Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
Pierre de Saint-Cricq (1772-1854) par Jean Bordas – 1ère partie
Né à Orthez le 24 août 1772, Pierre, Laurent, Barthélémy de Saint-Cricq, appartient, ainsi qu’en témoignent les mémoires de Sully en date de 1576, à une importante famille du Béarn. Son père était maréchal de camp des armées du roi et siégeait aux Etats du Béarn.
Le jeune Pierre débute ses études au Collège des Barnabites à Lescar près de Pau. Il les continue au Collège Louis-le-Grand. Lauréat des concours de l’ancienne université, il remporte, en 1789, l’un des derniers prix d’honneur qu’elle ait décernés.
Il entre dans l’administration départementale, au moment où le gouvernement organise les préfectures créées par la loi du 28 pluviose an VIII (17 février 1800). Par cette loi les départements sont conservés mais, dorénavant, le véritable chef en sera le préfet.
Jean-Baptiste Collin, ancien régisseur des douanes, d’abord nommé préfet de la Drôme, est appelé à la tête du département de Seine et Marne. Il y trouve, installé comme secrétaire général, Saint-Cricq nommé par arrêté du 15 floréal an VIII (5 mai 1800). Lorsque Collin devient le premier directeur général des douanes, il songe à ce collaborateur dont il apprécie les grandes qualités. Il l’appelle auprès de lui en 1801 et l’intègre au secrétariat général de la direction générale.
En 1803, il le nomme chef du bureau de la correspondance avec les inspecteurs généraux des Douanes, institués au sein de la Douane par arrêté du 21 pluviose an II. C’est à Saint-Cricq qu’il appartient d’examiner les rapports de l’inspection et de régler, avec le directeur général, les questions sur lesquelles doit porter son contrôle.
Il a ainsi pu acquérir un savoir et une compétence qui lui seront reconnus par la suite et lui permettront d’asseoir sa carrière.
Le 24 mai 1811, Collin de Sussy adresse une supplique à Napoléon 1er, il y démontre qu’il est accablé de travail et de responsabilités et qu’il doit être « secondé dans les détails de cette administration par des hommes à qui l’expérience (a) donné une parfaite connaissance du mécanisme du service ». Il rappelle ensuite qu’il a déjà demandé, un an auparavant, la création de deux places d’administrateurs à confier à son fils et à « M. de Saint-Cricq le chef de l’une de (ses) divisions ».
Il présente ainsi son deuxième protégé : « M. de Saint-Cricq était le secrétaire général du département de Seine-et-Marne lorsque j’en étais le préfet et il a désiré me suivre lors de ma nomination à la Direction Générale, et comme j’ai voulu, pour les intérêts de Votre Majesté, suivre moi-même et sans intermédiaire tout ce qui est relatif à l’impôt du sel, j’ai chargé M. de Saint-Cricq de cette division : il a pleinement répondu à ma confiance. »
Il renouvelle sa demande en indiquant que deux administrateurs vont être proposés pour la retraite et que, si l’Empereur daigne, pour les remplacer, faire le choix de son fils et de Saint-Cricq, la création de deux nouveaux administrateurs ne sera plus nécessaire.
Le 9 septembre 1811, Saint-Cricq est nommé administrateur. Il garde la haute main sur l’impôt du sel, importante source de recettes douanières.
En 1812, la direction de la douane change de mains, Collin de Sussy est nommé ministre du commerce, le 16 janvier 1812. En même temps, Ferrier devient directeur général.
A partir de 1813, la France a vu les défaites succéder aux victoires. Le 31 mars 1814, les alliés entrent dans Paris. Ferrier estime qu’il ne peut garder un poste qu’il doit à la confiance de l’Empereur. Dès le 3 avril et sans attendre l’abdication de Napoléon 1er, il fait remise du service à Saint-Cricq en qui il a toute confiance. Le lendemain, les administrateurs font collectivement connaître la nouvelle : » Monsieur le Directeur Général est absent, mais son absence n’étant que momentanée, rien ne sera changé dans l’ordre de la correspondance. Vous continuerez donc d’adresser à M. le directeur général à Paris, toutes les lettres relatives aux objets dont la suite lui est personnellement réservée. »
Le 13 avril, Saint-Cricq signe sa première circulaire sous le titre : « d’administrateur chargé provisoirement du service des douanes ». Il communique un ordre de Monsieur, le frère du Roi, qui suspend le blocus continental.
