Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Le crime de contrebande sous l’Empire

Mis en ligne le 1 novembre 2020

Fragilité des apparences. 1812, l’Empire semble parvenu à l’apogée de sa puissance. Le blocus continental a atteint son expression suprême avec les décrets de Berlin et de Rome qui ont parachevé un ensemble de mesures de prohibitions douanières par un blocus naval et militaire qui vise à atteindre l’ennemi dans son potentiel économique vital.

 

Pour assurer l’efficacité de la répression, le décret du 18 octobre 1810 organise deux sortes de juridictions : les tribunaux ordinaires des douanes et les cours prévotales ; les tribunaux jugent les délits, les cours les crimes de contrebande.

 

Mais ni la qualification des infractions ni la sévérité des peines ne sont vraiment choses nouvelles. Déjà un décret du 5 décembre 1792 confirmé plus tard par la loi du 19 thermidor an IV (6 août 1796) avait institué la peine de mort pour sanctionner les exportations frauduleuses de grains ; la loi du  13 floréal an XI, toujours d’application en 1810 et qui prévoyait aussi la peine de mort pour la contrebande à main armée, n’avait fait que reprendre à son compte la législation sur les attroupements à main armée, elle-même héritée de l’ancien régime.

 

Par contre le décret du 18 octobre caractérise le crime d’entreprise de contrebande «les entrepreneurs de fraude en marchandises et denrées prohibées, les assureurs, les intéressés et les complices dans lesdites entreprises, les chefs de bande, directeurs et conducteurs des réunions de fraudeurs en marchandises prohibées seront punis de 10 ans de travaux forcés et de la marque des lettres V.D. ».

 

Il restait à définir l’entreprise de contrebande; ce fut fait par la cour prévotale de Valenciennes dans un arrêt du 21 février 1812: «plan combiné à l’avance par plusieurs personnes pour introduire en fraude sur le sol français des marchandises prohibées ou tarifées ; il suppose un ou plusieurs chefs, des assureurs, intéressés ou complices». Cette jurisprudence sera reprise par la cour de cassation sous une forme à peine modifiée pour être appliqué au «plan de fraude» cité par l’actuel article 399 du code des douanes.

 

Neuf cours prévotales, quarante bribunaux ordinaires des douanes établis dans trente huit directions de frontières terrestres ou maritimes depuis l’Illyrie jusqu’à Hambourg, de l’Adriatique à la mer du Nord étaient chargés de faire respecter cette législation.

 

Mais ni l’ardeur des douaniers ni la rigueur des peines ne parvinrent semble-t-il, à dissuader les contrebandiers tant était grand l’appat d’un gain facile pour tant de gens sans aveux ou simplement sans ressources, tant étaient nombreux et jusque dans l’entourage immédiat de l’Empereur, les personnages importants qui édifièrent sur la contrebande d’immenses fortunes qui survécurent à la chute de l’Empire.

 

Et quand bien même ils étaient arrêtés, les magistrats instructeurs ne mettaient ni tous ni toujours le plus grand zèle pour établir qu’il s’agissait bien d’entrepreneurs de fraude. Etaient-ils traduits devant les cours que celles-ci s’empressaient bien souvent de les qualifier de «simples porteurs» et de leur accorder les circonstances atténuantes prévues par l’article 16 du décret du 18 octobre 1810 qui permettaient de ne les punir que de peines correctionnelles.

 

Législation et juridictions d’exception conçues pour des temps exceptionnels, très normalement, elles ne survécurent pas aux évènements ; mais nombre de dispositions pénales de notre législation douanière actuelle ont été élaborées dans le formidable creuset expérimental de cette époque dont il faut peut-être également retenir, au-delà de considérations circonstancielles, que par ses conséquences économiques et sociales une infraction douanière ou fiscale peut très bien constituer une entreprise criminelle.

 

Roger Corbaux

 

Encadré paru  dans l’article intitulé « Douane et philatélie »

 

 

 

La Vie de la douane

 

N° 170

 

Décembre 1976

 

 

 

 

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