Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

1687-1707 – Au temps des fermiers généraux – Inspection des fermes et vénalités des charges

Mis en ligne le 30 mars 2018

L’ affermage des impôts sous l’Ancien Régime n’a pas impliqué pour le pouvoir royal renonciation à exercer un droit de regard sur les activités des fermiers. La situation est à cet égard très différente en France de celle qui prévalut, par exemple, à Gênes aussi longtemps que la perception des impôts y fut concédée à la Banque Saint-Georges qui sous-traitait elle-même à des fermiers.

 

En France, le Roi, en son Conseil, fixait les modalités du recouvrement des taxes affermées : assiette et taux des droits, formalités afférentes à leur liquidation et à leur recouvrement, contentieux de l’impôt, tout émanait du Roi, même si les ordonnances et les édits étaient fréquemment inspirés par les fermiers eux-mêmes. Le droit de regard que les mandataires du Roi exerçaient ou pouvaient exercer sur le fonctionnement de la Ferme était fort large, et il n’est pas excessif de le comparer à celui dont jouit à l’heure actuelle l’Inspection Générale des Finances dans ses rapports avec les administrations financières.

 

Cependant, le contrôle de l’État n’a pas été assuré, aux XVIIè et XVIIIè siècles dans un cadre institutionnel fixe. On n’en connait qu’une manifestation permanente, et elle se présente sous la forme d’interventions ponctuelles des Intendants en poste dans les diverses provinces du Royaume. Ces représentants du pouvoir royal ne procédaient pas, en règle générale, à des « tournées d’inspection » dans les services de la Ferme, mais, à travers l’instruction d’affaires dont ils se trouvaient saisis, il était fréquent qu’ils relèvent des situations de nature à justifier l’intervention du pouvoir central. Leurs observations, développées dans des rapports qui aboutissaient au Conseil du Roi, pouvaient inciter celui-ci à échanger des correspondances avec les fermiers (par l’entremise du Contrôleur général des Finances) ou encore avec les Intendants. Il arrivait aussi que la convergence d’observations émanant de sources diverses révélât une situation suffisamment grave pour motiver des mesures exceptionnelles : par exemple, la désignation de « commissaires » ayant mission de « visiter les Provinces où les tailles, les aides, les gabelles et les autres droits compris dans les baux des Fermes générales ont cours. » Ainsi en fut-il, en 1687, sur instruction du Contrôleur général des Finances. La mission (exécutée de concert par les « commissaires » du Roi et des fermiers généraux mandatés à cette fin) conclut à « la nécessité d’envoyer dans les Provinces des personnes qui (veilleraient) à l’exécution des règlements et ordonnances de S.M., pour informer le Conseil des contraventions qu’ils (reconnaîtraient) dans l’imposition et collecte des tailles et dans le recouvrement des deniers des fermes, afin qu’il puisse y être incessamment pourvu. » La recommandation ainsi formulée reçut l’approbation du Roi et le Contrôleur général des Finances désigna une quarantaine d’inspecteurs.

 

Représentants du Roi – et non employés des fermiers – ces inspecteurs furent chargés d’enregistrer les plaintes des redevables, mais aussi les observations des collecteurs de l’impôt. Leurs attributions firent l’objet d’ordres écrits très détaillés. Nous avons pu consulter ceux que reçut, le 9 mai 1689, le sieur de Mouy, chargé d’inspecter les « élections et directions de Rouen, Caen et Alençon », avec compétence en matière de « tailles, aides, gabelles, cinq grosses fermes, domaine, tabac et autres droits ». Ces documents comprennent une note de portée générale, ainsi que des « mémoires pour servir d’instructions » dont chacun est consacré à l’une des branches de la fiscalité.