Le 24 avril, il transmet ainsi un décret portant réduction de certains droits : » Le commerce, Monsieur, accablé de droits, de formalités, d’exceptions, était menacé d’une ruine totale.(….) Les droits les plus onéreux (de 1810) sont abolis et remplacés par des droits calculés, non sur l’intérêt habituel de la France, mais sur le besoin urgent du moment; sur l’état actuel des valeurs, dans leurs rapports entre les marchés étrangers et ceux du Royaume « .
Le 17 mai 1814, la fusion des douanes et des droits réunis est décrétée. Bérenger, le chef de cette nouvelle entité décide : » Les directeurs des douanes devront adresser leur correspondance à M. de Saint-Cricq, chargé provisoirement de la signature portant sur les questions du domaine réservé anciennement au directeur général des douanes « .
Saint-Cricq reçoit le titre de maître de requêtes au conseil d’Etat. En même temps, il est nommé directeur particulier au traitement de 35.000 francs. Il régira la douane sous l’autorité du directeur général des contributions indirectes .
Cette délégation est loin d’être une sinécure et Saint-Cricq devra employer toute son habileté et sa connaissance approfondie de tous les détails du service pour triompher de toutes les difficultés du moment.
La France est ramenée à ses frontières de 1791. Les lignes des douanes sont détruites. Nombre des agents des brigades du Nord ont intégré les armées mises en déroute. Les autres se sont repliés en désordre en abandonnant successivement leurs lignes. Certains sont encore enfermés dans des places fortes assiégées.
Les caisses et les magasins d’habillement sont entre les mains ennemies. Toutes les archives des directions étrangères ont été détruites ou abandonnées. Il va falloir faire entrer dans les cadres des directions du Nord et de l’Est, le personnel des neuf circonscriptions créées naguère hors de la France hexagonale, à la suite des conquêtes de La Révolution et de l’Empire; apurer la comptabilité; établir les décomptes individuels; prononcer des mises à la retraite pour résorber le surnombre des agents causé par la suppression de ces neuf circonscriptions; intégrer aussi certains des douaniers étrangers qui ont fait retraite en France et désirent y rester, donc faire des choix difficiles.
C’est à la restructuration des lignes que Saint-Cricq s’attaque en premier. Par ailleurs, une réforme du Conseil d’administration amène une nouvelle division du travail des administrateurs par matière et non plus par secteur géographique. Cette importante réorganisation, certainement due à une initiative de Saint-Cricq, ne sera plus remise en cause.
Saint-Cricq est nommé, en même temps, directeur de l’administration des douanes. Il exprime ainsi son programme: » Chargé, par les fonctions auxquelles je suis appelé, d’une grande responsabilité; fortement déterminé à justifier, en tout ce qui dépendra de ma volonté et de mon dévouement, la confiance qui m’est accordée, j’ai besoin de penser que votre zèle me rendra cette tâche moins difficile. Anéantir la contrebande, ou du moins la comprimer puissamment; assurer ainsi à l’administration des douanes toute la considération qu’appelle déjà sur elle l’importance des intérêts qui lui sont confiés; éclairer avec soin la conduite des employés; assurer l’avancement de ceux qui s’en rendront dignes par leur bonne conduite; distinguer, encourager par un avancement plus rapide, et signaler à la bienveillance de M. le directeur général des contributions indirectes et du Ministre, ceux dont les talens rendront le zèle et le dévouement plus utiles; tel est le but vers lequel tendront tous mes efforts. Je ne puis l’atteindre qu’avec votre concours et celui des chefs sous vos ordres. J’y compte avec une entière confiance. »
Saint-Cricq, de concert avec ses collaborateurs, se livre à des travaux considérables notamment dans la préparation du projet de loi douanière qui a pour but de fixer les pouvoirs du gouvernement en matière de tarif.
