Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
L’hôtel des douanes de Dunkerque
L’hôtel des douanes de Dunkerque
L’Administration des Douanes en procédant à la réfection en 1990 de la façade de l’immeuble abritant l’une de ses Directions Régionales, au n° 2 de la rue de Paris à DUNKERQUE, a par la même occasion apporté sa contribution à la conservation du patrimoine de la cité et à l’embellissement de la Basse Ville.
L’oeil du passant, séduit par les couleurs de la façade, découvre une imposante construction de style Louis XVI. Celle ci se démarque nettement des constructions environnantes, avec ses 32 fenêtres disposées sur deux niveaux, ses 7 ouvertures en chien assis éclairant un vaste grenier, son toit de tuiles sombres.
Sa façade, soulignée à chaque niveau par des moulures horizontales est dotée d’un porte cochère coiffée de clés en bossage moulure et, qui, autrefois, servait de passage au chevaux et chargements.
Côté cour, la propriété n’en est pas moins remarquable, avec son long mur d’enceinte, ses parterres de fleurs et de gazon et son jardin discret. Chaque année, la cérémonie commémorant le 11 Novembre rassemble les agents autour du monument qui, dans la cour fût érigé en 1950, à la mémoire des douaniers tués ou disparus durant les deux guerres mondiales.
Mais que fait l’Hôtel des Douanes en Basse-Ville ? Pourquoi n’est-il pas, comme à BORDEAUX, NANTES ou MARSEILLE à proximité des installations portuaires ?
L’Histoire de la ville nous apporte la réponse.
DUNKERQUE : À L’INSTAR DE L’ÉTRANGER EFFECTIF
Devenu français en 1662, le port de DUNKERQUE fut l’objet de toute la sollicitude de LOUIS XIV. Il fallait affirmer la présence française en Mer du Nord. Aussi Louis XIV confirma-t-il la franchise dont DUNKERQUE bénéficiait depuis 1170. DUNKERQUE, assimilé a l’étranger effectif se situe donc en dehors du territoire douanier national. Tout ce qui vient du Royaume et pénètre dans l’enceinte de la ville et du port est réputé sortir du territoire et paye les droits de sortie ; tout ce qui sort de l’enceinte pour pénétrer dans l’intérieur paye les droits dû à l’entrée.
La franchise de la Basse-Ville est éphémère. Accordée en 1691, elle est supprimée en 1716. Cette modification de l’étendue de la zone franche entraînait en même temps un redéploiement du cordon douanier. Il s’agissait a chaque fois d’assurer la garde permanente des issues : brêches constituées par les canaux qui convergeaient vers la Ville, portes de l’enceinte fortifiée construite par VAUBAN.
La Basse Ville ayant perdu la franchise, la Ferme s’établit donc aux portes de la ville haute, côté terre, et particulièrement en Basse-Ville. Les droits de douane sont perçus au bureau situé à l’angle des rues St Bernard (1) et du Cimetiere (2), non loin de la porte Royale, entrée principale de la Ville-Haute.
En 1727 deux magasins sont construits en Basse-Ville pour y recevoir les produits coloniaux dont le commerce fera la prospérité de DUNKERQUE, et les marchandises destinées à être exportées du Royaume de France.
Le rétablissement du commerce de l’Amérique par l’ancien port en 1735, nécessite la construction dans cette même Basse-Ville, d’autres entrepôts pour y loger les denrées coloniales.
Ainsi, au début des années 1780, DUNKERQUE tourne le dos à la Flandre. Les échanges avec le Royaume de FRANCE sont peu développés. Cependant la Basse Ville est devenue une zone de transit et de stockage de marchandises sous douane. La fraude et le manque à gagner que génère la franchise préoccupent la Ferme Générale, qui ne cesse d’attaquer ce régime. La contrebande par les canaux qui délimitent la zone franche est particulièrement active.
L’accroissement de l’activité douanière de la Basse-Ville nécessitait pour la Ferme un personnel accru et des installations plus importantes que celles de la rue du Cimetiere : il convenait de rechercher des solutions permettant d’agrandir les immeubles qui abritaient les bureaux de la Ferme.
Un premier projet est dressé par Pierre Grégoire LAMYCK le 20 septembre 1781. Il prévoit l’utilisation de terrains dont la majeure partie est constituée par le jardin « le Blommendaelle » et les constructions appartenant à Taverne de MONTD’HIVER, ancien bourgmestre de la ville, ancien conseiller de la Chambre de Commerce, subdélégué de l’intendant.
