Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

1664 … Une date qui ne manque pas de saveur !

Mis en ligne le 1 mai 2019

Si 1664 peut évoquer un breuvage célèbre, cette date constitue pour la douane française une étape majeure de sa constitution. En effet, c’est le 18 septembre 1664 que Colbert, intendant des finances depuis 1661, propose un nouveau tarif applicable sur toutes les frontières extérieures du Royaume.

 

Préambule du tarif de 1664

Beaucoup d’économistes voient dans ce tarif l’émergence du mercantilisme, ou « système protectionniste ». Une rapide analyse démontre toutefois que le tarif de 1664 constitue avant tout un tarif destiné à constituer une première « union douanière française » (1). Il est aussi le préalable au second tarif de 1667 qui lui, a une vocation offensive contre les puissances commerciales des Provinces Unies (anciens Pays-Bas) et dans une moindre mesure contre l’Angleterre (2).

 

 

 

1. Le tarif de 1664 sert à unifier douanièrement le Royaume de France et protéger ses industries.

 

 

 

La vision de Colbert est avant tout de supprimer les barrières intérieures au Royaume de France, et à constituer une sorte d’esquisse de territoire douanier uni. Le tarif de 1664 vise à créer un marché intérieur, et à mettre fin au morcellement fiscal de ce territoire. Le préambule de ce tarif est à ce propos très éclairant : « [droits que] sa majesté a réglé et unis à un seul droit d’entrée pour la facilité du commerce et commodité des marchands ».

 

 

Ce « Zollverein à la française » n’est pas aisé, car le territoire douanier est particulièrement morcellé, fruit de discussions incessantes et de jeux de pouvoirs entre la Cour du Roi et les pouvoirs des édiles et bourgeois des provinces.

 

 

Colbert, intendant des finances de 1661 à 1665 (avant de devenir Contrôleur général des finances)

Comme l’indique Pierre Clément dans son ouvrage « Histoire du système protecteur en France depuis le ministère de Colbert jusqu’à la révolution de 1848″ (publié en 1854) : « Le tarif des droits à la sortie se composait, en 1664, d’environ sept cents articles. […] C’était un tarif uniquement fiscal, mais fort modéré. La nomenclature des marchandises qu’il comprend est d’ailleurs utile à consulter pour se faire une idée de l’état de l’industrie française vers le milieu du dix-septième siècle, industrie beaucoup plus avancée et plus variée qu’on ne le croit communément ».

 

 

 

L’historien démontre l’éparpillement de fiscalités locales : « Jamais, on peut le dire, réforme plus indispensable, et par conséquent plus difficile à opérer, à cause des anciennes habitudes à changer et des abus auxquels il s’agissait de remédier. Il faudrait, pour faire comprendre la nécessité et les difficultés d’un pareil travail, pouvoir donner une idée de la complication de ce tarif, fatigante nomenclature de mille droits aux noms barbares.

C’étaient le trépas de Loire, les deux pour cents d’Arles et le liard du baron, le denier Saint-André, la table de mer, le droit de Massicault, la branche de cyprès, etc… etc…Ceux qui exploitaient ces droits profitaient de l’ignorance générale pour augmenter les tarifs à volonté, sûrs qu’ils étaient, en cas de contestation, de gagner leur cause devant des magistrats qui leur étaient vendus ».

 

 

Colbert reprend à son compte d’anciennes revendications du tiers Etat. Dès 1614, les Etats généraux avaient ainsi fait observer au roi, avec beaucoup de raison, que les droits de douane, ou de traite foraine, ne devaient, comme leur titre même l’indiquait, être perçus que sur les seules marchandises importées du dehors ou transportées à l’étranger. Le droit perçu de province à province portait, lui dirent-ils  « grand préjudice à ses sujets entre lesquels cela conservoit des marques de division qu’il étoit nécessaire d’ôter, puisque toutes les provinces du royaume étoient conjointement et inséparablement unies à la couronne pour ne faire qu’un même corps sous la domination d’un même roy » (Recherches sur les finances, années 1614 et 1615 : cahiers du Tiers-Etat en 1614).

 

 

Cette premier union douanière est pourtant imparfaite : elle ne concerne que les « Cinq grosses Fermes ».

 

Carte des traites

En effet, Colbert procède semble-t-il de façon pragmatique. Craignant sans doute de rencontrer quelques résistances, il se borne dans un premier temps à proposer aux différentes provinces du royaume l’adoption d’un tarif unique.

 

 

L’agglomération douanière qui se constitue correspond à la Normandie, la Picardie, la Champagne, la Bourgogne, la Bresse, le Bugey, le Bourbonnais, le Poitou, le pays d’Aunis, l’Anjou et le Maine, sans compter les provinces qui y étaient enfermées, comme le Soissonnais, l’Ile-de-France, la Beauce, la Touraine, le Perche, etc.

 

 

Deux lignes de bureaux, placés à la frontière de ces provinces et les autres à quelques distance dans l’intérieur, suffisaient à la surveillance de cette zone douanière unie.

 

 

Deux autres types de provinces demeuraient en dehors : celles « réputées étrangères » et celles « à l’instar de l’étranger effectif » qui commerçaient de façon autonome et sans entraves douanières avec l’étranger, notamment dans l’Est de la France.