Voici que Napoléon de retour de l’Ile d’Elbe, arrive à paris le 21 mars 1815, un décret du 25 mars sépare la Douane des Contributions indirectes.
Ferrier qui, un an auparavant, avait désigné en quelque sorte Saint-Cricq comme son successeur, retrouve le poste de directeur général. » Saint-Cricq demande lui même à reprendre ses anciennes fonctions d’administrateur et rentre aussi simplement dans le rang qu’il en est sorti, comme pour remplir une mission dont il s’est acquitté avec une parfaite rectitude et non sans éclat « .
Ferrier ratifie et confirme tout ce que Saint-Cricq a prescrit et le remercie d’avoir apporté des améliorations au service.
Après les Cent Jours, le Roi rentre à Paris, le 8 juillet 1815. Des négociations difficiles aboutissent au désastreux traité du 20 novembre 1815. Saint-Cricq, resté très discret pendant cette délicate période, est replacé à la tête de la Douane. Par la séparation confirmée des douanes et des contributions indirectes et par le renouvellement de la confiance du gouvernement, Saint-Cricq obtient une double satisfaction qu’il doit au souvenir de sa précédente gestion et à la dignité de son attitude au retour de Napoléon 1er.
Il est appelé à siéger à la section des finances du Conseil d’Etat en qualité de conseiller d’Etat en service ordinaire.
Des élections générales pour la Chambre des députés sont fixées au 22 août 1815. Ses amis du département de Seine et Marne où il a débuté comme fonctionnaire départemental le pressent de se présenter à la députation. Il accepte leur proposition et grâce à son sens des relations publiques, à ses dons d’orateur et à sa réputation, il est élu au premier tour par presque 100 voix sur 179 votants. Il sera l’un des ténors de la Chambre.
Le 5 octobre, une ordonnance prévoit que « Le sieur de Saint-Cricq directeur de l’administration des douanes, prendra définitivement le titre de directeur général des douanes dont il remplit les fonctions depuis le 8 juillet. Il travaillera exclusivement avec (le) ministre des Finances ».
Dans sa circulaire aux directeurs régionaux, Saint-Cricq définit ainsi ses intentions : « le rétablissement de la paix générale, Monsieur, a donné une importance plus grande et mieux sentie chaque jour, aux douanes et aux résultats de leur institution. Il est devenu ainsi plus nécessaire de donner à l’administration centrale une organisation telle que, d’une part, le directeur général puisse exercer, avec sûreté et promptitude, le droit d’action qui lui appartient exclusivement sur le service, et que, d’un autre côté, le conseil d’administration établi près de lui, soit investi de tous les moyens nécessaires pour pouvoir examiner et discuter à fond les affaires qui, par leur nature, doivent être l’objet d’une délibération « .
Il appelle l’attention sur les articles qui » indiquent l’essence des fonctions du Directeur Général, ceux qui déterminent les attributions du conseil d’administration et celles qui sont déléguées à chaque administrateur en particulier ».
Il souligne : « Il en résulte que l’action sur le service et sur le personnel des employés est remise toute entière dans la main du directeur général « .
Si sa sphère d’action est particulièrement étendue, celle des administrateurs a été fortement rognée et toutes leurs décisions doivent être approuvées par le chef de l’administration. Ses adjoints doivent lui faire rapport avant réponse aux services extérieurs. En outre est créée une division du personnel placée directement auprès du directeur général, ce qui enlève aux administrateurs leur influence en matière de nominations et de promotions. La centralisation n’a jamais été et ne sera jamais plus complète : » La haute position que M. de Saint-Cricq s’était créée à l’Administration ne pouvait évidemment qu’augmenter son crédit à la Chambre et l’aider puissamment à triompher des mille obstacles qu’il y rencontrait « .