D’autres projets initiés par les propriétaires des terrains contigus au bureau de douane virent le jour en 1782 et 1783, proposés par MM. de BONTE, COPPENS, négociant, seigneur d’HONDSCHOOTE et Taverne de MONTD’HIVER.
LES LIMITES OBSCURES DE L’INTÉRÊT GÉNÉRAL ET DE LA SPÉCULATION IMMOBILIÈRE
L’offre de ce dernier suscita une véritable polémique dont les registres des délibérations de la Chambre de Commerce ont conservé trace. M. de CALOONE, intendant de la province et le Ministre des Finances sont saisis. L’affaire de la nouvelle douane provoque des remous.
La Chambre et les Officiers municipaux de la ville font cause commune. M. de MONTD’HIVER est taxé de spéculateur à tel point que les officiers municipaux refusent en juillet 1783 de lui reconnaître la qualité de bourgmestre honoraire.
La lettre, ci-après reproduite, que les deux corps adressent à leur député le 2 mars 1783, place le débat sur le plan de l’intéret général et permet de comprendre les raisons qui ont présidé au choix de l’emplacement de la nouvelle douane » : « Nous avons appris que M. de MONTD’HIVER avait sollicité à PARIS la permission de construire une nouvelle douane dans un endroit peu convenable à l’objet, mais qui lui appartient et dont il cherche à tirer parti. Elle se trouverait dans le fond d’une rue de la Basse-Ville fort écartée du chemin et serait d’un accès long et difficile. Les négociants obligés d’y aller souvent pour des expéditions, perdraient un temps précieux en courses inutiles : les voituriers en souffriraient infiniment et il en résulterait des torts et préjudices pour le commerce et beaucoup d’inconvénients, pour le public, en général. L’Administration municipale souffrirait aussi particulièrement en ce qu’elle serait chargée vraisemblablement d’une dépense de plus de 30.000 L. en pavés à faire dans les rues de la Basse-Ville où il n’y en a pas à présent et qui conduisent à l’emplacement indiqué pour cette douane. Toutes ces considérations nous ont déterminé, Mgr, de réclamer contre ce projet et d’adresser nos représentations au Ministère des finances. Nous vous prions de nous accorder aussi vos bons offices pour empêcher qu’il soit exécuté…».
Un plan daté de 1783 nous indique très précisément l’emplacement de la douane rue du Cimetière, l’extension proposée par Taverne de MONTD’HIVER et enfin les « emplacements les plus convenables » pour la construction d’une douane tant pour l’avantage de la Ferme que pour celui du commerce.
Dans la lettre du 22 mai 1783, qu’ils adressent à M. DE PLANCY, receveur du bureau de la rue du cimetière, les fermiers Généraux donnent leur accord de principe aux propositions faites par la Chambre de Commerce en ce qui concerne l’expression des besoins en locaux et le mode d’occupation :
« Nous avons reçu, M., avec votre lettre du 14 de ce mois, le résultat des délibérations de la Chambre de commerce de DUNKERQUE au sujet de la Maison qu’on propose de faire construire dans la Basse-Ville, pour y servir de Douane. Le projet parait présenter des logements pour le Receveur, le contrôleur et l’employé chargé de la suite des entrepôts, ainsi que l’emplacement nécessaire pour les bureaux, magasins et cour. Si le projet dont vous nous faites part réunit, comme vous l’annoncez, toutes les commodités qui conviennent à la célérité des opérations du commerce, de même qu’à l’exactitude due au service de la régie des fermes, nous adoptons la proposition de MM les Officiers de la Chambre du commerce.
Nous vous prions de faire part de nos dispositionsà MM les Officiers de la Chambre du commerce, en les assurant que nous verrons avec plaisir l’exécution de leurs projets relativement à la Douane et aux magasins d’entrepôt qu’ils se proposent de faire bâtir par la suite sur le même emplacement » .
Taverne de MONTD’HIVER fait preuve d’une extrême ténacité. Une correspondance adressée le 2 Octobre 1783 par M. Hardy de MERVILLE, député Conseiller pensionnaire de la Chambre de commerce est à cet égard éloquente. « Il est certain écrit-il que MONTD’HIVER aura le terrain du bureau des minuties un de ces jours ».
