Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
Saint Mathieu Douanier à Capharnaüm
Nous publions ci-après des extraits d’une étude faite par M. Borgès, (ancien) Directeur-Adjoint à Pau que nous remercions pour cet intéressant document.
NDLR JFP 1957
Chronique du temps passé
Douane et Histoire Sainte
Saint Matthieu Douanier à Capharnaüm
*
La reproduction d’une gravure ancienne du « Codex Egberti », dans le « Journal de la Formation Professionnelle » d’avril-mai 1956 m’a donné l’occasion de relire une intéressante brochure du R.P. Condou intitulée « Un patron pour les agents du fisc… Saint-Matthieu, douanier à Capharnaüm ».
Le Révérend Père (R.P.) Condou, (ancien) curé à Ferrières (Hautes Pyrénées), au pied du Col d’ Aubisque, connaît parfaitement notre administration puisqu’il dédie son étude à son frère, Jean Condou, ancien adjudant-chef des douanes, retraité à Saint-Lary (H.P.). Jean Condou est lui-même le poète sensible et délicat de la Vallée d’Aure et de ses vieilles églises; il est l’auteur d’un recueil de poésies, paru en 1940, « Fleurs de la Neste ».La note liminaire de l’ouvrage du R.P. Condou est à citer intégralement puisqu’elle résume et donne le ton et la signification de son étude.
« Le Moyen-âge, dit-il, à cette époque où la foi régentait la vie, chaque métier avait son céleste patron que maîtres et compagnons saluaient comme le protecteur attitré de leur âme et de leur profession. Au jour de sa fête, échoppes et boutiques fermaient. La corporation toute entière, groupée derrière la bannière du saint, défilait bruyamment dans les rues étroites et se rendait à l’église. C’était un jour de repos et de liesse.
« Les agents du fisc avaient-ils alors leur patron ? Nous l’ignorons, S’ils veulent aujourd’hui un protecteur haut placé, qu’ils ouvrent l’Evangile. Dès les premières pages, ils trouveront Matthieu, douanier à Capharnaüm, que le Christ arracha à son bureau et dont il fit un apôtre et évangéliste. En son métier, ils reconnaîtront le leur.
« Comme eux, Saint Matthieu connut les longues attentes et les pénibles déceptions ».
« Comme eux, il supporta les intempéries des saisons et les quolibets de la foule».
« Comme eux, il fut souvent aux prises avec quelque délinquant sans scrupule ».
« Comme eux, il fit face à la monotonie des jours et à l’inévitable’ impopularité ».
« Les Saints du ciel n’oublient pas leurs années de la terre. S’ils ont quelque prédilection, ils la réservent à ceux qui passent par les mêmes épreuves ».
« Que les agents du fisc se souviennent de leur ancêtre, Matthieu, aux heures calmes, comme aux heures dures, qu’ils l’invoquent. Ils ont toutes les chances d’être compris et exaucés ».
L’ouvrage du R.P. Condou se divise en deux parties.
Dans la première, il trace la vie humaine – tout au moins ce que nous en savons – de l’apôtre Matthieu, disciple du Christ, il évoque son évangile et sa mort légendaire.
Dans la deuxième partie, dans un historique savant et documenté de la douane dans l’Antiquité, la Gaule et l’Ancien Régime, ii aboutit au douanier d’aujourd’hui pour conclure que Saint-Matthieu est le modèle et le protecteur tout indiqué de notre très vieille Administration.
Je suis loin d’avoir les connaissances suffisantes pour suivre le R.P. Condou dans ses développements; mais je voudrais cependant en donner un modeste aperçu.
Avec le R.P. Condou et, d’ après l’expression de Daniel-Rops, suivons rapidement Jésus dans sa « Vie publique ».
A trente ans, dit-il, jésus-Christ commence sa vie de prédications et de miracles. Il choisit une douzaine d’hommes qui seront ses compagnons de route et les confidents de sa pensée.
A Capharnaüm, Jésus et ses disciples. rencontrent Matthieu Levi, le publicain. Jésus lui dit « Suis moi!’ et il le suivit. La gravure du « CodexEgberti » parue dans le journal de la Formation Professionnelle représente cette rencontre de Jésus et de Matthieu.
Le R.P. Condou explique que Levi et Matthieu sont le même homme: Levi, nom du publicain, Mathieu celui de l’apôtre. Le nom de Matthieu est grec et signifie « présent de Dieu » et correspond à notre Dieudonné. Matthieu, dit-il, arraché aux Douanes; peut ‘être considéré comme un « don de Dieu » à l’église.
