Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
L’uniforme des agents des bureaux
Si l’uniforme des agents des brigades est parfois méconnu, c’est peu de dire que celui des agents des bureaux est tombé dans l’oubli. L’étude d’Ernest Fort, que les Annales des Douanes avaient reproduite entre 1940 et 1941, se montre elle-même fort peu disserte sur la question. A peine apprend-t-on que l’uniforme prévu pour les agents du service actif (c’est à dire des brigades) par l’arrêté du 25 pluviôse An VIII (14 février 1800) est étendu à ceux du service sédentaire par un arrêté du 7 frimaire An X (28 novembre 1802). Si le port de l’uniforme se perpétue pour les agents du cadre supérieur, il disparaît par contre pour les agents subalternes des Bureaux lors de la Monarchie de Juillet.
Pourtant, la question de l’uniforme des agents du service sédentaire ne meurt pas avec l’Empire. C’est la III° République naissante qui donnera à ces agents une tenue, puis l’abandonnera, avant que l’Etat français de Pétain ne s’y intéresse. La question présente un intérêt uniformologique certain. Mais elle dépasse cette seule problématique : elle symbolise la place donnée à la « Douane des bureaux par l’Administration », elle cristallise les rapports de ces agents avec ceux des brigades.
C’est une lettre commune du 5 juin 1884 (LC n°730) du Directeur Général Ambaud qui réintroduit le port d’un élément d’uniforme pour les agents du service sédentaire. La décision de l’Administration se veut d’ailleurs uniquement basée sur un souci d’efficacité des services : la mesure, imposée par le Ministre lui-même, est motivée par « des plaintes basées sur des confusions regrettables ». C’est donc pour être reconnaissables que les agents des bureaux devront se plier à l’exigence du port de la tenue. Encore que cette exigence se trouve doublement limitée.
L’uniforme est d’abord limité au port d’une casquette. Celle-ci reprend la forme des casquettes de la marine. La coiffe est en drap « vert Douanes », tandis que le bandeau est de couleur bleu céleste. La coiffure est dotée d’une jugulaire en cuir bouilli, maintenue par deux boutons argent marqués « DOUANES ». Une cocarde aux couleurs nationales est placée sur le devant de la casquette. Les grades sont indiqués par des galons en trait, dont la couleur et le nombre matérialisent le grade de l’agent (1). Le port de la casquette est ensuite limité aux tâches nécessitant un contact avec le public : gares de chemin de fer, salles de visite des voyageurs, magasins de visite des marchandises.
Après expérimentation, cette mesure se révèle satisfaisante, si bien que l’Administration décide de l’étendre. Un lettre commune du 10 mars 1890 (LC n°966) prévoit en effet le port d’un uniforme complet par les agents du service sédentaire, expérimenté lors de l’exposition universelle de 1889. Tout en rappelant les motifs qui avaient poussé au port de la casquette, la lettre commune développe également des arguments intemporels : il s’agit d’assurer la « célérité des opérations » en permettant aux voyageurs « de se mettre, sans hésitation ni perte de temps, en contact avec les employés ». L’uniforme des agents se révèle assez semblable à celui des agents des brigades. Le pantalon est similaire à celui des officiers (bleu céleste avec bande garance) et la tunique jaquette s’inspire du veston porté depuis 1874. De couleur vert foncé, elle est boutonnée par deux rangées de 5 boutons (comportant le cor et la grenade comme les officiers : LC 837 du 2 juin 1886). Le col est rabattu, chaque collet comportant une grenade inscrite dans un cor de chasse en cannetille argent. Les grades sont indiqués aux manches par un galon fond soie noire broché filé d’argent fin, comportant une dent ronde (galon dit « dent de loup ») et un nombre variable de baguettes (2). La casquette subit peu de modifications : la cocarde est supprimée, et le galon s’agrémente d’une « dent de loup ». Une pèlerine verte, semblable à celle des brigades, complète le vestiaire. Mais, dans un souci d’économie, la tenue reste facultative : seul le port de la casquette est expressément prescrit.
La tenue ainsi créée restera lettre morte, jusqu’à ce qu’une lettre commune du 30 novembre 1899 (LC n°1009) en rende son port obligatoire pour les vérificateurs et les inspecteurs sédentaires lors des opérations de visite en songeant d’ailleurs … à la prochaine exposition universelle ! Il faut d’ailleurs noter que l’Administration, si elle rappelle le gain de temps induit par le port de la tenue, justifie sa position par « la défense qu’impose l’uniforme ».