Saint-Cricq, député lui-même, siège au centre de la » Chambre introuvable ». Il lui faut donner des gages à ceux qui veulent chasser les « suppôts de l’usurpateur » des rangs de l’administration et de l’armée. Il décide d’exprimer hautement sa volonté d’épurer la douane mais il temporise et, grâce au flou de certaines de ses instructions, laisse aux directeurs régionaux le soin de faire porter les mesures d’exclusion sur les mauvais agents plutôt que sur ceux, et ils sont très nombreux, qui sont nostalgique de l’Empire.
Les dénonciations arrivent de partout, les récriminations à la Chambre se font plus agressives. Duverger souligne : « M. de Saint-Cricq y répond par les bruyantes enquêtes des inspecteurs généraux qu’il venait de faire rétablir; enquêtes durant lesquelles l’animadversion s’apaisait, et dont le résultat amena plus de déplacements indispensables que de renvois. En un mot, cette triste résurrection des épurations, qui rappelait les mauvais jours de 92, fit peu de victimes, et leur nombre eût encore été plus réduit si tous les inspecteurs généraux avaient bien compris leur mission, avaient su seconder M. de Saint-Cricq, qui ne craignit jamais de compromettre sa position pour couvrir l’administration dont le sort lui était confié « .
Il réussit même à sauver David, ancien administrateur général des douanes de Westphalie et familier de l’Impératrice Joséphine, que Saint-Cricq a fait nommer directeur de la division du Tarif. Pendant les Cent Jours, David s’est montré un » représentant » ardemment attaché à la cause impériale. La dextérité de Saint-Cricq le protège et, comme le dit Duverger : « C’est au moment ou le directeur général fulminait sa circulaire du 20 novembre 1815 sur les épurations politiques, que M. David élaborait prés de lui la grande loi du 28 avril 1816, qui a inauguré le système actuel des douanes « .Cette loi met en place un tarif entièrement repensé et établit la police du rayon
Saint-Cricq est devenu le représentant du ministre des Finances au Parlement pour tous les projets de lois douanières; Son langage évolue et, au fil du temps, il prend des allures protectionnistes. Il s’exprime ainsi en 1817 : » Les prohibitions, établies dans l’intérêt de notre industrie, étaient appelées par le vœu public. Que la science lui applaudisse ou le contredise, il trouve sa justification dans les efforts que font tous les gouvernements de l’Europe, pour conserver chez eux, avec le travail, tous les éléments de force et de richesse dont il est la source « .
Evoquant sa conception de la politique douanière, il affirme qu’il est impossible de renoncer au système protecteur quand celui-ci est appliqué par les concurrents de la France.
Dans ces premières années de la Seconde Restauration, le développement du système protecteur et la prééminence de Saint-Cricq dans les débats parlementaires ont grandi la douane dans l’opinion publique. Le chef de la douane, luxueusement installé dans l’hôtel d’Uzès et jouissant d’un traitement de 60.000 francs lui permettant de donner de somptueuses réceptions, possède l’autorité, le train de vie, les privilèges d’un ministre..
Il est entouré d’un premier Inspecteur général, de deux inspecteurs généraux, d’un secrétaire général, de six directeurs chefs de divisions, de plusieurs chefs de bureaux et d’un nombreux personnel.
Le prestige de la douane est à son apogée. A la tribune de la Chambre, le ministre des finances, Corvetto, dans son rapport sur le budget de 1818, déclare : » Le premier devoir de la Douane est de prémunir le Royaume contre l’invasion des produits des fabriques étrangères. Il m’est agréable de pouvoir dire que l’Administration des douanes a rempli ce devoir et que le succès a justifié ses efforts. Le taux de l’assurance de la contrebande en est la preuve incontestable. «
Après s’être étendu sur les variations de ce taux, il rappelle que la loi du 28 avril 1816 : » a achevé d’armer les douanes contre les efforts et les ruses de la contrebande en donnant à l’Administration le droit de poursuivre dans l’intérieur les tissus prohibés : et à cet égard aussi, l’Administration a fait tout ce que pouvaient permettre les limites assignées à ses dépenses ».
