Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
Douane et douaniers – marais et marais salants au Pays de Retz
Nous exprimons toute notre gratitude à l’association Richesses Patrimoniales et Naturelles de La Bernerie-en-Retz et Défense de la Côte (R.P.N.D.C.), ainsi qu’à son Président, Gilles Guingnier, auteur de cette contribution que nous avons le plaisir de reproduire sur ce site.
L’équipe de rédaction
A l’époque romaine, chaque soldat de l’Empire touche sa solde, son « salarium » en sel. On comprend dès lors l’importance de cette richesse que les envahisseurs prélèvent en écumant notre région. Pendant plusieurs siècles, le sel sera donc la richesse principale des Moutiers. Les « puissants » saisissent très vite l’intérêt qu’ils peuvent tirer de cette denrée en créant une taxe – La Gabelle – liée à l’achat et à la vente du sel.
C’est en 1342 que Philippe VI crée la Gabelle. Dorénavant la vente du sel devient un monopole du trésor, et pour le faire respecter, il y aura des gabelous (1). Bien que cette taxe ne soit pas acceptée par le petit peuple, les gabelous jouissent dans la commune d’un grand prestige dû en partie, à un certain niveau d’enseignement primaire et surtout à l’uniforme. L’impôt sur le sel existera jusqu’à la révolution, sera rétabli par Napoléon Ier puis supprimé en 1946.
Des gabelous, on en trouve partout où il y a des marais salants. Aux Moutiers, village et port (2) limitrophe aux marais de la baie, on compte un bureau de douane (3) et plusieurs postes de garde. La toponymie a conservé des noms de cette époque comme « la Cantine et la Boutique ». La Boutique : Lieu-dit des Moutiers se trouve proche de la cure de Prigny. Quand à la « Cantine » je ne peux le situer.
Pendant de nombreuses années, il y aura beaucoup de douaniers retraités aux Moutiers. Après avoir vécu au contact de la mer durant toute leur carrière, ils ne pourront envisager de s’en éloigner. De fait, ils constitueront dans la commune une vraie corporation.
Sous l’Ancien Régime, cette région est le centre d’une contrebande importante : « des coureurs de lunes », y trafiquent faux tabac, sels, vins « de mer » et eau de vie, à pied, à cheval ou à bord de « chattes » en essayant d’échapper aux gabelous. Ce trafic sévit partout et touche directement ou indirectement l’ensemble de la population. Le sel étant la principale marchandise objet de contrebande de la région.
Poste de surveillance des Gabelous situé le long de la côte –
il y en eut jusqu’à 120 dans le canton de Bourgneuf
Le trafic contrebandier principalement situé dans les îles de Bouin, de Noirmoutier et d’Yeu s’y trouve facilité par la franchise insulaire de ces territoires. Territoires situés sous le niveau de la mer, faits de marais comme le sud du Pays de Retz.
Situation des Moutiers et de ses marais
Le marais est un terrain saturé d’eau et inondé. Aux Moutiers il se situe au sud de la commune, commence au niveau du chalet Cardinal pour s’étendre jusqu’au Collet. Dans les terres, il va jusqu’en limite du bourg de Bourgneuf. Pour se déplacer dans le marais les habitants : chasseurs, pêcheurs, exploitants, utilisent une embarcation légère à fond plat (appelée Blain) que l’on manœuvre à l’aide d’une perche.
Selon les écrits que l’on possède, on situe les premiers marais salants dès le VIème siècle dans la Baie de Bourgneuf. A la différence des salines ignigènes susceptibles d’adaptation à tous les types de rivages, les salines solaires sont dépendantes de la mer et du jeu des marées. L’homme les a donc creusées dans les herbus d’estrans argileux.
Mais revenons auparavant à un temps beaucoup plus ancien où l’on se servait de « four à augets » pour obtenir du sel. Une réalisation qui permet la fabrication ignifère du sel. Cette technique a probablement coexisté avec les premiers marais salants de la baie. Le sel humide des salines primitives est séché et transformé en pains de sel très secs, pour le transport et la conservation. Lors de travaux de terrassement (1982) il en fut découvert deux aux Moutiers-en-Retz, l’un lors de l’aménagement du camping du bourg, l’autre à côté de la Mairie. Ils dateraient du premier siècle avant Jésus-Christ. Ce procédé est formellement interdit en 1340 (4), ce qui n’empêchera pas à cette technique de perdurer jusqu’à une date récente.