La question du port de la tenue semble ensuite s’estomper, la tenue tombant en désuétude (alors qu’obligatoire). La presse corporative s’en fait néanmoins l’écho lors des questions de ses abonnés. Certains expriment ainsi le souhait d’une évolution, au gré des modifications apportées aux tenues du service actif, notamment d’un remplacement de la casquette par le képi (Annales des Douanes 1904, question n°22). Les quasi-officielles Annales des Douanes témoignent néanmoins d’une volonté de statu quo, allant même jusqu’à affirmer que « la question du port de l’uniforme est une de celles qui, à l’heure actuelle, préoccupent le moins les personnels sédentaires » (Annales des Douanes 1910, question n°327). On observe néanmoins un certain nombre de questions de receveurs, tendant à obtenir le port de la casquette.
La volonté des personnels des bureaux semble donc réelle de s’identifier tant, peut-on le penser, auprès des usagers que des personnels du service actif. L’Administration y apporte d’ailleurs systématiquement des réponses favorables (Annales des Douanes 1913, question n°88 ; Annales des Douanes 1925, question 12) jugeant que « tous les agents ayant des rapports obligatoires avec le public ont intérêt à adopter pour coiffure la casquette réglementaire » (Annales des Douanes 1913, question n°25).
Malgré tout, le port de la casquette, jugée parfois comme peu esthétique, ne fait pas l’unanimité. Un courrier signé d’un « groupe de vérificateurs des frontières de terre » au Directeur général en date du 28 mars 1929 relève malicieusement « qu’on ne compte plus » les rappels adressés aux vérificateurs, et que le dernier « n’aura pas plus d’effet que les précédents ». Ils en déduisent d’ailleurs que, « pour être aussi tenace, cette mauvaise volonté doit être fondée sur un motif sérieux ». La faute en revient selon eux à la « casquette verdâtre, barrée de galons d’argent terni » (3). Couleur du personnel hôtelier en Europe, la couleur verte engendre pour eux des confusions qui ne sont pas sans nuire à l’image des Douanes. Ainsi relèvent-ils que certains voyageurs « interpellent les vérificateurs pour l’enlèvement de leurs bagages quand ils ne leur mettent pas dans la main ». Les agents réclament ainsi le passage au bleu, relevant d’ailleurs – non sans raison – que le vert est totalement absent de la tenue des brigades depuis 1903.
Leur demande restera lettre morte, et l’Administration ne mettra visiblement pas d’entrain à réformer une tenue qui tombe en désuétude.
De manière surprenante en période de pénurie, c’est en 1942 que la question d’un uniforme resurgit. Il faut d’ailleurs noter que les motifs invoqués diffèrent des précédents. Après avoir constaté l’échec des règlements antérieurs (y compris de l’arrêté du 7 frimaire An X!), la circulaire du 25 mars 1942 (n°911) invoque la nécessité de « renforcer l’autorité des agents ». Contrairement à l’uniforme adopté en 1890, celui de 1942 se veut calqué sur l’uniforme des officiers du service actif. C’est ainsi qu’il comprend une vareuse à col ouvert fermant par 4 à 6 boutons (selon la taille de l’agent), un pantalon bleu céleste à bande garance et un manteau similaire à celui alors en dotation dans l’armée (fermant par 6 boutons, au col en pointe). La casquette est abandonnée au profit du képi, identique à celui du service actif. Seuls les attributs portés par les agents du service sédentaire les distinguent en fait de leurs collègues. Ceux-ci sont de couleur or, et non pas argent. Les pattes de col comportent en outre une grenade inscrite dans un cor de chasse en cannetille or sur fond garance. La tenue s’accompagne d’un ceinturon havane sans baudrier et de gants de même teinte.
Mais, là encore, la mesure ainsi prise est limitée – sans doute pour des raisons de pénurie – en ce que seuls certains agents sont astreints au port de cette tenue. Encore une fois, c’est avant tout le contact du public qui prime puisque sont visés « les agents que leurs fonctions appellent à être en relations directes et constantes avec les redevables, et plus spécialement ceux qui sont ordinairement chargés de la visite des voyageurs dans les gares, dans les trains, dans les ports, dans les aérodromes et dans les bureaux de route de grand tourisme ». Une seconde distinction est opérée selon le grade puisque la circulaire vise les vérificateurs principaux et vérificateurs, ainsi que les receveurs de 1ère et 2ème catégorie, contrôleurs principaux, contrôleurs de 1ère classe et hors classe participant à la visite. Précisons pour finir que les agents de la zone occupée sont dispensés provisoirement de l’obligation. L’Administration sera amenée à préciser rapidement que le port de la tenue ne concerne que les agents au contact du public : c’est ainsi qu’elle en exclut les agents rédacteurs (contrôleurs-rédacteurs en chef, contrôleurs-rédacteurs principaux et contrôleurs rédacteurs) et des agents détachés au Service Général de contrôle Economique (Décision n°3293, 3/3, du 31 juillet 1942). Il faut dire que l’intérêt de l’Administration n’est pas mince : les agents astreints au port de l’uniforme sont dotés d’une indemnité de première mise puis d’entretien.
