Arthur Rimbaud, Les douaniers, 1871 (6/71)
Curieux destin que celui de ce sonnet. Vraisemblablement écrit en 1871, et sauvé des limbes des chefs-d’œuvre inconnus par la plume de Verlaine, qui venait juste de rencontrer son auteur, il fut publié, une première fois en 1906 dans la « Revue littéraire de Paris et de Champagne », puis dans l’édition des « Œuvres » d’Arthur Rimbaud préfacée par Paul Claudel au « Mercure de France » en 1912, soit une dizaine d’années après la mort du poète le 10 novembre 1891. Vers miraculés des poèmes posthumes, parmi les derniers composés sous forme de sonnet, ils ont toutefois acquis une étonnante postérité, et demeurent la première référence de quiconque songe à la poésie douanière : souvenirs de buissonnière contrebande le long de la frontière belge avec ses amis d’adolescence Ernest Delahaye, Ernest Millot et un certain Louis Pierquin, douanier poète figurant dans la présente anthologie ? Parodie du romantisme et de ses rêves de fraternité universelle ? Sans doute tout cela et bien davantage, dont les douaniers font les frais et le devant de la scène.
Les douaniers, 1871
Ceux qui disent : Cré Nom, ceux qui disent macache,
Soldats, marins, débris d’Empire, retraités,
Sont nuls, très nuls, devant les Soldats des Traités
Qui tailladent l’azur frontière à grands coups d’hache.
Pipe aux dents, lame en main, profonds, pas embêtés,
Quand l’ombre bave aux bois comme un mufle de vache,
Ils s’en vont, amenant leurs dogues à l’attache,
Exercer nuitamment leurs terribles gaîtés !
Ils signalent aux lois modernes les faunesses.
Ils empoignent les Fausts et les Diavolos.
« Pas de ça, les anciens ! Déposez les ballots ! »
Quand sa sérénité s’approche des jeunesses,
Le Douanier se tient aux appas contrôlés !
Enfer aux Délinquants que sa paume a frôlés !