Effectivement, le Conseil du Roi, décide, le 14 août 1784, d’accepter les offres faites par Taverne de MONTD’HIVER, « bornant les édifices à faire aux logements du receveur, du contrôleur et du portier et aux établissements nécessaires pour les opérations de tous ces messieurs en leurs différentes fonctions » .
Taverne de MONTD’HIVER, très affecté par les attaques des Dunkerquois , a-t-il voulu démontrer qu’il était malgré tout le défenseur de leurs intérêts ? A-t-il obéi à des aspirations purement lucratives ?
Toujours est-il que la nouvelle douane située à l’emplacement voulu par les négociants dunkerquois sera construite par lui. (4). Un bail est passé le 27 septembre 1784 entre Taverne de MONTD’HIVER et DELASSERRE, Directeur des Fermes du Roi à LILLE.
Les travaux de construction seront achevés en 1785.
Un mémoire rédigé par la Chambre de Commerce de DUNKERQUE en octobre 1785 évoque la « nouvelle douane spacieuse et commode que le Sr DEMONTD’HIVER vient de faire construire » , ce document nous apprend que deux entrepôts et un magasin y sont joints et que la Basse-Ville compte alors quatre autres entrepôts, propriétés de la dame Veuve TACQUET, des Srs THIERY, STIVAL et MARCHAND.
LA FERME DEVIENT DIRECTION DES DOUANES
En 1795, la suppression de la franchise entraîne le « reculement des barrières », le redéploiement du dispositif vers les quais. La position du bâtiment construit en 1785 ne répond pas aux exigences de la surveillance et de la prise en charge du trafic portuaire. L’Administration des Douanes ne peut se résigner à abandonner un si bel outil.
Les almanachs de la ville de DUNKERQUE, conservés aux Archives Municipales, nous donnent quelques précisions quant aux affectations reçues par l’Immeuble de la rue du Pont Rouge.
1792 : La Douane Nationale, sise en Basse-Ville, pour la perception des droits, est ouverte depuis neuf heures du matin jusqu’à midi, et l’après-midi, de deux heures jusqu’à cinq.
1804 : La Douane Nationale se trouve Marché aux Volailles, le directeur (LAMAR) à la Manutention. Le Bâtiment construit par MONTD’HIVER est maintenant désigné sous le vocable d »ancienne douane« . Il est occupé par le Receveur Principal (QUERANGAL).
1807 : QUERANGAL est toujours en Basse-Ville. « L’ancienne douane » est devenue « La Grande doua-
ne de la Basse Ville » .
1812 : Le bâtiment construit en 1785 abrite M. DUVERGER, directeur. A noter que la dénomination varie en fonction de l’imprimeur. L’Almanach imprimé chez DROUILLARD porte la mention « Grande Douane à la Basse-Ville » , celui imprimé chez LORENZO porte la mention « ancienne douane de la Basse-Ville » .
C’est donc, semble-til, à la fin du ler Empire que la douane de la Basse-Ville est devenue le siège de la Direction Régionale des Douanes, fonction qu’elle occupe encore aujourd’hui.
Voilà donc plus de 180 ans que l’immeuble de la rue de Paris abrite la Direction des Douanes.
Il accueillera après M. DUVERGER 34 de ses collègues. Parmi eux : le fils même de DUVERGER. Ils y séjourneront, les uns et les autres, pour des durées variables; Probablement exerceront-ils leurs fonctions avec des fortunes ou des talents divers. Le lourd manteau de l’oubli les ayant recouvert, nul ne peut plus en témoigner.
Une coïncidence néanmoins, ou peut-être l’indice de l’importance de la Direction de DUNKERQUE à l’époque, deux d’entre eux furent promus Directeur Général des Douanes :
– François Louis FERRIER qui, sous l’Empire, succéda à COLLIN de SUSSY.
Le long séjour qu’il y effectua de 1814 à 1849 fût marqué par son engagement dans la vie politique et culturelle de la Flandre Maritime dont il futConseiller Général.
– HAINS Antoine, Romain dont, à l’inverse, le passage à DUNKERQUE fut le plus court puisqu’il se limita aux Cents jours, durant lesquels François FERRIER fut rétablit dans ses fonctions de Directeur Général des Douanes de l’Empire. Il est vrai que par ailleurs, HAINS,probablement voué aux responsabilités de courte durée, ne sera par la suite qu’un Directeur Général par intérim, durant une partie de l’année 1830.