Cette tenue survivra à l’Etat français et suivra alors l’évolution de l’uniforme des agents des brigades. Les agents sont autorisés à se doter de tenues beiges en toile, mais à leur frais (Décision 1.400, 3/3 du 20 avril 1943). Les restrictions en matière de drap amèneront également l’Administration à fournir du drap kaki (Décision 2.209, 3/3, du 25 juin 1943). C’est d’ailleurs en tenues kaki que les agents du service sédentaire se rendront en Sarre pour procéder à l’occupation douanière du territoire. Le pantalon bleu céleste à bande garance semble avoir été abandonné, assez vite, pour un pantalon du même coloris que la vareuse. De manière générale, la mise en place du vestiaire semble poser de nombreux problèmes à l’Administration. Si la généralisation de l’uniforme est évoquée pour l’année 1946, une note du 1er février constate que les restrictions budgétaires et l’état du marché ne permettent pas de procéder à cette extension. Dès lors, la Direction générale est contrainte de revenir aux critères précédemment fixés, à savoir « les relations directes et constantes avec les redevables ». Elle n’oublie toutefois pas l’idée d’extension « pour des considérations d’équité et aussi de prestige ». Après avoir été abandonnée (4), l’idée est à nouveau reprise par une note n°9331 du 26 décembre 1946, sans pouvoir être mise à exécution si l’on en croit la note n°384 du 27 janvier 1948. Celle-ci constate en effet que de trop nombreux agents sont contraints d’effectuer leur service en civil et, arguant d’un marché du textile rétabli, fixe au 1er avril la date à laquelle tous les agents devront être pourvus d’un uniforme. Peine perdue semble-t-il puisqu’une note n°1394 du 9 mars 1948, faisant état de « laborieuses discussions » avec les fournisseurs, décide de reporter cette date au 1er mai… La note en profite d’ailleurs pour faire évoluer la tenue, en substituant au pantalon bleu céleste à bande garance un pantalon bleu de la même teinte que la vareuse.
Finalement, il semble que l’uniforme des agents des bureaux n’ait jamais vraiment réussi à s’imposer. Le coût de la tenue en est certainement la cause principale. Les réticences de certains agents ne doivent néanmoins pas être mises de côté (5). En 1972, seuls 84 agents portent encore l’uniforme, dont la moitié de receveurs ! Devant ce constat, une note de 1972 semble sonner le glas de l’uniforme (6). Elle relève en effets « qu’à quelques exceptions près, [les agents des bureaux] ne sont plus astreints à la visite des voyageurs ni au port permanent de l’uniforme ». Si la décision n’est pas clairement exprimée, il est probable que l’uniforme des agents des bureaux connaisse ses derniers instants.
Pour compléter cette étude, il nous semble nécessaire de nous attarder sur les problèmes soulevés par le port de l’uniforme par les agents des Bureaux. On l’a vu, les différentes mesures prises témoignent, chacune à leur façon, du rôle que l’Administration prête à la tenue. La célérité du service prévaut au XIX° siècle, alors que les années de guerre s’appuient avant tout sur l’autorité conférée par la tenue. Mais elles témoignent également de la cohabitation de ces deux services qui présentent au XIX° siècles de très grandes disparités. Le port d’un uniforme par les deux branches se fait ainsi le révélateur de certaines inégalités ou rivalités. Dans l’ensemble mieux payés, les agents sédentaires arborent des insignes de grade qui leur donnent souvent rang d’officier, a minima de sous officiers supérieurs. En 1960, un agent de constatation des bureaux est galonné comme un adjudant-chef. Aussi n’est-il pas impossible de voir dans certaines questions posées dans la presse corporative le reflet, si ce n’est d’une certaine animosité (7), en tout cas d’une certaine méfiance de la part des agents des brigades. On trouve en effet quelques questions concernant le salut par les agents des brigades des personnels en tenue des bureaux (Annales des Douanes 1906, question n°362 ; Annales des Douanes 1909, question n°309). L’Administration est même amenée à préciser que « les agents des deux services doivent évidemment s’attacher à prévenir toute cause de conflit dans l’exercice de leurs attributions respectives. Les préposés ont à observer une attitude déférente vis-à-vis de l’employé du service sédentaire sous les ordres duquel ils peuvent se trouver momentanément placés » (Annales des Douanes 1908, question n°282). Il faut d’ailleurs constater que le port de la tenue ne fait pas l’unanimité : elle engendre des frais pour les agents et certains s’interrogent sur « comment un agent en uniforme de lieutenant, tenant un rôle de caissier, pouvait rehausser le prestige de l’Administration » (8).
