Manzon, La halte, 1952 (29/50)
On ne connait de l’auteur de ces trois poèmes (La Halte, Nocturne, Winter), décrivant le difficile exercice du métier de douanier dans la branche de la surveillance au début des années 1950, qu’un grade en guise de prénom (Agent Breveté Manzon), une brigade d’affectation en guise d’origine (Wissembourg-Mobile) et des points de contrôle en guise de déroulé de carrière (Schweyen et Poteau de Hornbach). A la lecture de ces rapports de service versifiés, on songe aux propos tenus par Francis Carpentier lors d’une conférence de l’AHAD le 14 mars 2023, intitulée « Poésie douanière et frontières littéraires » :
« […] les rapports étaient rédigés a la fin de la vacation directement dans le registre par un membre de l’escouade. Et celui-ci comportait dans la marge de droite une colonne, où il convenait d’indiquer différentes mentions sommaires, et notamment les conditions météorologiques dans lesquelles s’étaient déroulées la vacation. On inscrivait : vent, neige, pluie, etc. Un matin d’hiver, au sortir d’un service de nuit, un agent avait tout bonnement indiqué dans cette colonne : “étoilé”. Un modeste adjectif qui suffisait a nous faire ressentir le froid vif d’une nuit sans nuage, qui nous plongeait soudain dans l’infini d’un ciel a la fois obscur et lumineux. Trois syllabes qui donnaient, le temps d’un vertige, l’impression, en quelque sorte, de flotter dans l’espace sidéral. J’ignore si ce collègue a jamais voulu faire œuvre de poète, mais une chose est sûre, d’un mot, d’un seul, il a témoigné d’un état poétique dans lequel l’avait plongé a un moment donné la contemplation du ciel. Et il y est parvenu, et là, je reprendrais une phrase de Francis Ponge : il est parvenu a “nourrir l’esprit de l’homme en l’abouchant au cosmos” ».
La halte, 1952
Ma tête pèse mille tonnes ;
Près de moi Shellamer tisonne.
Le feu ronronne ; il fait meilleur
Qu’au lointain poste « du veilleur »
Mes yeux malgré moi se referment
Sur des pensées restées en germes.
Ah dormir ! Pouvoir s’assoupir !
Mais Shellamer : -“Il faut partir.
Debout petit ! Longue est la route
Qui va du col à la redoute.
Agent Breveté Manzon de Wissembourg-Mobile.
Schweyen – nuit du 12/3/1952
