Jacques Thuault, L’aubette (Poèmes à trois temps), 1970 (35/50)

Mis en ligne le 30 octobre 2025

Dans le portrait intitulé “Sologne et poésie” que lui consacrait La Vie de la Douane en 1971, Jacques Thuault, Inspecteur Central à l’Ecole Nationale des Douanes, était présenté comme un amoureux de cette contrée, le pays de son enfance, à laquelle il a consacré un recueil de poèmes.

 

Le poète y décrivait d’abord les ressorts de son inspiration :

“L’envie d’écrire un poème est pour moi une chose à laquelle je ne peux, ni ne veux résister.

C’est un son, une musique, un parfum, une ambiance, un visage, un état d’âme, qui déclenchent en moi le genre d’instinct qui va me pousser à traduire les sensations, les sentiments, le tableau, l’atmosphère qui s’offrent à mon esprit, à mon cœur.

C’est alors que je ressens si intensément ce plaisir de créer quelque chose qui sera la traduction d’une partie de moi-même ; j’aurais rendu communicable un état d’âme, des sentiments présents, passés et futurs, des sensations, des goûts, des aversions. Ce plaisir peut-être doux mais il peut être, aussi, cruel ; il oblige à aller jusqu’au bout de soi-même ; jusqu’au bout d’une joie comme jusqu’au bout d’une peine.

En vous livrant ces poèmes j’ai voulu qu’ils se terminent sur une note de récréation, en laissant paraître, en se transposant en rimes, mon goût pour la fantaisie, afin que tout se termine par un sourire le plus efficace des masques de beauté dont ont besoin tous les visages.”

 

Puis, il expliquait le nom de ce recueil, évoquant le cheminement de son écriture :

“Pourquoi “Poèmes à trois temps” ?

Premier temps – Celui des impressions immédiates que nous donne le décor de la vie. C’est en somme le temps du spectacle des instants de vie : c’est la nature qui bat.

Deuxième temps – C’est celui du retour en soi-même. C’est le temps qui rythme le sens de notre vie. C’est le temps où l’on va jusqu’au bout de la joie, jusqu’au bout d’un bonheur comme jusqu’au bout d’une peine. C’est le temps des arrêts.

Troisième temps : ou tiers-temps c’est-à-dire le temps du défoulement. C’est la fin de la mesure. Mieux qu’un soupir c’est une pause. Il faut souffler et là, souffler, c’est jouer.”

 

Enfin, il évoquait la glaise de son poème, “l’aubette”, que nous reproduisons ici, l’histoire de son grand-père maternel, empailleur en Sologne,  “une maison cachée de la route par un taillis de bambous […], peuplée de tout un monde animal, de plume ou de poil, auquel avec un don, rare et naturel à la fois, mon grand-père redonnait les attitudes familières de la vie.”

 

 

L’aubette (Poèmes à trois temps), 1970

 

C’est un chemin ombré, coulé dans les bambous
Dont les panaches verts font une voûte frêle
Une onde de fraîcheur découvre par un trou
Une fontaine où l’eau a des reflets de ciel.

 

Puis sous un marronnier de taille centenaire,
Un toit ourlé de mousse et des murs en torchis
Ceinturés d’une treille et festonnés de lierre,
Qui ombrent les rayons du soleil de midi.

 

Passé la porte basse est un monde étonnant
Fait de plume, de poil, semé d’yeux qui épient,
D’animaux frappés là par un enchantement
Qui a figé leur mort dans un geste de vie.

 

Un vieil homme aux yeux bleus, couleur de fleur de lin,
Prépare à la fenêtre, une dépouille morte
Qui semble peu à peu renaître entre ses mains,
Dans les derniers reflets que le couchant apporte…