Certaines modifications seront apportées en vue de répondre à ces arguments. Dans un rapport du 13 juillet 1961, une note pour le Comité technique paritaire central montre que l’Administration a connaissance des aléas que sucite la tenue des bureaux. Le caractère militaire de la tenue, y écrit-on, « est parfois la source de certaines difficultés avec les usagers (en particulier les militaires), et aussi avec les agents du service des brigades ». On y relève aussi que certaines tâches accomplies sont « peu prestigieuses pour un agent doté de galons d’officier et parfois d’officier supérieur ». Néanmoins, le principe du port de l’uniforme n’y est pas remis en cause, l’autorité ainsi conférée aux agents semblant toujours l’emporter. C’est une solution médiane qui est envisagée, à savoir la création d’un uniforme spécifique. La note envisage ainsi un uniforme bleu similaire à celui des officiers de marine. Le projet se veut d’ailleurs un retour aux sources, puisqu’il évoque le port d’une casquette comportant la grenade inscrite dans un cor de chasse ainsi que des épaulettes composées de broderies de feuilles de chênes et de lauriers, signe distinctif lors de l’adoption de la tenue en l’An X. Quand aux grades, ils seraient constitués d’un nombre variable d’étoiles à 8 branches. La solution rappelle la Belgique, d’autant que la note prévoit la distinction du corps en fonction de la couleur des attributs : or pour les agents de catégorie A, argent pour les agents des catégories B et C. Ce projet ne connaîtra jamais de suites. Moins important mais concrétisé sera par contre l’établissement d’une égalité des insignes de grades, après 1963, à même de mettre un terme à certains conflits entre agents des bureaux et agents des brigades.
Comment finir cette étude sans citer ce délicieux article paru dans le Bulletin des Anciens élèves de l’END en 1963 ? Abordant l’hypothétique évolution de l’uniforme, le rédacteur de cet article en vante d’abord les mérites. Après avoir loué les « cérémonies de type militaire » que chacun apprécie « à sa juste valeur », il évoque « les passants de la rue de Rivoli » qui, à la vue des rédacteurs, « iront peut-être jusqu’à s’imaginer un congrès de chefs de gare ou un symposium d’agents de la voierie municipale, à moins qu’ils ne pensent à une répétition du grand orchestre de l’Armée du Salut ». Reste alors le choix de la tenue. C’est alors le « modèle complet type orphelinat (veste croisée à boutons dorés, culotte courte et bas noirs) » qui retient les suffrages, agrémenté par un « feutre à bords roulés ou [un] chapeau tyrolien », le choix se révélant « une très délicate question de goût personnel et de morphologie crânienne ». Derrière les traits d’esprit, il nous semble cependant que cet article illustre parfaitement la fin de l’uniforme des agents des bureaux : perçu comme une charge, trouvé parfois inesthétique, il est conçu par certains des nouveaux cadres comme le reflet d’une militarisation (9) – éphémère et controversée– qui a vécu, et qui ne trouve alors plus d’écho que dans les brigades.
Voici la retranscription intégrale de cet article :
« Divers bruits nous sont parvenus, répercutés par des échos variés, concernant un projet de création d’un nouvel uniforme pour les agents des bureaux. Nous imaginons volontiers les difficultés que présente la mise au point pratique de cette tenue.
Etant les principaux intéressés par cette réforme, nous voudrions apporter quelques suggestions qui permettront peut-être de la mener à bien.
