Edmond Roche, La dune (Les algues), 1834 (3/50)

Mis en ligne le 30 octobre 2025

Dans « L’administration des douanes en France de la Révolution de 1848 à la Commune (1848-1871) » (p. 214-215) Jean Clinquart a évoqué le parcours d’Edmond Roche (1828-1861), douanier-poète et musicien en ces termes :
« Edmond-Louis-Joseph Roche, né en 1828 à Calais, était entré en 1847 comme surnuméraire au bureau des douanes de l’entrepôt des Marais. Il devait par la suite servir dans les bureaux du directeur de Paris en qualité de commis, puis de commis principal. Ce fonctionnaire dépeint comme “zélé, assidu, soumis et fort intelligent” était passionné de musique et de littérature. Il avait suivi antérieurement les cours de violon du conservatoire et joué dans l’orchestre du théâtre de la Porte Saint-Martin. Il s’était aussi essayé à l’art dramatique, commençant à versifier une tragédie gauloise. Assuré du nécessaire grâce à son emploi administratif, Roche put consacrer tous ses loisirs écrire ; il publia plusieurs ouvrages en vers et en prose ainsi que des articles de critique musicale et des pièces de théâtre. Victorien Sardou devint son ami, de même que le musicien Lalo, le peintre Corot et le chansonnier Beranger. C’est à sa triple qualité de musicien, de poète… et de douanier qu’il dut d’entrer en rapport avec Wagner. Celui-ci se présenta en septembre 1859 à la douane pour y retirer son mobilier provenant de Suisse. Il eut affaire à Roche qui connaissait son œuvre et qui, trop heureux d’être utile à un musicien, se mit en quatre pour accélérer les formalités. Ainsi naquirent des relations appelées à devenir étroites, puisque Wagner confia à Roche le soin d’écrire une adaptation française du livret de Tannhauser. Roche y travailla six mois avec l’aide d’un musicien allemand, Robert Lindau, qui lui traduisait mot à mot le texte original. Le résultat (récitatif en vers flous et aussi en vers rimés) une fois approuvé par Wagner, l’œuvre fut remise au directeur de l’Opéra en 1860. Celui-ci, après l’avoir accepté en l’état, se ravisa et il exigea que le livret soit signé d’un nom connu. Sous prétexte de remaniement, on fit appel à un librettiste de renom, Nuitter. Roche en ressenti une grande amertume, mais contrairement à Lindau, il n’engagea aucun procès, s’en rapportant, quant à ses droits, à “l’appréciation de M. Wagner”. Cette déconvenue et l’insuccès de Tannhauser lui portèrent un coup terrible. Sa santé était déjà très dégradée et il mourut la veille de Noël en 1861. Il n’avait que trente-quatre ans. ».

Comme l’écrivait Victorien Sardou dans la notice introduisant le recueil des poésies posthumes d’Edmond Roche, que ses amis firent paraître en 1863 : « Qu’il nous soit permis d’abord de remercier les sympathies qui ont si cordialement répondu à notre appel ; de toutes celles que nous espérions, aucune n’a fait défaut : merci donc à tous au nom de l’amitié qui peut accomplir enfin la promesse faite à une tombe ; merci au nom du poète dont la mémoire est consolée, car ce ne sera pas le moindre honneur d’Edmond Roche d’avoir laissé derrière lui tant d’affections et de regrets. »

 

La dune (Les algues), 1834*

 

J’ai gravi, triste et seul, la dune triste et nue
Où la mer fait gémir sa plainte continue,
La dune où vient mourir la vague aux larges plis,
Monotone sentier aux tortueux replis.

 

Ô nature stérile ! Ô perspectives mornes !
Dune, désert de sable auprès des flots déserts ;
Plaine immense, horizon large, qui n’a pour bornes
Que le ciel se perdant au sein des vastes mers

 

Tu représentes bien mon âme souffrante,
La vie, âpre sentier qu’elle doit affronter :
C’est bien là cette route effondrée et mouvante,
Où l’on ne peut poser le pied sans hésiter !

 

Comme le goéland, l’espérance rapide
Effleure de son vol le gouffre de nos jours ;
Mais bientôt secouant dans l’air son aile humide,
Dans la brume des ans elle fuit pour toujours ;

 

Les passions du cœur, impétueuses vagues,
Se tordent sous le vent de l’appétit charnel ;
L’âme, pleine de voix menaçantes ou vagues,
Déchaîne dans l’esprit un orage éternel.

 

Ainsi va l’existence, hélas ! Tout s’y ressemble !
Le pas qu’on fît hier on le fera demain ;
Tout cela pour mener à la mort qui rassemble
Sous un ciel ignoré le pâle genre humain ;

 

Et pour dire, en voyant cette rive inconnue,
À l’heure où du linceul vont se fermer les plis :
« J’ai gravi, triste et seul, la dune triste et nue,
« Monotone sentier aux tortueux replis ! »

 


*Source : Edmond Roche, Poésies posthumes, 1863