Saint-Cricq se garde bien de laisser passer cette occasion de mettre en valeur l’action de son service. A l’occasion de la lecture de son exposé des motifs, il explique que les dépenses engagées par l’Administration n’excèdent pas 770 francs par an et par homme et que cette moyenne, accrue proportionnellement des dépenses matérielles de la douane comme les loyers des bâtiments administratifs, l’achat des embarcations et des autres accessoires, reste au dessous de 854 francs par individu. Rappelons qu’à cette époque le salaire journalier d’un ouvrier est estimé à 3 francs et que Saint-Cricq touchait 60 000 Francs annuellement .
Il attire l’attention des députés sur le fait que si le chiffre de 26.321 douaniers employés dans les départements peut paraître très important et même excessif au premier abord, il faut savoir que, « compte tenu du développement des lignes et des repos obligatoires, on trouve à peine trois hommes en permanence sur chaque lieue de terrain à défendre » . Il poursuit : « Ils suffiront, sans doute, ces calculs, pour faire prendre une idée plus juste, et assez relevée peut-être, d’une administration qui, n’ayant à placer sur ces lignes que trois hommes par lieue frontière, sait les faire mouvoir et surveiller en tout temps avec un ordre et une précision tels, qu’ils obtiennent contre la fraude et pour le double intérêt de notre industrie et du Trésor, des succès aussi remarquables; en même temps qu’on les trouve prêts, en toute occasion, à concourir à toutes les mesures d’ordre public.
« Je pourrais ajouter qu’on les a toujours vus disposés à verser leur sang pour la patrie, lorsqu’il a fallu la défendre, si ce n’était aux braves, dont ils ont plus d’une fois, sur les champs de bataille, partagé les travaux et les dangers, à leur rendre ce glorieux témoignage. »
Il termine en affirmant : » Je n’ai plus qu’un vœu à former pour les douaniers et pour moi, c’est que le suffrage des Chambres vienne m’aider à soutenir leurs efforts jusqu’à ce que des temps plus heureux donnent le pouvoir d’améliorer leur position, et de les affranchir de l’état de gêne et de détresse où gémissent la plupart d’entre eux. Ils ont besoin de compter sur l’avenir pour se dévouer à défendre aussi courageusement et aussi utilement qu’ils l’ont fait, surtout depuis deux ans, tous les intérêts régis par la législation que doit améliorer et approcher toujours davantage de la perfection, le projet de loi dont je vais mettre les articles sous vos yeux ». Ces affirmations portent témoignage de l’ardeur apportée par Saint-Cricq à la défense de son administration si décriée par ailleurs.
Une nouvelle fois, en 1820, Saint-Cricq est chargé de l’exposé des motifs de la loi douanière. Il s’acquitte de cette tâche avec brio, l’emportant sur les points importants du projet de loi, alors que les plus acharnés des partisans du protectionnisme l’attaquent avec véhémence.
Saint-Cricq est en pleine ascension et les honneurs ne lui manquent pas. En 1819, le Roi lui confère le titre de Comte. Le 13 novembre 1820, il est élu à une forte majorité député des Basses-Pyrénées.
Il reçoit, le 23 janvier 1821, la cravate de Commandeur de la Légion d’Honneur.
Cependant, le député, Villèle, avec qui il a ferraillé lorsque celui-ci défendait des idées particulièrement protectionnistes, devient ministre des Finances, le 15 décembre 1831. Dans un premier temps, il est maintenu dans ses fonctions.
Nombreuses sont les divergences entre Saint-Cricq et son ministre, notamment sur le rôle des inspecteurs des finances et sur les obligations de l’encadrement douanier.
Saint-Cricq doit quitter son poste en mars 1824. Il adresse au personnel cet adieu : » Appelé, par la bonté du Roi, à la présidence du Bureau de Commerce et des Colonies, institution à laquelle S.M. a jugé convenable de confier le soin de préparer les lois dont l’exécution repose sur le service des Douanes, je n’ai point fait, sans éprouver un sentiment très pénible, un choix que j’ai cru honorable; mais qui allait me séparer d’une administration à laquelle j’appartiens depuis plus de vingt ans, et que j’ai eu l’honneur de diriger pendant dix années.