 

L’instruction générale devait servir de lettre d’introduction auprès des représentants locaux du pouvoir royal, et, plus généralement, de titre justificatif du mandat confié à son destinataire. Elle contenait par ailleurs des recommandations relatives au comportement de l’inspecteur : à qui se présenter, comment préparer et organiser les contrôles, donner suite aux constatations et rendre compte, etc … Certaines de ces directives méritent d’être citées
« Pour donner un exemple de modestie aux employés.., (l’inspecteur) n’aura pour tout équipage que deux chevaux et un valet, se faisant seulement distinguer, et se montrant digne de l’honneur que le Roi lui a fait, par son travail. Et pour celà, il sera continuellement en marche pour aller de ville en ville, ou de lieu en lieu où les bureaux sont établis, et n’y séjournera que le temps nécessaire pour y faire ses observations. »

Et encore

« Il s’informera… de la conduite des commis, de leur manière de vivre en général : s’ils sont sages, appliqués, sociables et expéditifs; ou si, au contraire, ils sont fiers, arrogants, emportés, vains, aimant la dépense et le jeu, et s’ils ne sont point accusés de tirer des gratifications des redevables; s’ils sont mariés, s’ils ne se mêlent d’aucun commerce ou autres fonctions que leurs commissions ».

 

Les « mémoires », pour leur part, présentent un caractère technique. Ce sont des guides pratiques où l’on énumère les parties du service qu’il convient de contrôler spécialement, ainsi que les investigations auxquelles l’inspecteur doit se livrer. Il ne sera question ici que des « mémoires » consacrés aux gabelles et aux traites.
Celui sur les gabelles fait une large place au service des brigades dont il n’est que marginalement question dans le document relatif aux traites, « parce que, dit-on, il en a été suffisamment parlé » déjà et que les employés de ces unités « servent l’une et l’autre Ferme ».

 

« Il se fera donner les noms des Capitaines, Lieutenants, Brigadiers et Gardes des Gabelles, et indiquer les lieux où ils sont postés pour s’informer de leur conduite, soit dans les fonctions de leur emploi, soit dans leurs visites pour connaître s’ils les font fréquentes et avec application, sans vexation et s’ils n’abusent point du pouvoir de leurs commissions ou pour se venger ou pour faire insulte; et pour connaître s’ils sont bien postés, si chaque brigade peut correspondre à l’autre pour bien garder tous les passages, se transporter le long des frontières de la Ferme, observera les rivières, les quais, les bois et autres endroits par lesquels les faux sauniers peuvent plus facilement passer et si les brigades sont postées en lieux d’où elles puissent souvent visiter ces passages ».

 

L’inspecteur devra aussi s’assurer »si, en visitant tant les hommes que les femmes, il ne se passe rien contre la pudeur, car il y a eu des plaintes à ce sujet portées à MM. les Commissaires, comme aussi de ce que, du pouvoir qu’ils ont de fouiller, quand ils trouvent de l’argent et qu’ils sont à l’écart, ils ne sont pas toujours fidèles; c’est pourquoi, il est bien important de les observer et de se bien informer de leur conduite et s’ils ne font point de saisies mal à propos ou pour causes trop légères ».

 

Le « mémoire sur les traites » nous éclaire, pour sa part, sur la complexité de cette partie de la fiscalité de l’Ancien Régime, et il nous montre aussi l’intérêt porté par le pouvoir à l’évolution du niveau des recouvrements, mais aussi à la protection des intérêts du commerce. La mission confiée aux inspecteurs comporte, en effet, plusieurs facettes : si elle a trait au fonctionnement de la Ferme en tant qu’organisme de recouvrement de l’impôt, elle doit aussi prendre en compte les implications économiques de la fiscalité. En voici de larges extraits :

 

« Aux lieux où il y aura un bureau des Traites, il s’appliquera à bien connaître la nature des droits, la manière de les percevoir et autant qu’il pourra, la valeur des marchandises, afin de pouvoir mieux juger si les Visiteurs savent les qualités et le prix des marchandises qui passent par leurs bureaux, si les tarifs sont autorisés, s’ils ne sont point altérés par des articles écrits à la main, sans approbation, si les appréciations sont régulières, et s’il y a des marchandises dont les droits doivent être augmentés ou diminués.