Certains esprits mal intentionnés semblent ne pas percevoir l’intérêt qu’il peut y avoir à doter les inspecteurs des Douanes d’un uniforme quelconque ; ils font valoir que la militarisation du corps des douanes, imposée pour des raisons historiques, a depuis longtemps perdu toute signification ; que d’autre part, puisqu’en d’autres domaines la politique de l’Administration semble être l’alignement sur « ce qui se fait à la D.G.I. », on pourrait avantageusement pratiquer cet alignement dans ce domaine particulier.
Il est bien évident, pour nous, que l’uniforme ne peut présenter que des avantages :
A l’E.N.D., il nous paraît s’imposer pour deux raisons essentielles :
Tout d’abord son port est d’une urgente nécessité pour les inspecteurs élèves qui semblent quelque peu perdus au milieu de la masse des auditeurs dont il peut être utile de les différencier au premier coup d’œil de même que l’on identifie rapidement les chefs de station du métro noyés dans la foule aux heures d’affluence.
D’autre part, pour obtenir une homogénéité plus grande des sessions, il paraît opportun d’obliger les inspecteurs-élèves qui n’ont pas été recrutés en qualité de brigadiers-chefs à s’habiller comme la majorité de leurs camarades.
Cette uniformisation aura pour conséquences non négligeable de permettre l’organisation de petites cérémonies de type militaire que tous, nous en sommes convaincus, apprécient à leur juste valeur.
Une fois sortis de l’école, les inspecteurs sont « au service de l’économie » ; il est bon, croyons-nous, que l’homme de la rue puisse les reconnaître facilement comme tels, au même titre que les employés du Gaz de France, les contrôleurs du métro et les autres auxiliaires non moins utiles de cette économie nationale. L’uniforme ne peut que rehausser le prestige de notre collection : il est facile d’imaginer de quel œil admiratif les passants de la rue de Rivoli verront affluer aux heures d’ouverture des bureaux les rédacteurs de la D.G., et quelles réflexions flatteuses l’apparence martiale de ceux-ci ne manquera pas de susciter dans l’esprit des badauds ; ceux-ci iront peut-être jusqu’à imaginer un congrès de chefs de gare ou un symposium d’agents de la voirie municipale, à moins qu’ils ne pensent à une répétition du grand orchestre de l’Armée du salut.
Dans le domaine de la collaboration avec les autres administrations, le port de l’uniforme permettra aux inspecteurs en poste dans les gares ou les aéroports d’apporter un concours efficace, soit qu’ils renseignent les voyageurs sur les heures de départ, soit qu’ils portent leurs bagages ; il conviendra dans ce dernier cas de régler la question des pourboires reçus, qui pourraient être assimilés aux rémunérations pour travail extra-légal.
La nécessité de l’uniforme est donc démontrée ; mais quelle tenue retenir ? Différentes options se présentent, entre lesquelles il est urgent de choisir.
I – Couleur de l’uniforme
– La couleur verte serait d’un effet psychologique désastreux, il nous semble inutile de démontrer les motifs qui nous la font rejeter, de même que le mouchetage de type « léopard » (qui aurait pu cependant être retenu pour les enquêteurs du SNED).
– Le blanc assez séduisant de prime abord, eu égard à la vocation méridionale de beaucoup, semble difficile à retenir pour des raisons essentiellement budgétaires : le choix d’une telle couleur entraînerait en effet soit le versement d’une indemnité de blanchissage soit une allocation de produits détersifs, ce à quoi la division A pourrait ne pas être favorable. Si cependant cette solution était retenue, il importerait que les parties les plus salissantes de l’uniforme (coudes, fond de pantalon) fussent doublées de noir.
– Si l’on écarte les formules bigarrées, du type habit d’arlequin ou tenue de Général Sud-Américain, il semble que l’on n’ait plus le choix qu’entre des couleurs sombres analogues à celles qui ont été retenues pour les préposés des P et T, les agents de la circulation, les employés des pompes funèbres ou les huissiers du Ministère des Finances.
II – Coupe de l’uniforme
Si la cotte à bretelles (appelée aussi bleu de chauffe), même de bonne coupe, semble difficile à imposer au service, de même la jaquette avec ou sans gibus est à écarter. Il serait en effet inopportun de donner une coloration politique, quelle qu’elle soit, à cette modification de l’uniforme.
