons le port. Le mois suivant, il plonge tout habillé avec son sabre, et ramène à nouveau un homme ivre. C’était un autre…

 

Å quelque temps de là, il saute du bout d’une jetée et rapporte encore quelqu’un, également ivre… Ce n’est pas fini: un pilote et un marin conduisent un passager d’une rive à l’autre, reçoivent un pourboire, interprètent la locution au pied de la lettre, et au retour, dans leur inconscience, ils chavirent sur la rivière. Mais le dieu sur lequel ils étaient en droit de compter totalement s’incarna une fois de plus en Jean-René, et les sauva.

 

 

E Fort : Le garde-côte d’après Loubon

 

Il y a treize ans, à Loctudy, trois enfants s’aventurent en périssoire. Un courant les entraîne vers le large. Ils se jugent perdus. Leurs clameurs ont attiré du monde sur place ; et les spectateurs ne savent que pousser ce cri d’un altruisme si ingénu sur les lèvres des hommes : « Il faudrait un homme… ». En voici un : Jean-René Morvan. Il se jette à la mer. Par de vigoureuses brassées, il atteint les petits. Mais pour que le survenant monte avec eux, l’embarcation est trop frêle. Que faire ? Le sauveteur saisit entre ses dents le bout d’amarre qui pend de l’esquif. Et remorquant malgré le flot contraire, toujours nageant pendant des centaines de mètres, cingle droit vers la côte, le col cambré sur les vagues, le front haut. On nous a conservé, après trois mille ans, le renom d’un loup de mer qui aurait eu pareille mâchoire dans la baie de Marathon…

 

Un dernier trait : Par un matin de beau temps, tous les bateaux de pêche sont sortis du port où Morvan est sous brigadier des Douanes. Cela fait six cents hommes, qui sont là-bas à leurs filets. Toutefois la mer s’est mise à grossir. Des vieux sur le rivage se communiquent bientôt l’impression que, depuis longtemps, on ne l’a pas vu déferler avec tant de furie. Il y a un mascaret qui va rendre bien dangereux le retour des barques.. Vers deux heures de l’après midi, on songe à mettre à l’eau le canot de sauvetage. Mais par qui le faire monter ? Son équipage régulier est en mer, dans le nombre des pêcheurs : ce sont les sauveteurs eux-mêmes qui auraient besoin d’être sauvés… On fait appel à des volontaires ; on en trouve sept. Cependant aucun d’eux n’a le crâne d’un chef. Le commandement est offert à Morvan. Vous pensez bien qu’il accepte aussitôt… Le voilà parti ! Et déjà il n’apparaît plus par intervalles dans les embruns, sous les panaches d’écume… 

 

Pendant cinq heures, le canot qui lui obéissait resta sur la barre, chevauchant les lames, prêt à bondir à gauche, à droite, au secours des premiers qui feraient le naufrage. Cette présence empêchait que l’angoisse de six cents êtres humains devînt de la folie, alors qu’à demi déshabillés, ils étaient prêts, dons cette perdition, à sauter de leurs bords pour se mettre, tout de suite, corps à corps avec l’eau. Jean-René Morvan n’eut personne à sauver ce jour-là ; mais on peut affirmer que, moralement, il y sauva une flotte, et qu’habitué à voir la mort, il ne I’a pourtant jamais dévisagée de plus près. 

 

Ce héros est titulaire de deux médailles d’argent, d’une médaille d’or, de deux médailles d’honneur. Nous allions ajouter machinalement qu’il est décoré. Mais non. Du moins l’Académie se félicite de ce que parmi tant de distinctions si noblement acquises, l’on ne verra pas manquer sa branche de laurier » .

 

 

E. Fort : 1910 – marin de la douane – tenue d’été

 

 

En décernant au patron Morvan le prix Gémond pour le récompenser des nobles actions qui jalonnent sa belle et rude existence de douanier, l’Académie Française désigne aux pouvoirs publics un homme qui mérite certes les distinctions officielles les plus élevées. Il est à noter qu’en 1930, lorsqu’est institué l’ordre du Mérite maritime, le patron Morvan figure parmi les premiers titulaires de la décoration et qu’il obtient également Ia Légion d’honneur sur proposition du ministre de la Marine marchande. 

 

À présent les équipages des vedettes et des avions des Douanes, et les agents des unités du littoral continuent à assister et secourir en mer dans le sillage de leurs anciens, à bord de leurs propres unités ou à bord des canots de sauvetage de la S.N.S.M. Parfois l’équipage d’un canot peut même être intégralement composé de douaniers volontaires, comme c’était le cas à Port-Saint-Louis du-Rhône, dans les années 1980.

 

Serge Rinkel

 


 

Notes:

  1. Cette croyance s’est révélée bien fondée. Le dévouement librement consenti est toujours plus efficace que le dévouement imposé et régi par des instructions officielles.
  2. Instructions du 4 décembre 1877 de l’administrateur délégué du comité d’administration de la société centrale de sauvetage et du directeur généra des Douanes.
  3. Poudres, capsules et étoupilles.
  4. Annales des Douanes 1934: le patron Morvan, marin des Douanes a été affecté dans les brigades suivantes: Port-Manech, Le Pouldu, Quimper, Audierne, Loctudy, Saint-Pabu, L’Aberwrach. Il est ensuite devenu receveur auxiliaire au Conquet. Il quitte l’administration le 1er octobre 1913 pour se retirer à Carantec où il meurt aveugle en 1934.

(*) L’expression « participe au sauvetage » conviendrait mieux pour qualifier cette action aujourd’hui (NDLR).

 


 

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