Saint-Matthieu était « publicain » , c’est-à-dire préposé à Ia perception de l’impôt, un agent du fisc. Dans une même fonction, iI cumulait les charges aujourd’hui séparées de douanier, d’employé d’octroi et du péage. Le terme « publicain » , dit le R.P. Condou, ne signifiait pas seulement un emploi, il désignait une classe sociale et même une caste tenue en méfiance par le reste de la société, et généralement mal aimée.
Des impôts affermés et très lourds étaient donc perçus par des employés locaux, les « publicains », sur qui retombait l’ire populaire.
Le R.P. Condou étudie les impôts levés par les Romains, leur mode de recouvrement et même les tarifs douaniers de l’époque. Comme Renan, Daniel-Rops et bien d’autres; iI signale les sarcasmes et là haine dont étaient en butte les publicains de la part des pharisiens. Aux yeux de ces derniers, dit-iI, les publicains avaient le tort impardonnable de collaborer avec l’ennemi dont iI s se faisaient les employés et les complices. Ils les regardaient comme des traitres à la loi d’ Israël et leur crime était de caractère religieux.
De là, pour expliquer le procès de Jésus, sa condamnation et sa crucifixion, il n’y a qu’un pas. En effet, si pendant ses prédications et surtout pendant la dernière semaine de Jésus, les pharisiens ne le quittaient pas d’une semelle, c’était pour l’épier alors que les publicains se pressaient autour de lui pour l’écouter. Selon Saint-Luc « les publicains et les pêcheurs s’approchaient de lui pour l’entendre ».
Jésus, sévère pour les pharisiens, est le plus souvent avec les gens modestes que sont les publicains. Il estime surtout Matthieu rencontré au bureau des Douanes de Capharnaüm et en fait le compagnon de sa vie, témoin de ses miracles et apôtre.
Matthieu est donc à Capharnaüm un des nombreux publicains de Galilée chargés de percevoir l’impôt pour le compte d’Hérode de Antipas, Gouverneur de la Galilée et de la Perée, provinces de Palestine.
« Sans exclure la perception des droits d’octroi, dit le R.P. Condou, Saint-Mathieu semble avoir surtout rempli l’office de douanier ».
Capharnaüm, port du Lac de Tibériade, était également ville frontière entre les provinces d’Hérode et celles de son frère Philippe, la Trachomitide, l’Albilème et l’Ithurée. Capharnaüm était traversée par la route principale qui allait d’Egypte à la Méditerranée vers Damas, et qui fut de tout temps fréquentée par les caravanes orientales et Capharnaüm avait, de ce fait, une douane importante.
Le R.P. Condou se demande si Matthieu en était le chef. « La présence d’ autres publicains en ce même lieu, écrit-il, et le fait que Matthieu put servir un banquet – non une collation ordinaire mais un « grand festin » – au Christ et à ses amis (ce oui laisse entendre qu’il était fortuné) peuvent le laisser supposer ».
« L’intention de Matthieu, ajoute-t-il, en organisant ce repas est d’entrer en contact officiel avec son nouveau maître, mais aussi de prendre congé des publicains ses collègues du fisc, qu’ il quittait définitivement ».
Matthieu quitte donc délibérément sa situation; et le R.P. Condou fait remarquer avec raison que son mérite paraît plus grand que celui des premiers apôtres appelés par Jésus. En effet, si Pierre, André, Jacques et Jean pouvaient en toute circonstance revenir à leur barque, Mathieu, lui, laissait son emploi sans espoir de retour. Il brisait ‘sa carrière et un autre prendrait sa place sans tarder, car l’office était recherché parce que lucratif.
Au soir du « grand festin », Matthieu en terminait donc avec sa fonction de douanier et inaugurait une vie nouvelle, celle de l’apôtre, celle de l’écrivain sacré et celle du martyr.
Avant de suivre Saint-Matthieu dans sa nouvelIe vie, le R.P Condou, en bon frère de douanier et en connaisseur charitable, réhabilite nos prédécesseurs douaniers du temps de Jésus.
« Pour appartenir à la corporation des publicains, dit-il, Matthieu ne fut pas nécessairement comme la plupart d’entre eux, injuste et grippe-sou. Dans toute mauvaise société, iI se trouve toujours quelques bons.. ».
Bien au contraire, iI voit en Saint-Matthieu un douanier modèle. « Le seul fait que Matthieu est choisi par le Christ montre qu’il était digne de ce choix, donc un « homme honnête et un fonctionnaire intègre. Nous le voyons levant les taxes, mais selon le taux officiel. Il suivait certainement le tarif de Palmyre, qui nous est resté. Cependant, en dépit de ses qualités et mérites, son titre de publicain ne lui permettait pas d’échapper à la haine générale dont ses collègues étaient l’objet ».