Four à augets
Dimensions des augets (pains de sel) 9×5 cm et haut de 5 à 7 cm
Dans les premiers siècles de notre ère, les salines solaires issues de la technologie romaine, supplantent progressivement les salines ignigènes protohistoriques. Les aménagements humains accompagnent le retrait progressif de la mer qui libère dans la baie un espace restant soumis au jeu des marées. L’apport énergétique inépuisable de la mer, du soleil et du vent assure au marais leur pérennité durant deux siècles. Le moindre coût de ce type de production en fait le succès, malgré l’assujettissement à un climat océanique capricieux.
Dès le VIIème siècle, l’abbaye de Noirmoutier fondée par Saint-Philibert possède des salines. Elle produit et commercialise le sel indispensable pour la conservation des poissons et des viandes.
La production salicole de la baie attire les Normands qui s’installent autour des lieux de production lors des invasions vikings au IXème siècle. Puis la renaissance féodale s’amorce, les sauniers sont alors soumis aux multiples redevances dont le « cens de sel » équivalent à 1/10 de la production.
Salines solaires
Marais entre les Moutiers et le Collet
Dans la chapelle de Prigny on retrouve l’esprit des paludiers. La statue de St Gwénolé (5), leur patron, meuble la niche de droite de l’autel de St Augustin. On trouve aussi celle d’une vierge normande : Madone de la mer et du sel, la statue date du XIIIème siècle, époque de la prospérité de la baie (6).
Amorcée dès le Très Haut Moyen-Age, la conquête des marais maritimes se trouve pratiquement achevée au XIIIème siècle dans la baie de Bourgneuf. Cette transformation précoce du littoral permet à la Baie de devenir rapidement la principale zone productrice de sel de la côte atlantique. Les routes du sel médiévales et modernes sont fluviales ou maritimes. Jusqu’à l’ouverture des routes coloniales au 17ème siècle, une part importante du trafic du port de Nantes est attachée à ce produit. Il y transite notamment par ses salorges (7) – grenier à sel – avant de remonter la Loire et pénétrer le royaume de France dont les provinces sont assujetties à la Gabelle.
Le déclin des salines est ancien, avec des causes diverses. L’envasement des chenaux d’alimentation et des ports d’embarquement a joué contre la saliculture dès la fin du 18ème siècle. Moins rentables les salines on été délaissées au profit de la culture et de l’élevage. Ainsi, entre 1775 et 1803, Bourgneuf a vu chuter le nombre d’aires exploitées. Le tableau de la page suivante donne une idée de l’érosion des salines au Pays de Retz.
Erosion des salines au Pays de Retz
La dernière saline exploitée s’arrêtera en 1969 à Bourgneuf-en-Retz
En 1833, pour la production salicole de Loire Atlantique, celle de la Baie de Bourgneuf ne pèse plus que pour 10%. Et en 1865, les Moutiers comptent 2/3 de marais gâts (marais abandonnés). Depuis la saliculture s’y est éteinte (en 1969), on note dans les années 2000 une timide reprise de l’activité liée à l’engouement pour les produits naturels et l’écologie. Aux Moutiers-en-Retz s’ouvrent les salines de Millac qui proposent la visite du site et la vente de sel, la première récolte date de 2002.
Afin de permettre à l’eau de mer de passer d’un bassin à l’autre, mais aussi pour que les étiers communiquent, des canalisations « coëf » faites de deux demi-troncs d’arbre accolés et creusés en leur centre d’une gorge, existent en de nombreux endroits dans les marais. Ce terme se prononce « coiffe » ! Quand on parle des « Coëf » (8) dans la famille Viaud, cela se trouve avant le chemin du Lancastria, au niveau du chalet Cardinal, notre grand-mère y faisait paître ses vaches ; papa, enfant y venait avec ses chiens, plus tard ce fut pour lui un lieu de chasse apprécié par lequel entre l’eau de mer dans les marais et qui permet au bassin de communiquer. Sur son parcours, des écluses que l’on ouvre ou que l’on ferme lui permettent de se remplir ou de se vider au rythme des marées. De longueur et de largeur très variable, il peut être navigable comme ceux de Haute-Perche ou de Vue.
Partie d’un « cerf » – L’étier (mot ayant la même racine qu’estuaire) désigne un fossé, un conduit, un chenal
La douane revêt donc beaucoup importance. Au point où j’en suis de mes recherches, je connais deux membres de ma famille, qui furent douaniers :
- – Achille Vallade, beau-frère d’Eugène Viaud, notre grand-père. Ses papiers militaires l’attestent. Né en 1884, âgé de 30 ans en 1914, il sera incorporé dans l’armée française. Sa profession de douanier lui permettra d’obtenir une affectation spéciale au 8ème bataillon, 3ème compagnie de douaniers. Après être passé par les 334ème et 414ème RI, il sera démobilisé du bataillon des douanes le 8 janvier 1919. Revenu à Pornic, il reprendra son service, arpentant inlassablement les chemins des douaniers qui longent la côte au nord de Pornic et de Gourmalon à Crève Cœur.
