Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
Lutte contre la contrefaçon : sur la route de la soie
Qui dit contrefaçon, dit souvent produit « copie » ou « imitation ». Il s’agit la plupart du temps de productions parallèles aux chaînes de fabrication légales, parfois de véritables copies conformes, réalisées en Asie et notamment en Chine.
Pour autant, il serait réducteur et très simplificateur d’associer irrémédiablement la contrefaçon avec le grand pays d’Asie… Étudier l’Histoire permet parfois de relativiser certains lieux communs… Le développement de la sériciculture dans l’Empire du Milieu démontre à quel point la Chine impériale fut aux origines de la protection des secrets de fabrication et du développement des routes internationales du commerce…
La soie, enjeu économique et de puissance pour les Chinois
La soie constitue une production jalousement gardée par la Chine ancestrale. Monnaie d’échange (on paye même ses impôts en soie !), elle distingue le riche du pauvre.
Depuis 2000 ans, les Chinois conservent le secret de la fabrication de la soie et ce secret fut l’un des plus jalousement gardé de l’histoire. Toutes personnes trouvé coupables de possessions d’œufs de vers à soie de contrebande, de cocons ou de graines de mûrier était mis à mort. Les vêtements de soie ont été portés par les Empereurs et est devenu une indication de la richesse. Les gens du commun se voyaient l’interdiction de porter des vêtements de soie. Jusqu’au VIe siècle, Pékin en contrôlait le prix.
Comme le rappelle Ali Laïdi, auteur d’une Histoire mondiale de la guerre économique, la soie suscite les convoitises auprès de la Rome antique, qui découvre le précieux tissu en -53 av. JC, lors de la cuisante défaite de Crassus à Carrhes contre l’empire Parthes. A bout de forces après de nombreux jours de marche sous le soleil dans la plaine désertique, les légions romaines ont une vision aveuglante face à l’éclat des draperies, bannières et étendards soyeux déployés par leurs ennemis, brillants sous le soleil.
Dans son Histoire naturelle, Pline l’Ancien écrit : « Tout à la fois fascinés par l’éclat des couleurs nouvelles de ces tissus de soie aussi légers qu’un nuage et épuisés par ce combat fulgurant, les Romains firent demi-tour. Mais d’autres cavaliers parthes avaient eu le temps de les contourner et ils les transpercèrent de leurs flèches ».
Le renom du tissu de soie gagne tout l’empire Romain. Son secret de fabrication est bien gardé par la Chine impériale, mais suscite toutes les convoitises. De nombreux aventuriers se risquent sur les routes orientales afin d’en percer les secrets, sans succès. Le « pays des Sères » (pays de la Soie) est entouré de mystères.
Conserver un monopole : un art chinois millénaire
La Chine parvient à conserver les secrets de fabrication de la soie pendant plus de 4000 ans. Pleinement conscients du pouvoir commercial généré par leur production, les empereurs chinois en interdisent l’exportation. Les Han empêchent aussi toute transmission d’informations sur les secrets de fabrication. Ceux-ci restent bien conservés et ne se transmettent que par voie orale. D’ailleurs, les premiers écrits sur le process de production apparaissent seulement au XIIIe siècle en Occident.
Toute cette douce mécanique naturelle doit rester jalousement conservée : « depuis le ver du mûrier jusqu’à la technique du tissage, en passant par la température d’élevage des œufs de bombyx et l’alimentation des vers à base des feuilles du mûrier et la méthode pour tuer la chrysalide avant que le papillon ne perce le coton et n’abîme définitivement le fil ».
La soie : monnaie d’échange et objet stratégique
A compter du IIe siècle avant JC, la Chine est menacée par des puissances voisines. Elle monnaie des alliances grâce à la soie.
En acceptant d’ouvrir ses exportations, afin de faire rentrer des devises utiles à l’acquisition d’armes et de chevaux, elle fait naître la célèbre « route de la Soie ». Entre empire Romain et empire du Milieu, la longue route est protégée par les seigneurs affidés aux Han. De nouveaux intermédiaires essayent de tirer profit de leur situation le long de cette voie.
Après que le roi du Khotan (région du Xinjiang) se soit emparé des secrets de fabrication de la Soie par ruse au Ve siècle, les Parthes (empire situé dans l’actuel Iran), les turcs puis les Byzantins essaient de mettre la main sur les secrets de la Soie, plutôt que de devoir s’acquitter de lourds tributs pour l’acquérir (jusqu’à 1kg de tissu de soie contre 1kg d’or !)
Justinien le Grand : à la conquête des secrets de la Soie…
Au VIe siècle, Justinien le Grand veut faire de la Soie l’axe stratégique de développement de l’Empire romain d’Orient. La Perse se dresse contre ces visées, mais l’empereur fait alliance avec les Turcs du souverain Dizaboul.
Malgré cette alliance, la ville douanière de Nisibis (actuelle Nusyabin à la frontière turco-syrienne) demeure le seul point d’accès de la soie chinoise. Mais c’est finalement avec l’aide de moines nestoriens, prêchant le christianisme dans l’empire du Milieu, que Justinien parvient à percer les secrets de fabrication de la matière soyeuse.
A la suite des Byzantins, d’autres royaumes parviennent à disposer des méthodes de fabrication de la soie. Pour autant, il faut attendre le XVIIIe siècle pour que des productions concurrentes atteignent le même degré de raffinement qualitatif.
L’origine de cette maîtrise de la fabrication de la soie en Chine impériale démontre que cet Empire fonde son pouvoir économique et politique sur la défense de ses secrets de fabrication.
Précurseur avant l’heure de la « propriété intellectuelle », il en mesure avec l’ouverture de la route de la Soie les implications dès lors qu’il s’agit de défendre ce droit en milieu économique ouvert.
Arnaud Picard