Avec le R.P. Condou, accompagnons Saint-Matthieu, apôtre et rédacteur de l’Evangile. Pendant trois années, Saint-Matthieu suivit le Christ dans son apostolat palestinien, écoutant ses prédications, contemplant ses miracles et se sanctifiant à son contact. Le Maitre avait en lui un auditeur attentif et intelligent. Car, après l’Ascension, Matthieu sut retrouver dans ses souvenirs l’essentiel de ses discours et les principaux de ses miracles. Il les consigne dans un livre, connu sous le nom d’ « Evangile selon Saint-Matthieu ».
Voilà ce que nous savons de la vie et de l’oeuvre de Saint-Matthieu douanier. il est le témoin, de la vie publique du Christ et de sa passion; II est au Mont des Oliviers, au moment de i’Ascension, reçoit le Saint-Esprit au jour de la Pentecôte.
C’est ici que s’arrêtent les données historiques certaines et que commence sa légende.
Les Apôtres se dispersèrent pour annoncer à la terre le nouvel Evangile. « AlIez, enseignez toutes Ies nations » leur avait dit le Christ.
Après la rédaction de son Evangile, Matthieu, de Palestine et d’Egypte, aurait atteint I’Ethlopie où iI aurait fait plusieurs miracles.
La légende veut que Saint-Matthieu soit resté 23 ans en Ethiopie, où, après avoir opéré un grand nombre de conversions; il aurait ordonné des prêtres et consacré des évêques. II aurai t été massacré à Naddaver alors qu’il célébrait la messe.
« S’iI faut en croire la tradition, dit le R.P. Condou, Ie corps de Saint-Matthieu conservé avec grand honneur dans l’église de Naddaver fut transporté à Salerne, royaume de Naples, sous le Pontificat de Grégoire VI puis fut déposé à Ia cathédrale de Beauvais où iI resta jusqu’à la Révolution. Le Monastère de la Visitation de Ste-Marie, à Chartres, possède encore une, de ses reliques ».
Le R.P. Condou termine la première partie de son étude par un aperçu de Saint-Matthieu dans l’art chrétien.
*
Saint-Matthieu n’est pas le seul douanier de l’Evangile. Pendant l’automne qui précéda la Passion, Jésus refit, en sens inverse, avec ses disciples, le voyage qu’il avait fait trois ans auparavant.
A Jéricho, à moins de 30 km de Jérusalem, le bruit s’est répandu est parmi les pèlerins. On veut le voir, on veut l’approcher.
« Cette ville (Jéricho), dit Renan, soit comme tête de route très importante, soit à cause des jardins de parfums et de ses riches cultures, avait un poste de douane assez considérable. Le Receveur en Chef Zachée, homme riche, désira voir Jésus. Comme il était de petite taille, il monta sur un sycomore près de la route où devait passer le cortège, Jésus fut touché de cette naïveté d’un personnage considérable. Il voulut descendre chez Zachée au risque de produire un scandale. On murmura beaucoup, en effet, de le voir honorer de sa visite la maison d’un pêcheur.
Comme Matthieu, Zachée est un publicain, un douanier de l’époque, un des collecteurs d’impôts qui perçoivent droits et taxes sur les baumes et les parfums.
Dans une brochure publicitaire du Dr J. Brun sur Rocamadour, on lit en effet, qu’en l’absence de toute preuve écrite, il s’établit à une époque indéteestrminée, une légende attribuant au Zachée de l’Evangile la fondation du pèlerinage ou de l’oratoire de Rocamadour.
Matthieu I’apôtre-évangéliste, et Zachée, le Saint sont les Douaniers de I’Evangile. Leurs noms seront invoqués à jamais dans tout Ie monde chrétien.
*
Revenons à l’étude du R.P. Condou. Dans la deuxième partie, il indique que la douane d’ aujourd’hui dans son origine et son organisation est l’héritière des institutions romaines et de l’Ancien Régime. L’Homme est un héritier, a-t-on dit, et. les institutions humaines un héritage.
Particulièrement documenté, l’auteur étudie les droits de douane de l’époque romaine à nos jours. « Chez les romains, dit-il, l’impôt indirect était appelé « portorium ». Ce mot désignait les trois organismes aujourd’hui séparés: la douane, l’octroi, le péage. Son but était, non de défendre l’industrie nationale ou provinciale contre les marchés étrangers, mais de remplir les caisses de l’Etat ».
Après un bref historique de ce « portorium », il arrive à le Gaule Romaine où la taxe perçue était le quarantième (2,5%) de la valeur des marchandises.
