Antoine Bartro, Le douanier, 1859 (4/50)
Né le 7 novembre 1801 à Marseille, Antoine Bartro s’engage dès l’âge de 10 ans dans la marine douanière, d’abord en qualité de mousse, puis de matelot jusqu’en 1820. Nommé préposé des douanes à Bayonne la même année, direction au sein de laquelle il fera presque toute sa carrière, il atteindra le grade de capitaine, sera décoré de la légion d’honneur et “arriver[a] sain et sauf à [s]on humble retraite” en 1854 après 42 années au service de l’administration des douanes. Il publiera le présent poème en plaquette en 1859.
Le douanier, 1859*
J’entends de toutes parts des chants harmonieux
Célébrer du guerrier les travaux glorieux.
Avec enthousiasme on exalte sa gloire ;
On couronne son front, on écrit son histoire,
Jeunes et vieux soldats sont chantés tour-à-tour,
Le premier au départ, le second au retour.
L’un s’élance aux combats ; l’autre, dans sa chaumière,
Revient avec l’étoile ornant sa boutonnière.
Sur les pas triomphants de ces fiers défenseurs
Jetons à pleines mains des lauriers et des fleurs ;
Cherchons, pour l’honorer, le modeste mérite ;
On le trouve au palais, sous le chaume il habite ;
Il brille sur le sein du plus humble soldat,
Celui du Douanier n’est pas sans quelque éclat :
Aux confins du pays, sentinelle perdue,
Le Douanier s’élève au-dessus de la nue.
Du commerce français, protecteur courageux,
Qu’il est beau de le voir, sur ces pics sourcilleux,
Défendre avec valeur le sol de la patrie,
L’intérêt du Trésor, celui de l’industrie !
Redoutable aux fraudeurs que protège la nuit,
Ou son œil le déjoue, ou son bras le poursuit.
Si, par fois, le tambour sous le drapeau l’appelle,
Sa vertu belliqueuse au danger se révèle.
Jadis, dans le Hambourg, conduit par les combats,
On t’a vu plein d’ardeur affronter le trépas ;
On t’a vu le premier, et tout couvert de gloire,
Sur ton sang précieux marcher à la victoire.
Éclaireur d’avant-poste, à nos regards perdu,
Qui peut te refuser un encens qui t’est dû ?
Echos de ces glaciers d’où la fondre s’élance,
Rompez pour mon héros votre injuste silence ;
Oculaires témoins, montagnes de ces lieux,
Majestueux remparts élevés jusqu’aux cieux,
Qui portez dans l’azur vos neiges éternelles,
Montrez-nous ces sentiers aux rencontres mortelles,
Et ces champs de combat, et ces marres de sang ;
Montrez-nous le vaincu sur la terre gisant ;
Guermiette et Bidarray, c’est vous que je supplie,
Vous qui portez au front le sceau de l’infamie,
Ne me dérobez point l’ombre de Guillempé ;
Le brave Goytino, par vos bandes frappé,
Découvrit à vos coups sa poitrine haletante,
Ici, sous cette pierre encore toute sanglante,
Git le corps mutilé du jeune Philippeaux.
Passants, découvrez-vous, saluez ces tombeaux.
Mais toi qui fais le guet sur l’extrême frontière,
Tout couvert de sueur, de pluie ou de poussière,
Qui, le mousquet au poing, armé du dard meurtrier,
Attends pour t’élancer le fier contrebandier,
Entendras-tu ma voix, et timide et tremblante,
Faire de tes travaux l’esquisse intéressante ?
Mais, hélas ! Je te vois, sur ces monts orageux,
Grelottant assailli de tourbillons neigeux.
Ah ! Ce n’est point ici le Douanier comptable,
Encaissant le denier du bon contribuable ;
Ce n’est pas même encore l’élégant fantassin
Qu’on voit bailler souvent sur le quai d’un bassin ;
Mais c’est le vrai soldat, le soldat en campagne,
Courant pendant trente ans de montagne en montagne,
Son mousqueton chargé n’est pas des plus brillants,
Mais son fer plus bronzé des injures du temps
Témoigne avec orgueil du plus rude service.
Dans cet homme de coeur, tout n’est que sacrifice.
Valeureux douanier, qui peut t’offrir la main
Quand tu tombes blessé sous le fer assassin,
Ou bien quand l’avalanche avec elle t’entraîne,
Quand la foudre, en éclat, contre toi se déchaîne,
Qui peut te préserver de l’abîme profond,
Des débris de rochers venant frapper ton front ?
Qui peut donc étancher le sang de ta blessure,
Essuyer la sueur inondant ta figure ?
Quel ange, alors, sur toi daigne porter les yeux ?
La Providence, ami, qui se trouve en tous lieux…
Et qui veille sur nous en mère affectionnée.
Tu penses à ton Dieu quand s’ouvre la journée ;
Il entend ta prière, et ce Maître divin,
Qui nous protège tous, te donne aussi la main.
Toutefois, le soleil, au croissant planétaire,
Projette, en se couchant, un reflet de lumière ;
Tout est calme à minuit, tout est silencieux ;
Soudain, ces corps épars, scintillant dans les cieux,
Disparaissent cachés sous d’épaisses ténèbres ;
Le monde s’est voilé de nuages funèbres.
Parfois, dans le lointain, quelques faibles éclairs
Annoncent, s’avançant, la foudre dans les airs :
Ces sont les précurseurs du plus terrible orage ;
Il arrive, il éclate avec toute sa rage :
C’est un noir tourbillon, vomissant, furieux,
Et le feu des enfers et les torrents des cieux.
Le fléau destructeur ravage tout l’espace ;
Tout fuit épouvanté, seul tu restes sur place !
Mais l’ouragan se tait ; un silence effrayant
Vient te montrer alors l’image du néant…
L’image du néant ! Car, à ton œil humide,
La terre semble avoir disparu dans le vide.
Rien dans l’immensité ne frappe plus tes yeux,
Tu n’es plus qu’un esprit éperdu dans les cieux.
Mais bientôt der l’aurore un doux trait de lumière
Vient dorer la montagne et sécher ta paupière ;
Du lever du soleil c’est le premier rayon,
L’astre resplendissant garait sur l’horizon ;
C’est l’heure du départ, tu te remets en route ;
Tu relèves le pas du fraudeur en déroute ;
Tu le suis à la piste, il se dérobe en vain :
Tu ne fais que bondir, il tombe sous ta main.
Corps-à-corps, aussitôt, une lutte s’engage,
Mais il cède à ton bras, à ton bouillant courage.
De retour au logis, où le ciel te conduit
Tu vas jouir en paix des bienfaits de la nuit.
Tout fait autour de toi le plus profond silence ;
Ton esprit fatigué dans le repos s’élance ;
Mais à peine as-tu pris un moment de sommeil
Que le coq matinal provoque ton réveil.
Tu te lèves soudain, et, reprenant tes armes,
Tu vas répandre encore de nouvelles alarmes.
« Bravant dans tes travaux, chaque jour répétés,
Et le froid des hivers et le feu des étés,
Puisses-tu, camarade, et je te le souhaite,
Arriver sain et sauf à ton humble retraite.

*Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France