Il nous est difficile de proposer une solution dans laquelle seraient harmonieusement fondus ces deux impératifs qui nous semblent inconciliables : le port d’un uniforme qui n’ait pas de caractère militaire. Un rapide sondage parmi nos adhérents a permis de dégager une importante majorité en faveur d’une tenue du type « Costume de ville », mais des divergences importantes sont apparues dans l’interprétation donnée à ce terme, certains préférant le complet croisé avec gilet, d’autres le costume droit, tous insistant cependant sur la nécessité de laisser chacun libre de la matière, de la couleur et de la coupe de l’uniforme. Cette exigence nous paraissant incompatible avec l’étymologie nous estimons qu’il serait possible de rapprocher sensiblement les points de vue opposés en retenant un modèle de complet type « orphelinat » (veste croisée à boutons dorés, culotte courte et bas noirs).
III – Attributs
Nous rangeons sous cette rubrique les divers signes distinctifs, ornements, galons, pendentifs, breloques, amulettes, cors de chasse avec ou sans grenades et autres gris-gris
La position prise par notre association sur un problème plus sérieux nous conduit à écarter résolument tout ce qui pourrait ressembler à un signe distinctif de caractère militaire tel que galon, sardine, chevron ou barrette.
Il semble que l’on puisse s’orienter vers une formule plus souple de type de celle qui avait été retenue pour les mandarins que l’on distinguait à la matière du bouton qui ornait leur couvre-chef. Ce qui permettrait d’établir une hiérarchie ainsi constituée :
-
- mandarin à bouton de diamant : Directeur général
- mandarin à bouton de jade : Administrateur civil
- mandarin à bouton de corail : Directeur régional
etc pour en arriver aux mandarins à bouton de verre à vitre au bas de la hiérarchie.
La grave question des ornements (de coiffure, de col etc…) n’a pas, à notre connaissance, été définitivement réglée. Si le principe de la feuille dorée a été retenu, des questions d’ordre botanique restent en suspens. Il nous paraît important qu’apparaisse sur l’uniforme au moins une feuille de vigne bien placée, qui aurait pour vocation de rappeler la vocation œnophile de la douane. Pour le reste il sera facile de choisir entre les divers légumes celui qui paraîtra le plus adéquat ; il semble toutefois qu’il faille éviter la feuille de chêne qui, tout bien considéré, pourrait nous donner l’air un peu gland ; en revanche quelques feuilles de nénuphar pourraient constituer un élément décoratif agréable à l’œil.
IV – C’est, croyons-nous, dans le domaine de la coiffure qu’il sera le plus difficile d’éviter l’obstacle majeur de la militarisation. Si l’on écarte en effet les couvre-chefs qui furent dans le passé ou qui demeurent réservés aux militaires, tels que les bicornes, bonnets à poil, képis, bourguignottes, casques à pointe, calots, chéchias, casquettes rigides, casoars ou salades, il ne reste à choisir qu’entre les rares modèles de type civil ; une fois éliminées les coiffures incommodes, démodées ou de caractère sportif on ne peut plus retenir que le feutre à bords roulés ou le chapeau tyrolien. C’est là une très délicate question de goût personnel et de morphologie crânienne, et nous ne nous sentons pas qualifiés pour trancher.
Espérant que ces quelques remarques permettront une décision qui satisfasse l’ensemble des personnels intéressés nous maintenons cette rubrique ouverte à tous ceux qui voudraient nous faire part de leur opinion.«
Xavier RAUCH
Article paru dans les Cahiers d’Histoire des Douanes n°51 d 1er semestre 2013.
Notes :
1 – Voir planche 1
2 – Voir planche 2
3 – « Prestige douanier », Le Matin, 4 février 1929. L’article est gracieusement joint au Directeur général par les agents.
4 – Note DN n°8430 du 25 novembre 1946 qui prie « Messieurs les Directeurs […] de ne plus adresser, jusqu’à nouvel ordre, de demandes de bons d’achat ».
5 – On consultera avec intérêt l’ouvrage de recueils biographiques De la penthière aux nouvelles frontières, éd. AHAD, p217.
6 – Note n°3279 du 20 juin 1972.
7 – Animosité réelle dans les propos du Capitaine Roux qui, à la fin du XIX° siècle, plaidait pour un « dégraissage » massif des services sédentaires. V. J. Clinquart, L’administration des douanes en France sous la Troisième République. 1è partie : 1871-1914, ed. AHAD, 1986,et plus spécialement les pages 238 et suivantes.
8 – De la penthière aux nouvelles frontières, op. cit.
9 – Il faut souligner que l’Administration avait imposé aux agents des bureaux en tenue le salut des officiers, tout comme ils pouvaient l’exiger des militaires moins gradés. Annales des Douanes 1942, n°43, 29 octobre 1942.