A l’époque, les postes douaniers étaient nombreux et actifs. Un commerce intense existait entre la Narbonnaise et l’Italie. La ligue douanière longeait les Pyrénées, côtoyait la Méditerranée et passait au pied des Alpes. « Sa configuration, dit-il, était à peu près la même que celle d’aujourd’hui.
D’après lui, le centre de l’organisation douanière devait être Lyon. Il raconte d’ailleurs que, dans un ex-voto qui nous est resté de ces temps anciens, un esclave remercie les dieux de son avancement clans la hiérarchie douanière: de simple contrôleur en un poste obscur de la frontière, il avait été nommé caissier à Lyon. « Cette promotion, dit-il, valait bien ce geste de reconnaissance ».
Si nous nous reportons à « La Gaule », l’ouvrage de Ferdinand Lot, on constate que l’auteur est d’accord avec le R.P. Condou puisqu’il dit, comme lui, que les droits indirects, que les romains appelaient « Vestigalia », étaient peu nombreux et légers. La douane existait au passage des Alpes et des Pyrénées, aux ports maritimes et fluviaux (Arles, Lyon, etc. …) et en certains endroits déterminés, Nîmes, par exemple. Le taux en était de la valeur du quarantième des marchandises (Quadragesima Galliarum). Il ajoute qu’il est possible que cet impôt fut une compensation pour les frais d’entretien des routes et Ports; à cette époque, droits de douane et de péage avaient donc le même but.
Ensuite, le R.P. Condou donne, d’après le jurisconsulte Martien, la description du tarif douanier d’ alors qui se divisait en les six parties suivantes :
1° – Parfums ou substances employées en médecine,
2°- Epices destinées à la consommation;
3°- Matières textiles, tissus, fourrures;
4°- Métaux et pierres précieuses;
5°- Cette dernière partie porte le titre curieux et évocateur « Eunuques et bêtes féroces »…
Il indique ensuite un certain nombre de droits de douane perçus cette époque et cela d’après l’inscription de Zraia (Algérie) découverte en 1858. Les droits de douane, dit-il, étaient de un denier et demi sur un esclave, un cheval, un manteau …
Les animaux se rendant au pâturage et les bêtes de somme étaient exemptes de droits. Le régime du compte ouvert des bestiaux existait donc dans la Gaule antique… Je fais grâce des droits sur les porcs, les cuirs, les vins et autres produits.
Dans son « Survol, de l’Histoire », pour reprendre l’expression connue, suivons le R.F. Condou en son étude des douanes de l’Ancien Régime.
L’histoire nous en est familière; mais il est agréable de voir cette question traitée, et de main de maître, par une autorité plus intimement appelée peser les âmes que les subtilités de l’histoire du droit public.
Il traite des Douanes intérieures, des cinq Grosses Fermes, des Pays réputés étrangers et des Pays étrangers effectifs.
L’originalité de son étude, tient à ce qu’il donne des renseignements intéressants sur les douanes de la région des Pyrénées. « Les marchandises transportées par terre des » Pays de l’Etendue » en Espagne, dit-il, ont à payer quatre sortes de droits: droits des Cinq Grosses Fermes » en sortant du Poitou; droit du Convoi et Comptalie de Bordeaux; droit d’Arzac, dans les Landes; droit de la Coutume de Bayonne. Il donne le tarif douanier de 1586 qui avait cours en Bigorre, document provenant des archives de maître Labourdette notaire à Argelès-Gazost (Hautes Pyrénées).
Après avoir fait le pont en quelque sorte, entre la douane d’autrefois et celle d’aujourd’hui, le R.P. Condou conclut que, chez le douanier, pour qu’il garde intacte sa conscience professionnelle, la bonne volonté souvent ne suffit pas. « Une force morale, dit-il, qui aux heures difficiles stimule et revigore, parait indispensable. La présence d’un modèle vers lequel se portent les regards découragés, l’action d’un protecteur qui apaise, console ou relance, seront en tout temps des aides précieux. Pour les agents du fisc, le modèle, le protecteur est tout indiqué: Saint-Matthieu le douanier de Capharnaüm. Sa vie et sa sainteté le désignent comme leur patron céleste. Dans son souvenir, mieux encore dans son intimité, ils puiseront une idée plus haute de leur mission et trouveront, pour l’accomplir, de nouvelles énergies ».
La fête de Saint-Matthieu est célébrée le 21 septembre. Pourquoi ce jour ne serait-il pas., comme au temps d’autrefois, un jour de repos et de liesse dans notre Administration ?’ C’est d’ailleurs le voeu que semble exprimer le R.P.- Condou dans la note liminaire de son étude sur Saint-Matthieu et la Douane.
Lucien Borgès
Journal de la Formation Professionnelle
N° 62
Janvier 1957