Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Boucher de Perthes: « A la direction générale des douanes » (17)

Mis en ligne le 1 septembre 2019

Sous l’Empire, les bureaux de la direction générale des douanes sont formés, d’une part, d’un secrétariat général, confié à de Lavigerie et rattaché au chef de l’administration, d’autre part, de huit divisions, moitié à compétence territoriale et moitié à compétence fonctionnelle, que se répartissent les quatre administrateurs. Au moment où Boucher de Perthes est admis parmi la centaine de fonctionnaires employés au bureau central, les administrateurs sont, par ordre d’ancienneté, Chaslon, Delapierre, Louis Collin de Sussy et Saint-Cricq. La division du service général et du personnel, à laquelle le nouveau sous-chef est affecté, a pour « directeur de correspondance » un ancien de la Ferme Générale, Pierre Bertin, qui se fera sauter la cervelle lors de la Première Restauration.

 

Quelle pouvait être la vie quotidienne d’un sous-chef du Personnel à la fin de l’Empire ?

 

Boucher de Perthes a trop critiqué le sous-emploi des employés des Bureaux pour que nous puissions nous permettre de douter de sa sincérité lorsqu’il se déclare « écrasé de besogne, surchargé d’un travail aride et assoupissant, n’ayant pas un jour (à soi), car il n’y a (pour lui) ni fêtes ni dimanches.

 

Je suis écrasé de travail, et ce qui est pis, de solliciteurs… Je ne reçois que visites ou que lettres quand j’esquive les premières… Tous ces braves gens ignorent qu’on ne me consulte jamais pour ce qui concerne les avancements… Le directeur général se réserve à peu près toutes les nominations. Les administrateurs proposent mais sont rarement écoutés, et celui à la division duquel je suis attaché moins que tout autre… A quoi servent les administrateurs avec un directeur général qui fait tout… M. Bertin, chef de la division du Personnel, a plus d’influence sur lui que les quatre administrateurs ensemble, y compris même les inspecteurs généraux.« 

 

Ce que Boucher de Perthes appellera plus tard « la rage des places » est particulièrement virulente lors des changements de régime. Ceux-ci sont, aussi, tristement propices à l’assouvissement des jalousies et des rancœurs. En témoigne une anecdote que l’auteur de Sous Dix Rois rapporte à son père durant les Cent-Jours.

 

« On me renvoie des diverses divisions un énorme paquet de dénonciations contre des chefs et employés accusés de dévouement aux Bourbons. Je vais… demander (à M. Ferrier, le directeur général) ce que je ferai de ces vilains papiers. Il regarda la cheminée où pétillait un bon feu. Je n’en voulais pas davantage et le paquet ne fit qu’un saut de ma main dans l’âtre.« 

 

En vérité, Boucher de Perthes n’aime pas ce métier. S’il a accueilli avec satisfaction une nomination à Paris, c’est parce qu’elle était honorable, qu’elle le rapprochait de ceux dont il espérait l’appui, et – considération non moins importante à ses yeux – parce que ses ambitions littéraires escomptaient beaucoup de la fréquentation des salons et des théâtres parisiens.

 

Dès la fin de février 1813, sa déception est vive : volontiers, il demanderait à « retourner dans les départements réunis comme inspecteur divisionnaire ; j’y commanderais,dit-il, un bataillon. J’aime dix fois mieux ce métier que celui que je fais à Paris ; la vie dès bureaux ne me convient pas. » Sans doute souffre-t-il de la sédentarité ; cependant le défaut de responsabilité lui pèse : son chef, Bertin le « dispense de penser ! »

 

Et pourtant, le poste où il est placé permet, mieux qu’une affectation en province, de suivre l’évolution des évènements, et de voir de près le comportement des hauts fonctionnaires durant les périodes troublées. Or, Boucher de Perthes exerce précisément ses talents (diversement appréciés, nous l’allons voir) à la direction générale, de la défaite de Russie aux lendemains de Waterloo.

 

Signe des temps, il est amené à travailler à l’envoi dans les directions de Hollande de renforts prélevés sur les directions de la Vieille France, puis, sur la répartition entre les circonscriptions de l’Hexagone d’agents repliés d’Allemagne ou d’Italie.