Durant toute cette période, longue de près de deux siècles il n’est pas surprenant que ce bel immeuble de la rue de Paris connut quelques vicissitudes notamment de celles qu’entrainèrent les deux guerres dévastatrices durant lesquelles la ville de DUNKERQUE subit hélas « le feu, le fer, l’acier, le sang » qu’évoque PREVERT au sujet d’une autre ville martyre.
La première guerre mondiale fit subir à la ville de DUNKERQUE un pilonnage incessant qui, déjà !,conjuguait les trois sources possibles, terre, air et mer. Tous les quartiers furent successivement et à de nombreuses reprises touchés : la Basse-Ville souffrit de démolitions importantes comme les autres secteurs et la Direction des Douanes fut gravement touchée lors du bombardement émanant de destroyers en mer, face à la ville, durant la nuit du 7 au 8 juillet 1918.
Au cours du conflit 1939-1945 la Direction eut à souffrir à nouveau et des la première partie des hostilités. Le 2 juin 1940, alors que fort heureusement une partie du personnel qui occupait l’immeuble s’était repliée vers BERGUES, une bombe s’abattit sur le bâtiment, pulvérisant le bureau du directeur dans lequel s’était effondré un pan de la toiture.
Deux jours plus tard, dans la cour d’honneur, devant les douaniers du 2ème Bataillon et leur famille qui avaient trouvé refuge dans les caves, eut lieu la première rencontre entre le Sous-Préfet et les officiers allemands qui venaient de conquérir la ville.
En février 1943 le quartier est une nouvelle fois visé ; quatre torpilles s’y abattent détruisant quelques immeubles et abîmant sérieusement les autres.
En mars 1944, les quelques agents qui demeuraient encore en service sont évacués vers LILLE et le bâtiment livré à l’occupant, les habitants du quartier qui, durant les bombardements, descendaient dans les caves voûtées de la Direction, transformées en abris, s’étant eux aussi quasiment tous repliés vers des régions plus clémentes pour y attendre la fin des hostilités.
A la libération l’ensemble de l’immeuble avait bien évidemment triste mine ; l’aile Ouest bordant la rue de la douane était effondrée, la cour labourée et ravagée, l’intérieur de l’immeuble abîmé, dégradé, nécessitant une réfection complète.
La description qui en est faite dans un document administratif de l’époque est suffisamment éloquente pour mériter d’être reproduite :
« … Fortement endommagé en mai-juin 1940 par bombes et obus, cet immeuble après avoir reçu quelques réparations sommaires de manière à pouvoir abriter ce qui restait du personnel de DUNKERQUE, a été réquisitionné pour les 3/5 par les autorités occupantes qui ont installé un foyer de soldats dans la partie réservée aux appartements du Directeur et à ses bureaux particuliers. De vastes bureaux ont été transformés en petites chambres, les appartements ont été convertis en salles de restaurant, de jeux ou de lectures, des cloisons intérieures ont été abattues pour la circonstance ou d’autres locaux ont été adjoints aux constructions existantes ; les dépendances sont devenues magasins de vivres, abris, porcherie ou WC, de sorte que je ne crois pas que cette partie de l’Hôtel puisse être jamais rendue à la destination primitive. Le reste du bâtiment, laissé à notre disposition, a subi quelques réparations hâtives entreprises par les Allemands et, bon gré, malgré, il a fallu, après avoir réservé quelques pièces pour les appartements ‘privés du Directeur, y installer les bureaux de la Direction, ceux de la Recette Principale et de la Sous-Direction, de l’Inspection Principale et même de la Capitainerie… » .
La position désabusée de son auteur est d’ailleurs trop pessimiste, car à l’exception de l’aile Ouest qui ne fut pas reconstruite, l’Hôtel des Douanes fut l’un des premiers bâtiments publics dunkerquois à être restauré et rénové grace aux efforts soutenus des directeurs qui se succédèrent dans la période de reconstruction de l’immédiat après-guerre, MM BONNAURE et MAYMARD.
Albert LAOT
Notes :
I – Actuelle rue A. Sauvage
2 – Actuelle rue Saint-Mathieu
3 – A l’angle actuellement formé par les rues Saint-Mathieu et A. Sauvage
4 – Le 7 septembre 1794, Taverne de MONTD’HIVER devenu rentier est appréhendé par le comité de surveillance et emprisonné.
Cahiers d’histoire des douanes
N°15
Juillet 1994