Se transportera au bureau et se fera représenter les registres, pour connaître si les déclarations des marchands s’y font en conformité de l’ordonnance de 1687. Si les droits sont bien libellés, c’est-à-dire si le droit de chaque marchandise y est exprimé selon la nature et la qualité, afin que, d’une première vue, on puisse connaître si le droit de chacune marchandise est acquitté conformément aux tarifs et aux arrêts.
Si les sommes sont écrites tout au long et sans chiffre, s’il n’y a point d’interlignes, ratures et de blancs, qui puissent être remplis après coup.
Si les registres des acquits-à-caution sont bien déchargés et s’ il se tient registre des droits d’acquits, conformément à l’Ordonnance.
Si les délais portés par l’Ordonnance pour rapporter les acquits-à-caution, ne sont point trop brefs et ne donnent point matière à contestation.
Si les balances, les fléaux, les poids et autres choses qui servent à peser et à mesurer les marchandises sont justes et bien étalonnés.
Si les tarifs et les arrêts qui en ont augmenté, diminué ou changé les droits, sont dans les bureaux et sont exécutés et si, au préjudice d’ iceux et des tarifs, on ne laisse point de droits qui aient été supprimés. Si les compositions que font les Fermiers des droits de la Ferme sont préjudiciables aux
intérêts du Roi ou si elles sont nécessaires pour le bien de la Ferme et du Commerce.
Prendra toute la connaissance possible, tant par la conversation avec les Employés que par l’examen des registres, de la nature des marchandises et denrées qui passent plus fréquemment dans les bureaux qu’il visitera, soit pour entrer ou pour sortir de la Ferme, observera si la sortie et l’entrée en diminuent; s’informera des raisons de la différence.
Il observera s’il passe des marchandises, dans le bureau qu’il visitera, qui ne soient point comprises dans le tarif, et s’il se forme des contestations, sur le plus ou moins de l’estimation.
S’il en passe dont l’entrée y soit prohibée, comme des drogueries et épiceries, des chevaux, des toiles, des dentelles ou autres, auxquelles l’Ordonnance désigne des bureaux pour leur entrée.
Quand il visitera les bureaux des lieux où il se fabrique des toiles ou autres manufactures, il examinera si les formalités prescrites par l’Ordonnance, pour la conservation des droits ne sont point préjudiciables au Commerce de ces marchandises et s’appliquera à trouver quelques autres moyens plus convenables. Si c’est un lieu de commerce, outre les connaissances qu’il pourra tirer des Commis et du Registre, il aura conférence avec les principaux marchands et quelquefois avec les Officiers ou principaux bourgeois, pour les entendre sur les moyens de rappeler les commerces des marchandises qui cessent d’entrer et sortir, ou dont l’entrée et la sortie sont diminuées.
Les faire parler sur la qualité et la différence des droits qui se paient dans le bureau du lieu où il sera, aux entrées et sorties des marchandises et denrées et si par quelques augmentations, diminutions, conversions, unions desdits droits, on attirerait le commerce des étrangers, soit par l’apport de leurs marchandises, soit en venant prendre les nôtres, sur ce qu’ils estiment utile ou préjudiciable au commerce et aux manufactures.
Et des moyens de conseiller le Fermier, ses Commis pour éviter les fraudes, les contraventions aux Règlements et les contestations qui causent des frais et un plus grand préjudice par le retardement.
Il pourra, dans les conférences, s’informer de la conduite des Employés, s’il y a des plaintes contre eux, s’ils sont assidus aux bureaux, s’ils expédient autant qu’ils peuvent les marchands, s’ils en usent avec l’honnêteté convenable à leur emploi s’ils n’exigent point des gratifications pour avancer les expéditions des marchands et s’ils ne sont point engagés dans le commerce sous leurs noms ou sous des noms interposés, s’ils font crédit dont ils tirent profit. Il pourra même savoir des marchands si le crédit des droits leur est plus avantageux que préjudiciable.
Il se fera représenter par les Commis les ordres que les fermiers qui vont dans les provinces leur donnent, ou qui leur sont envoyés du bureau général pour la Régie et perception des droits, ordonnera aux Employés d’en tenir registre et en tirera des extraits, après avoir paraphé les originaux, et observera si les ordres contiennent des interprétations ou des extensions des ordonnances et arrêts ou s’ils en durcissent la régie et détournent le commerce.
Ordonnera aussi aux Employés de tenir un registre exact des déclarations et arrêts qui leur sont envoyés en marquant le jour qu’ils les auront reçus.
S’il trouve d’anciens Commis, il s’informera d’eux des changements arrivés dans la Régie, prendra leurs sentiments sur les changements qui pourront avoir été faits; il s’en pourra même informer des principaux marchands, et verra s’ils les applaudissent ou s’ils les blâment, dont il fera les observations.