- – Joseph Villain, cousin d’Eugène Viaud notre grand-père, exercera aussi cette profession, plusieurs actes d’état civil le mentionnent. Né en 1878, il fut passager ou membre d’équipage ? du Bélem en 1902, est-ce au titre de sa profession ? Ce bateau traversait régulièrement l’Atlantique pour transporter diverses cargaisons de Nantes vers Montevideo ou Bélem et ramener des marchandises et du bétail, en faisant escale à Saint-Pierre en Martinique.
Chemin des Douaniers près de Crève Cœur La Bernerie
Au début du XXème siècle, le service des douanes est régi selon des lois éditées au siècle précédent, voyons ci-dessous dans quel contexte, Achille Vallade et Joseph Villain effectuèrent leurs fonctions. Au XIXème siècle, la douane est constituée en deux services : les bureaux (service sédentaire) et les brigades (service actif).
Dans quel service Achille Vallade et Joseph Villain assurent-ils leurs fonctions ? probablement en tant qu’agents de brigades. Celles ci sont organisées militairement. Armés, souvent casernés, ils portent l’uniforme, obéissent à une discipline très stricte, des conditions de travail dures pour une rétribution faible.
Bien que les agents des douanes jouissent d’une ébauche de statut (recrutement ; avancement ; congés ; retraite) leur activité souffre d’un défaut de transparence qui prédispose au favoritisme et au népotisme (9). Pendant tout le XIXème siècle, la dénonciation de ces vices amènera progressivement des réformes.
A partir de la Restauration (1814-1830) seules les brigades portent l’uniforme, l’évolution des tenues suivant celles des armées. En 1904, le pantalon bleu céleste, s’accompagne d’une bande rouge ; la vareuse bleu marine porte l’insigne distinctif des unités douanières : la grenade incluse dans un cor. Il rappelle l’assimilation des bataillons douaniers aux chasseurs à pied et souligne que ces formations sont à considérer comme troupes d’élite.
En 1831, pour le temps de guerre, l’état crée officiellement un corps militaire des douanes. Les bataillons possèdent alors leur drapeau qui participera au défilé de la victoire le 14 juillet 1919.
Officiers et agents des douanes en uniformes
(gravure E. Fort)
Plan de Bourneuf , de sa baie et de sa rade
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Gilles Guingnier
RPNDC
Notes :
1. Gabelous : Sous l’ancien régime, nom donné aux employés de la ferme générale chargés de percevoir la gabelle et autres droits indirects pour le compte du roi. Depuis les douaniers ont hérité de ce surnom.
2. Le port du Collet, jadis l’un des plus importants de l’Atlantique, accueille jusqu’à 250 gros navires des pays nordiques venus charger du sel « l’or blanc de la baie de Bourgneuf ».
3. Mot d’origine arabe qui existe de longue date.
4. Epoque de la naissance de la Gabelle.
5. St Guénolé fut le fondateur au Vème siècle, de l’abbaye de Landévennec près de Brest. Abbé breton – dont le nom signifie « tout blanc » – fut au Moyen-Age le Patron des paludiers de la région de Guérande. Au sud de la Loire, les paludiers se nomment sauniers.
6. Au 13ème siècle, elle ravitaille en sel les greniers de la Gabelle de Rouen (Normandie).
7. Le bâtiment qui accueille aujourd’hui « La Maison de la Presse » aux Moutiers fut anciennement une salorge après avoir été le four banal de la Prieure.
8. Ce terme figure dans le « Vieux langage du Pays de Retz » d’Eloi Guitteny avec la définition suivante : « Coef, couef ou couet. Petit passage au travers d’un talus, par où coule un filet d’eau. Canal de drainage dans le marais, souvent fait d’un tronc d’arbre. Le terme est d’origine bretonne, couet signifiant bois. » Un lieu porte ce nom sur l’île de Noirmoutier par lequel entre l’eau de mer dans les marais et qui permet au bassin de communiquer. Sur son parcours, des écluses que l’on ouvre ou que l’on ferme lui permettent de se remplir ou de se vider au rythme des marées. De longueur et de largeur très variable, il peut être navigable comme ceux de Haute-Perche ou de Vue.
9. Abus qu’une personne en place fait de son crédit en faveur de ses proches.
Etier vue de la maison de l’éclusier au Collet
Le lieu de travail du saunier (terme employé au sud de la Loire) Marais salants de Bourgneuf en 1969
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