Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
Poème : « En embuscade » par J.F. Agostini
« En embuscade » est le troisième poème du recueil intitulé « Les debout », publié à Bastia en 1902, que nous reproduisons dans les colonnes de la « douane littéraire ». Son auteur, le brigadier des douanes Jules-François Agostini, alors en poste à Calvi, explique le choix de cette intrigante périphrase de la Gabelle dès le prologue à son opuscule :
« Le plumitif courbant l’échine
Sur des papiers par lui noircis
De la brave plèbe qui “chine”
Reçut ce sobriquet : L’ASSIS !
Faisant sans trêve pied de grue,
Nuit et jour, en décembre, en août,
Près du gouffre ou du flot qui rue…
Le douanier c’est le DEBOUT ! »
Rappelant à juste titre que les douaniers comptent parmi les plus anciennes figures du scribe, « J.-F. Agostini » tient à les distinguer de ceux, qui, tels le publicain Lévi, furent décrits par les évangiles en position « assise » au bureau de Capharnaüm avant de se lever pour devenir Saint Matthieu, ou « couchée » « dans le creux d’un vieux roc sauvage » en guise de Jardin des Oliviers, à l’instar du collègue endormi du héros de l’ « embuscade ». Sorte d’ombre horizontale du douanier, que le poète déchoit de cette qualité par l’emploi d’un pronom peu amène, « l’autre » s’abandonne à « un sommeil peu sûr », « bercé » par la houle et les rêves érotiques, symbolisant les tentations auxquelles le « veilleur solitaire » refuse de céder.
Simple oubli, problème de mise en page ou encore subtile censure d’un poème par ailleurs dépourvu de « forme fixe », les deuxième et troisième sizains d’octosyllabes (reproduits en italique infra) évoquant notamment le dormeur du « creux », ont curieusement disparu de la version reproduite dans le numéro 197 de « La vie de la douane » paru en mai 1984. Seule semble demeurer dans cette version expurgée du décalage humoristique entre rêveries prosaïques et contemplation ciblée, la figure du « Debout »… pour la plus grande gloire de la Gabelle du Seigneur, à n’en point douter.
Introduit par des vers lyriques campant une figure romantique face aux orages affrontés à défaut d’être « désirés », le poème bascule dans le registre épique avec l’apparition de la « voile latine », dans la « poésie d’action » évoquée par Francis Carpentier dans l’ « interview » publiée sur ce site. Radié de la seconde strophe mais réintégré par l’arithmétique de l’inégale lutte engagée à la septième face aux quatre contrebandiers, à « Un contre deux et deux contre un », le binôme du héros ne semble pas en mesure de changer le sort du douanier scellé par les deux quatrains placés en épilogue au recueil, cités par Vida Azimi dans son « Florilège littéraire sur la douane et les douaniers » :
« Debout pour le Trésor, il veille ;
Pour son pain point il ne s’assied ;
Si la fatigue l’ensommeille
Le devoir commande : “sur pied !”
Et parfois dans l’épreuve rude,
En recevant le traître coup,
Par une très vieille habitude
Il meurt comme il vécut – “debout”. »
Remerciements au Centre de Documentation Historique du Musée National des Douanes pour son aide dans la rédaction de cet article.
Kevin Mills
En embuscade
Il est nuit. Il pleut. La mer bout.
Un douanier est là debout
Posté parmi les rochers vagues.
Son regard scrute obstinément
L’horizon dentelé de vagues
Qui se cabrent en écumant.
Dans le creux d’un vieux roc sauvage
Bercé par les bruits du rivage
L’autre dort d’un sommeil peu sûr ;
Il voit en rêve mille choses :
Rencontres en un coin obscur,
Femme jeune, babys tout roses.
Et la tempête empire encor :
D’éclairs, fugaces serpents d’or,
L’espace ténébreux se zèbre,
L’océan hurle, âpre démon,
Et sa gueule énorme et funèbre
Crache l’algue et le goëmon
Soudain, le veilleur solitaire,
Voit, malgré l’ombre et le mystère
Dans d’humides souffles s’enflant,
En dépit de l’ire marine
Comme une aile de goéland
Glisser une voile latine !
La nef accoste et sur l’écueil
Quatre hommes ont en un clin d’œil
Mis des ballots de contrebande.
Aucun d’eux ne songe aux veilleurs
Et la sombre et furtive bande
S’apprête à les porter ailleurs…
« Rendez-vous » crie une voix crâne.
« Qui va là ? » répond-on – Douane !
– Enfer maudit ! Destin bourreau ! »
Il s’élève des cris de haine ;
Le poignard jaillit du fourreau
Le revolver sort de sa gaine…
Tout entier aux instincts de mort
L’on fait feu, l’on chourine et mord
L’on bondit et l’on se terrasse ;
Un contre deux et deux contre un
On frappe d’un accord commun
Et pas un ne demande grâce !
Et la bataille se poursuit
Dans les rumeurs de cette nuit
Que percent cri de rage et râle !
Étrange combat émouvant,
Lutte ardente – lutte banale
Tant elle se produit souvent…
Poème de J.F. Agostini –
Extrait du Recueil « Les Debout »
Bastia – 1902
La vie de la douane
N°197
Mai 1984