Quand il visitera les bureaux de contrôle, car il y a toujours un bureau qui sert de contrôle à l’autre, soit à l’entrée ou à la sortie, il observera si les voituriers n’y sont point arrêtés trop longtemps, si on leur donne des brevets de contrôle libellés comme leurs quittances et si on leur fait payer des droits pour ces brevets de contrôle, si les Commis ne veulent point avoir quelque portion de la denrée qui est voiturée, sous prétexte d’usage établi dans ces bureaux; ce qu’il observera aussi aux bureaux de recette …
En faisant sa tournée, il observera si les bureaux ne sont point trop éloignés les uns des autres, et s’il y en a suffisamment pour la commodité du commerce et point trop qui le gêne.
Si dans son département, il y a des enclaves d’une province de la Ferme dans une qui ne l’est pas, il en fera une discussion exacte, et proposera les moyens d’ôter les obstacles au commerce des lieux frontières, par la manière de les réduire.
Comme l’on en use pour les marchandises et denrées qui sont voiturées dans les quatre lieues frontières de la Ferme, il examinera les moyens qu’il y aurait d’épargner aux peuples la gehenne et la dépense que leur causent la consignation, les acquits à caution ou les passavants pour les moindres choses qu’ils déplacent.
Et s’informera si les Employés rendent aisément les deniers consignés, quand on représente les certificats de descente.
Comme l’on en use pour les bestiaux, marchandises et denrées, grosses et menues, que l’on conduit aux foires des lieux frontières du dedans ou du dehors de la Ferme, et s’appliquera à trouver les moyens de faciliter le commerce avantageux, aux peuples de ces lieux. Comme aussi il s’informera comme se fait le paiement des droits pour les menues denrées qui s’apportent du dehors ou se portent au dedans de la Ferme, et si les Commis ne vexent point les paysans en leur faisant payer plus de droits qu’il n’est dû.
Se fera donner un état alphabétique des marchandises et denrées entrées et sorties et un autre état des passeports du Roi et les vérifiera sur les registres ».
Bien que méticuleusement définie, la mission des inspecteurs de 1689 devait apparemment s’avérer peu efficace, à tout le moins d’une éphémère efficacité, puisque, au tout début du XVIIIè siècle, il parut nécessaire de réactiver le contrôle de la Ferme Générale.
En 1704, à l’initiative du Contrôleur général des Finances, les Intendants furent consultés sur l’opportunité de créer des offices de « visiteurs des traites et des douanes dans les bureaux d’entrée et de sortie ». Les motivations du pouvoir étaient, en l’occurrence, équivoques officiellement, on entendait réagir contre « le peu d’empressement des commis à remplir avec exactitude leurs emplois » ( ce qui, à 1 ‘ évidence, s’avérait peu glorieux pour l’encadrement des services de la Ferme), mais aussi pallier « les difficultés que la guerre apport(ait) à la régie des Fermes »; officieusement et (du moins aimerait-on le croire) marginalement, on souhaitait collecter quelque argent au profit d’un Trésor fortement obéré par les conflits intérieurs et extérieurs de la fin du règne de Louis XIV. Et en effet, les nouveaux inspecteurs dont la désignation était suggérée devraient acquérir leur office qui serait transmissible par héritage. Une telle mesure ne présentait pas un caractère extraordinaire, car la mise à l’encan d' »office », aussi divers qu’inutiles en bien des cas, était alors de pratique courante. Le besoin d’argent était tel qu’on avait songé, l’année précédente, à convertir en « offices » vénaux les emplois de receveur des Fermes. L’opposition de la Compagnie avait alors été très ferme. On s’était appliqué à faire comprendre que « la vente des offices de receveurs (serait) très préjudiciable à l’Etat et aux Fermes, puisqu’immanquablement ce (seraient) des marchands qui les achèter(aient) sous le nom de gens qui leur (seraient) entièrement dévoués »; or, avait-on ajouté :
« ces négociants ne s’enrichissent que par la fraude qu’ils font des droits dont ils frustrent le fermier et par les marchandises défendues qu’ils introduisent dans le Royaume (…) Si cette vente se fais(ait), on connaîtr(ait) bientôt le tort qu’elle causer(ait) »
Les Fermiers ne pouvaient opposer des arguments aussi dissuasifs à la création d’inspecteurs qui ne feraient pas partie des cadres de la Ferme Générale … quand bien même la rémunération de ces « officiers » incomberait à celle-ci. Ainsi en fut-il décidé : cinquante emplois d’ officiers-inspecteurs créés par édit du Roi en décembre 1707 furent mis en vente.
Si l’on en croit cet édit, « la fonction et la fidélité », des futurs titulaires de ces charges permettrait d' »assurer le recouvrement des droits et le service des employés », car leur surveillance s’étendrait à « tous les employés généraux et particuliers de chacune des directions des Fermes Générales ».
Au Contrôleur général des Finances incombait la charge d’orienter l’action des inspecteurs et de centraliser leurs rapports. Il fut précisé que l’on n’entendait point.