 

Au mois de septembre 1813, les douaniers français évacuent les Provinces illyriennes où Boucher de Perthes se trouvait en mission deux ans plus tôt et ils se replient sur Parme. On se prépare aussi à évacuer les Etats romains et la Toscane.

 

Ces évènements font présager la fin d’une époque, mais ils n’émeuvent pas exagérément notre sous-chef du Personnel qui se préoccupe davantage du sort de la tragédie qu’il voudrait faire jouer. Il fréquente beaucoup les salons : celui (solennel) de Mme de Fontanes, celui (triste) de Collin de Sussy et cet autre (charmant, car on y voit « les plus jolies femmes de Paris« ) de Lavigerie, secrétaire général de la direction des Douanes.

 

Quant tout s’écroule , en mars 1814, les bureaux de l’Hôtel d’Uzès sont déserts. Le directeur général n’a pu « se décider à voir entrer les étrangers » dans Paris. Delapierre, l’administrateur dont dépend Boucher de Perthes, est prudemment demeuré chez lui et il a envoyé son jeune collaborateur aux nouvelles. Ainsi, savons-nous que Saint-Cricq (dont l’heure va sonner) et Louis de Sussy (qui voudrait bien survivre) sont, eux aussi, dans l’expectative.

 

Pour sa part, Boucher de Perthes a servi, sans combattre, dans les rangs de la légion de la Garde Nationale à laquelle il appartient. Les évènements, cependant, vont leur train. Les Bourbons rentrent à Paris et les administrations se remettent en marche. On a « fait un crime à M. Ferrier d’être parti au moment de l’arrivée des Russes » et cette manifestation d’attachement au régime impérial lui a coûté sa place de directeur général. Saint-Crirq, jugé plus sûr, a pris la suite. On épure les services, mais sans acharnement ; assez cependant pour que Boucher de Perthes, qui, dit-on, « pense mal« , soit prévenu par Delapierre de sa prochaine éviction de la direction générale. Le motif officiellement invoqué est sa « manière de correspondre » qui serait « trop sèche » ; mais l’intéressé n’est pas dupe : « Mon style administratif… est ce que l’on fait M. de Sussy et M. Ferrier, qui demandaient de la netteté, du laconisme, de la clarté surtout. » En tout cas, on envisage de lui donner « une inspection en province » ou encore de l’envoyer à l’Ile de Bourbon (la Réunion) en qualité de chef de service.

 

Les choses traînent assez longtemps pour que Boucher de Perthes soit toujours à Paris quand Napoléon s’échappe de l’Ile d’Elbe. A-t-il voulu alors se refaire une virginité ? Toujours est-il qu’il est entré dans les gardes du corps royaux, ce qui lui a valu de chevaucher brièvement dans la banlieue nord de la capitale, lors de la fuite de Louis XVIII.

 

L’Empereur et M. Ferrier revenus, il n’est plus question de se priver des services de Boucher de Perthes. Pendant une quinzaine de jours « tout le monde avait déserté » les bureaux, si bien que Delapierre, « enterré sous une montagne de papiers » récupère avec « grande satisfaction » le collaborateur dont il entendait se débarrasser quelques semaines plus tôt. Mais les Cent-Jours ne sont qu’un pitoyable intermède auquel Waterloo met un terme. Cette fois, le sort de Boucher de Perthes est scellé : il se résigne à quitter Paris, en proie à des sentiments contradictoires. « Si je m’en vais, c’est qu’on me chasse« , confie-t-il à un correspondant ; mais il écrit aussi : « Je pense… qu’une inspection en province me conduira plus vite à la direction« .

 

Boucher de Perthes a vécu à Paris des moments exceptionnels. Son témoignage (malheureusement pour l’histoire de la douane) sacrifie, si l’on peut oser ce paradoxe, l’accessoire à l’essentiel, c’est-à-dire la vie de l’administration à celle de la capitale et de sa population ! Ce témoignage nous laisse donc sur notre faim.

 

Un salon de l’hôtel d’Uzès – Musée du Carnavalet-

 

 

Cahiers d’histoire des douanes françaises
N° 6 – Septembre 1988 (Numéro spécial)
Bicentenaire de la naissance de Jacques Boucher de Perthes
« père de la préhistoire » et fonctionnaire des douanes 1788-1988)

 

 

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