 

 

Ce tarif remodèle également dans plusieurs de ses parties le tarif des douanes, mais de façon modérée, sauf concernant quelques marchandises habituellement importées d’Angleterre ou nécessitant une protection des productions nationales.

 

Tarif de 1664 d’entrée du houblon (à l’importation)

A titre d’exemple (choisi « au hasard » pour illustrer cette année 1664), les droits sur le houblon sont unifiés et connaissent une augmentation forte, pour les régions orientales du Royaume, proches du Saint-Empire. Il convient aussi de noter que le houblon d’Alsace fait alors tout juste son apparition sur le marché du Royaume, suite à l’annexion encore récente de cette région suite au traité de Westphalie, qui met fin à la guerre de Trente Ans (1648). Il faut donc protéger la production alsacienne et renforcer son rattachement « économique » au marché intérieur du Royaume.

 

Il ambitionne surtout de constituer un territoire douanier unifié, propice au développement du marché intérieur. Dans la même période, Colbert encourage la création des manufactures royales, notamment celles des Gobelins et de Beauvais.

 

 

Dans le fragment des Mémoires historiques de Louis XIV, celui-ci précise en 1666 :  » […] ayant fait réflexion sur les sommes immenses qui se dépensoient tous les ans par mes sujets dans l’achat des passements de Gênes, Venise, Flandre et autres lieux, qui étoient autant de perdu pour la France, je crus qu’il étoit important d’en établir des fabriques dans le Royaume, afin que mes peuples pussent eux-mêmes faire le gain que les étrangers faisoient sur nous […] ».

 

 

Louis XIV évoque ainsi l’établissement rapide des manufactures royales, que le nouveau tarif doit favoriser : « Mais comme beaucoup de négociants ne crurent pas que ces fabriques fussent sitôt en état, ils pensèrent qu’ils trouveroient toujours moyen de débiter en secret les marchandises défendues, et ne laissèrent pas d’en faire venir de divers endroits; en quoi ils furent trompés dans leurs conjectures; car ceux que j’avois chargés de veiller sur cet établissement y firent si bonne diligence, qu’au mois de septembre suivant, les magasins se trouvant remplis, j’ordonnais qu’on les ouvriroit en octobre, et aussitôt je fis arrêter chez tous les marchands ce qu’ils avoient fait venir depuis ma défense […] »

Ce qui a souvent été analysé comme le « système protecteur » de Colbert constitue en réalité une première volonté unificatrice douanière, doublée d’un protectionnisme éducateur. Colbert est donc d’une certaine façon la « synthèse avant l’heure » de ce que l’Allemagne connaîtra beaucoup plus tard au XIXe siècle, entre l’oeuvre du Zollverein de Bismark et les thèses économiques de Friedrich List.

 

 

 

2. Le tarif de 1664 prépare l’offensive douanière de 1667.

 

Le premier tarif était tourné vers l’intérieur… mais celui de 1667 est offensif et porte une guerre commerciale contre les principaux rivaux de la France : les Provinces Unies et l’Angleterre.

Colbert veut ainsi lutter contre leur suprématie commerciale, déjà solidement établie.  Il s’aperçoit que les richesses des possessions françaises d’outre-mer sont transportées en Europe par la puissance maritime hollandaise, qui raffine notamment le sucre produits dans les Antilles.

Le tarif de 1664 doit ainsi non seulement s’analyser comme faisant système avec celui de 1667, mais aussi comme support de protection fiscale de la constitution à la même époque de la Compagnie des Indes occidentales, dont le siège est établi au Havre, et de la Compagnie des Indes orientales, qui s’établit à Lorient.

 

 

En 1667, presque tous les 57 articles qui y furent retenus subirent une augmentation des droits de 100%.

 

Selon Pierre Clément : « Soit que les consommateurs et producteurs ne trouvassent pas suffisante la protection qui leur avait été accordée (en 1664 – note de la rédaction), soit que Colbert lui-même en fût arrivé à penser que la France devait fermer ses frontières à tous les objets qu’elle pouvait fabriquer elle-même, il (Louis XIV) prit, au mois d’avril 1667, une mesure qui, inoffensive au premier aspect, eut des conséquences immenses. Les droits sur les marchandises manufacturées, sur les tissus, les laines, les dentelles de la Hollande et de l’Angleterre, furent doublés. »

 

 

Le nouveau tarif devait susciter de grandes réactions de la part de ces pays.

 

 

Louis XIV demeurait inflexible face aux revendications de ces pays, gagnés aux vertus libre-échangistes de Smith et Ricardo. Ainsi Pierre Clément indique : « Quand à la faculté que les Anglais réclamaient sans cesse de ne pas faire vérifier leurs marchandises à leur entrée en France, Colbert était, sous ce rapport, inexorable ».

 

 

Les tarifs de 1664 et 1667 constituent ainsi l’une des causes et des motivations de la guerre contre la quadruple alliance (Provinces-Unies, Brandebourg, Saint-Empire et Espagne) , de 1672 à 1678, qui se solde par une victoire française et la paix de Nimègue.

 

***

Selon le professeur Henri HAUSER : « le tarif de 1667 se dirigeait contre l’extérieur, celui de 1664 avait été conçu pour protéger l’intérieur ».

Derrière la savoureuse année connue des amateurs de houblon, se cache donc aussi une année charnière et clé, constituant finalement le véritable premier tarif douanier de la zone douanière unie du Royaume de France…

 

Arnaud PICARD

MENU