« arrêter ou changer l’ordre de la régie, ni le cours du service […] qui ser[ait] continué en la manière accoutumée par les Directeurs, Contrôleurs généraux et autres employés ».
En fixant à 5.000 livres les émoluments d’emplois cédés à des prix voisins de 30.000 livres, on assurait au capital investi une rentabilité brute de l’ordre de 17 pour cent.
La mise à l’encan d’emplois administratifs, sans que soient, au demeurant, définies les conditions d’aptitude technique à l’exercice des fonctions, paraît aujourd’hui extravagante. Et il est de fait qu’elle rendait possibles de fort curieuses situations. Par exemple, l’acheteur pouvait n’être qu’un prête-nom qui ferait le travail, mais ne percevrait qu’une partie du produit de l’emploi. Pour le Rouergue et l’Auvergne, Salva, prête-nom de Carquet, en recevait 1.200 livres (sur les 5.000 que décaissait la Ferme), ledit Carquet étant également propriétaire pour moitié de l’office du Haut-Languedoc officiellement attribué à Roux qui n’en possédait en fait que la moitié !

En avril 1709, 33 des 50 offices avaient été vendus et 28 inspecteurs avaient, en principe, commencé leur travail. Il restait donc 17 offices à vendre… et ils ne trouvaient pas preneurs.

Une année plus tard, les « invendus » représentaient encore 12 postes. Pour en finir, le Contrôleur général se résolut alors à recourir aux grands moyens : il notifia aux Fermiers généraux sa décision d’obliger

« les contrôleurs généraux [des Fermes] à faire incessamment l’acquisition des offices d’inspecteurs qui rest[aient] à vendre dans leurs départements »;
il était entendu

« que l’emploi et les appointements de contrôleur général leur [seraient] conservés, outre les 5.000 livres attribués à chaque office d’inspecteur »,Mais aussi
« qu’en cas qu’ils refuse-[raient] d’en faire l’acquisition, [la Ferme devrait] les révoquer sur le champ » !

 

Et ce n’était point paroles en l’air : le 29 juin, la Compagnie reçut l’ordre de se séparer de deux contrôleurs généraux réfractaires, l’un à Valence, l’autre à Langres ! Le procédé était entaché du plus parfait arbitraire, car les Contrôleurs généraux étaient des commis, de la Ferme; pour l’exercice de leur emploi ils se trouvaient « dans la main » de la Compagnie, et d’elle seule; on ne pouvait les confondre avec les officiers royaux, c’est-à-dire avec les tenants d’offices (vénaux ou non) soumis à la nomination royale.
Et pourtant, quand on y regarde de plus près, il est possible de trouver à cette situation étrange, sinon une justification, du moins une explication.