« Mes regrets sont vifs et sincères, et vous avez le droit d’en recevoir de moi l’expression. Témoin et appréciateur, pendant un si long temps, du zèle, du dévouement, des sentiments d’honneur et de fidélité qui distinguent si éminemment toutes les classes des agents de l’Administration, je m’étais attaché à eux comme à une famille dont je m’enorgueillissais d’être le chef; et la peine que je ressens de m’en éloigner s’augmente du regret de n’avoir pu faire pour beaucoup tout ce qu’ils avaient mérité. J’ai du moins la conscience que toujours les droits relatifs ont été religieusement pesés, et que si tous n’ont pas obtenu ce qu’ils avaient acquis le droit d’attendre, c’est l’insuffisance des moyens qu’il faut seule en accuser.
« J’emporte le sentiment d’avoir fait quelque bien; toujours je désirais le mieux; mon successeur saura le réaliser. Et moi, que mes nouvelles fonctions associeront par quelques point à ses travaux, je serai heureux de tenir encore par ce lien à une Administration à laquelle se rattacheront à jamais les plus doux souvenirs de ma vie « .
Le Journal de la formation professionnelle formule en 1955, et à ce propos, le jugement suivant : » Le comte de Saint-Cricq a laissé un grand souvenir dans les Douanes où l’on consulte toujours avec fruit ses instructions si claires et si précises. Aucun chef ne fut plus sincèrement et plus constamment dévoué à son personnel dont il savait, si bien faire ressortir les mérites et voiler, à l’extérieur, les faiblesses.
» Personne ne sut jamais mieux le défendre, le diriger avec plus d’énergie et le traiter en même temps, avec plus d’égards, étudier plus consciencieusement ses titres. Il savait distinguer le mérite et le récompenser, punir avec justice et maintenir la discipline avec une inébranlable fermeté.
» Toujours d’une humeur égale, il n’apportait de passion dans aucun de ses actes. La dignité de sa vie lui assurait l’estime de toute l’administration et jamais l’autorité d’un chef ne fut mieux respectée. Tel est le portrait que nous en ont laissé ses contemporains « .
Voici Saint-Cricq, président d’un organisme chargé d’appliquer la politique douanière du gouvernement. Il garde donc dans ses prérogatives la préparation des lois douanières et leur présentation à la Chambre.
Le 22 mai 1825, il reçoit la plaque de Grand Officier de la Légion d’Honneur et, l’année suivante, le Roi l’appelle à faire partie de son conseil privé en qualité de ministre d’Etat.
Les élections de 1827 ayant dégagé une majorité hostile à Villèle, Saint-Cricq reçoit, en 1828, le portefeuille du commerce et des manufactures dans le ministère Montignac.
Cette désignation vient de sa réputation d’homme plutôt libéral mais acceptant de préconiser des mesures protectionnistes pour se conformer aux majorités successives qu’il a rencontrées à l’Assemblée. En effet, son attitude lors de la discussion de la loi de 1826, évoquée ci-dessus, a bien mis en évidence le fond de son opinion mais il a montré par le passé qu’il savait se rallier à ce qu’il appelle le vœu public.
Il obtient la création, le 20 novembre 1828, d’une commission composée d’hommes éminents et » chargée de faire une enquête sur le système des douanes « .
Jean Clinquart relève que : » Dans le rapport au Roi relatif à cette affaire, Saint-Cricq exprime l’avis qu’on est allé, dans le recours aux mesures de protection, au-delà de ce qui est juste et nécessaire, qu’entre la liberté totale et le protectionnisme outrancier, il existe une troisième voie mieux appropriée à la situation agricole, industrielle et commerciale de la France, telle que l’ont faite les événements accomplis depuis trente années « .
Jean Bordas