 

En examinant les usages qui présidaient à la nomination des contrôleurs généraux des Fermes, que constate-t’on en effet ? Certains de ces employés supérieurs avaient gravi les divers échelons hiérarchiques et ils devaient leur élévation à leurs mérites, plus précisément aux « protections » que leur avaient assurées les services rendus à la Compagnie. La majorité cependant sortait d’un vivier de « Contrôleurs généraux surnuméraires », jeunes gens jouissant de protections de haut niveau qui, à la faveur de « traités particuliers » passés avec la bénédiction de la Ferme, s’étaient assuré la succession de Contrôleurs généraux en titre. Dans la pratique, ceux-là participaient, d’une certaine manière, au système de la vénalité et de la transmissibilité des charges. A un contrôleur général des Finances embarrassé pour le « placement » d’offices d’inspecteur des Fermes, il pouvait sembler légitime d’en imposer l’acquisition à des personnes qui s’étaient déjà procuré onéreusement un emploi comparable, mais sans cracher au bassinet royal ! Après tout, on ne les dépouillait point, et la rentabilité du placement ne permettait-elle pas de trouver préteur, si besoin leur était ?

 

Quoi qu’il en soit, si l’opération menée dans les années 1707 et suivantes a peut-être été inspirée à l’origine par des préoccupations fonctionnelles, son caractère d’expédient financier finit par prédominer. Comment justifier en effet, du point de vue de l’intérêt de la loi,, qu’un inspecteur se trouve placé à la fois sous l’autorité, du contrôleur et sous celle du contrôlé ? Et quels service le Roi pouvait-il attendre d’un corps de contrôle tantôt techniquement incompétent, tantôt sous la dépendance de l’organisme vérifié ?

 

En 1711, c’est-à-dire moins de quatre années après la création des « inspecteurs », l’inefficacité du dispositif fut officiellement reconnue. Un arrêt du Conseil en date du 29 septembre fit défense à la Ferme – qui ne s’en plaignit certainement pas – de payer leurs appointements à ceux des inspecteurs qui n’auraient pas justifié de leur activité par la production d’attestations émanant du Contrôle général des Finances :
« quelques-uns des pourvus desdits offices, au lieu de contribuer par leurs soins au rétablissement de la régie des dites Fermes et de mériter par leur assiduité les appointements que S.M. [avait] bien voulu leur accorder, néglig[eaient] entièrement leurs fonctions, ne [faisaient] aucune tournée ou s’en acquitt[aient] sans attention pour les instructions qui leur avaient été données ».

 

Sans doute cette mesure ne suffit-elle pas à instaurer une situation saine, puisque, lors du renouvellement du bail de la Ferme Générale, en 1715, on dispensa les Fermiers de payer les appointements de tous les inspecteurs auxquels il fut corrélativement interdit d’effectuer des tournées ! D’ « officiers » ayant une tâche en charge, les inspecteurs devinrent alors de simples créanciers du Trésor public auxquels celui-ci servit, au taux « du denier vingt-cinq » l’ intérêt des sommes investies dans l’achat de 1′ « office ».

 

Cette acquisition, autrefois rentable, perdait dès lors sa rentabilité; qui plus est, l’opération devenait déficitaire lorsque les acquéreurs avaient dû emprunter en contractant à l’égard des prêteurs des obligations à hauteur du revenu alors escompté. Une telle situation ne pouvait s’éterniser, si bien que, sur l’insistance des intéressés, le Roi supprima en octobre 1716 les 50 offices et procéda à leur rachat.

 

Il ne devait plus être créé d’ inspection des Fermes jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Le Roi laissa à la Ferme générale le soin de contrôler elle-même le fonctionnement de ses services, ce que, à dire le vrai, la Compagnie n’avait jamais négligé, avec une sagesse directement inspirée par le souci fort compréhensible de protéger ses intérêts !

 

Jean Clinquart

 


Sources :
A.N. G7, 1143, 1170, 1535
de Boislil.Lc, Correspondance des Contrôleurs généraux
Référence :
Sur la transmission des places de Contrôleurs Généraux des Fermes, voir, dans le n-e 8 des Cahiers, l’article intitulé : Les Cahiers de doléances des douaniers.

Vignette d’un imprimé de 1771 relative au tarif des droits sur les papiers et cartons A.D. Nancy

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